Ce que nous attendons des États Généraux de l'Information

Tribune. Les États Généraux de l'Information s'ouvrent ; et nos quelques années d'expérience des médias indépendants, émergents et/ou engagés nous ont donné quelques idées.

Baptiste Thevelein
Baptiste Thevelein

C'est un événement majeur qui s'ouvre, et il est consacré à la place de l'information dans notre société, à la place qu'on lui fait, à celle qu'elle prend et à l'impact des bouleversements majeurs que nous avons connus depuis plusieurs décennies.

Ce qu'on en attend ? Pas grand-chose, pourrions-nous commencer par répondre, avec la désillusion et le doute si caractéristique de celles et ceux qui tiennent mordicus à leur indépendance. Nous allons ici évoquer les sujets liés aux modèles économiques, au financement, donc aux entreprises de presse.

Tout le monde a son mot à dire, car le secteur des médias est à un tournant. Il est prévu de modifier les réglementations concernant des sujets importants tels que le financement, les relations avec les plateformes, l'indépendance rédactionnelle, la fiabilité des informations, la concentration du marché, entre autres. C'est donc, sur le papier, du sérieux. Chaque éditeur, chaque syndicat, pourra tenter de jouer un rôle important dans les semaines à venir, que ce soit par des déclarations officielles, des auditions publiques ou un lobbying en coulisse. Voilà notre première et modeste contribution à un ouvrage dont le résultat final est incertain, mais qui, à notre sens, mérite d'être investi.

Révolutionner les aides à la presse

C'est une chance : les médias sont soutenus, en France, par la puissance publique. Si l'utilité, et même l'importance, des aides directes à la presse n'est pas remise en cause, ce sont leurs conditions d'attribution et les critères qui nous semblent toujours hors du temps.

Il est impératif de repenser tout et d'utiliser les aides comme un moyen de transformation et d'indépendance. Les critères d'attribution sont invraisemblablement complexes, ce qui les rend opaques, et le soutien renouvelé à la vieille garde qui ne veut rien changer et s'éloigne toujours plus de son audience ne joue pas en faveur de la confiance.

Le processus de candidature et d'attribution nous semble aussi devoir être revu. Il nous paraît aujourd'hui laisser trop de place à des méthodes douteuses, avec des acteurs profitant parfois de la complexité organisée.

C'est ainsi qu'il nous paraît essentiel de mieux conditionner l'attribution des aides à la presse, de favoriser les médias qui s'engagent à développer des modèles économiques liés à leurs audiences, et d'ajouter de la transparence dans leur attribution.

Accompagner la participation des communautés

On le sait, le numérique a rebattu toutes les cartes. Alors qu'il était impensable de lancer, il y a 30 ans, un nouveau journal papier ou une radio, c’est aujourd'hui possible. Cela s'est fait par l'émergence de nouveaux modèles économiques davantage liés aux publics, comme l’abonnement, l’adhésion, le don.

Nous pensons que les mécanismes de participation des lectrices et lecteurs à la vie des médias doivent être facilités, et encouragés. Après évaluation et certification éventuelle, nous aimerions notamment que les médias puissent recevoir directement et sans intermédiaire des dons défiscalisables. On peut aussi penser aux mécanismes de participation directe des lecteurs au capital des entreprises de presse, qui restent à simplifier et à encourager.

Encourager la création de médias

La création du Fonds de Soutien à l'Émergence et à l'Innovation dans la Presse, en 2016, conduisant à la mise en place d'une subvention dite "Bourse à l'Émergence" pour les entreprises de presse de moins de trois ans, est à nos yeux une avancée majeure.

Nous plaidons pour un renforcement de ce fonds, qui souffre par ailleurs des mêmes maux que l'ensemble des aides à la presse, mais également pour une adaptation de ses critères, et de ceux de la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse (CPPAP), aux nouveaux modèles. En 2023, un média papier publiant deux numéros par an ne peut pas bénéficier ni d'un agrément CPPAP, ni d'une subvention publique. Est-ce la fréquence de parution qui fonde l'utilité ou la qualité d'un média ? Nous pensons que ce critère archaïque devrait être ramené à une fréquence au moins annuelle.

Étendre les programmes d'éducation aux médias et à l'information

La méfiance croissante envers les médias n'est pas une mince affaire, et il est tentant de pointer du doigt la jeunesse comme principal vecteur des fake news ou autres désinformations. Mais, soyons honnêtes, ce n'est ni juste ni productif. Le défi est bien plus large et englobe toutes les strates de notre société. Oui, il est crucial de sensibiliser les jeunes à une consommation éclairée des médias, mais ne négligeons pas le reste de la population. Les pièges de la désinformation, la polarisation et le cynisme ne sont pas des chasses gardées de la jeunesse, loin de là.

Pourquoi alors ne pas envisager des programmes d'éducation aux médias financés par des fonds publics, et qui s'adresseraient à tous ? Des ateliers pour les seniors, des modules d'éducation en ligne pour les adultes actifs, et bien sûr, un renforcement des programmes scolaires pour les plus jeunes. Mettons en place des initiatives qui vont du primaire aux maisons de retraite.

Il est grand temps de comprendre que la question de l'éducation aux médias est une affaire collective. Il ne s'agit pas uniquement de prévenir la désinformation, mais également de préserver et renforcer notre tissu social et démocratique. Ce n'est pas un luxe, c'est une nécessité.

Soutenir et renforcer les médias locaux indépendants

Les médias locaux représentent un pilier vital de la démocratie, ils sont pourtant trop peu nombreux, et très concentrés. Il devient indispensable, voire urgent, de mettre en place un véritable fonds de soutien dédié au pluralisme et à la défense des médias locaux. Ce n'est pas une simple mesure palliative, mais un investissement à long terme dans le bien commun.

Ce fonds aurait une double vocation. D'une part, stabiliser financièrement les organes de presse locaux pour qu'ils puissent poursuivre leur rôle de sentinelles, souvent les premières à mettre en lumière des enjeux de proximité négligés par la presse nationale. D'autre part, il servirait de catalyseur à l'innovation journalistique au niveau local. De nouvelles formes de journalisme, des collaborations plus étroites avec le public ou encore des expérimentations autour du numérique pourraient être soutenues et accélérées.

Diversifier réellement les voix

Assurer une diversité d'opinions et de perspectives n'est pas un simple joli mot d'ordre, c'est une nécessité vitale pour le débat public. Sans cette variété, notre débat public serait stérile, partial, voire franchement manipulateur. Cela ne concerne pas seulement la diversité politique, mais aussi sociale et culturelle. Veut-on d'un monde médiatique qui reflète uniquement les opinions de ceux qui ont le pouvoir ?

Ainsi, pourquoi ne pas rendre le financement des médias conditionnel à leur capacité à refléter cette diversité ? Ce ne serait pas une censure ni même une réglementation invasive, mais plutôt une incitation structurée à enrichir notre paysage médiatique. Le financement pourrait être alloué en fonction de critères très précis liés à la représentativité.

Ce genre de conditionnement ne se limiterait pas aux idéologies, mais s'étendrait aussi aux aspects sociaux et culturels. Cela pourrait signifier promouvoir notamment des voix de diverses origines, de différents milieux sociaux, d'âges variés.

Un tel système demanderait une mise en œuvre délicate pour éviter des effets pervers. Conditionner le financement à une représentativité de la diversité sociale, culturelle et politique n'est à notre sens pas une intrusion dans la liberté de la presse, mais plutôt une manière de garantir que cette liberté sert réellement tout le monde. Ce serait un pas en avant audacieux pour enrichir notre conversation collective et rendre notre démocratie plus robuste, plus inclusive et, finalement, plus représentative de la société qu'elle est censée servir.

Intégrer l'urgence écologique

L'intégration de l'urgence écologique dans notre manière de vivre, de travailler et de prendre des décisions politiques est devenue impérative. Elle ne peut plus être une question périphérique, mais doit devenir centrale dans chaque aspect de la société. Cela implique une refonte de nos systèmes d'éducation, économiques et gouvernementaux pour les aligner avec la durabilité environnementale. Dans ce contexte, les médias ont un rôle crucial à jouer en traitant les questions du climat et de la biodiversité non pas comme des sujets isolés, mais comme des enjeux transversaux qui interagissent avec la justice sociale, la politique et l'économie. Une telle intégration permettra non seulement de mieux comprendre la gravité et l'urgence de la situation, mais aussi de catalyser un changement d'attitude et d'action à la hauteur des défis que nous devons relever. Intégrer l'urgence écologique dans les politiques publiques liées aux médias et notamment dans leur financement est essentiel.

Advienne que pourra

À l'heure où la crise de confiance ronge nos démocraties et où le numérique bouleverse nos habitudes, l'importance de la presse et des médias n'a jamais été aussi grande, mais également aussi fragile. Repenser le système médiatique français est loin d'être une question d'ordre technocratique ; il s'agit de la vitalité de notre contrat social, de la robustesse de nos institutions et, n'ayons pas peur des mots, de la survie de notre planète.

La démarche qui s'ouvre devant nous est semée d'incertitudes. Mais dans cette aventure politique, dont l'avenir nous dira le succès, une chose est sûre : rester inactif serait la pire des options.

Stratégie

Baptiste Thevelein Twitter

Baptiste est cofondateur et directeur des projets de Médianes. Au quotidien, il accompagne des médias sur des sujets marketing, techniques, et stratégiques.