Nos recommandations lecture de l’été
Des témoignages féministes, des contes horrifiques, des fragments d'amour... Que lit-on cet été chez Médianes ?
Comme chaque année, nous vous partageons nos coups de cœur à lire, à feuilleter ou à observer, c'est comme vous préférez. Récits révolutionnaires, maisons d'édition indépendantes, auteur·ices engagé·es... Que vous vous sentiez très amoureux·se ou très énervé·e, notre sélection devrait vous régaler.
Marseille trop puissante, de Margaux Mazellier
Marseille, j’y suis allée quelques fois, et je n’ai jamais eu l’impression d’être dans une ville féministe. J’y ai vu partout des références au foot et au Ricard, j’ai vu des mecs parler très fort, j’ai vu des rues mal éclairées dans lesquelles je n’aurais pas voulu me retrouver seule la nuit, j’ai vu des filles se faire accoster. Alors quand j’ai vu cet ouvrage de la journaliste Margaux Mazellier dans les rayons de ma librairie, cela m’a intriguée. En vrai, elles font comment, les filles, pour exister dans cette ville ? Ce livre publié aux excellentes éditions — marseillaises, elles aussi — Hors d’Atteinte retrace tout l’héritage féministe de la cité phocéenne, « du Mlac au Drama Queer Football Club en passant par le Planning familial et les Cagoles de l'OM ». À travers une vingtaine d’entretiens intimistes aux côtés des femmes qui ont lutté (et luttent encore) pour leurs droits à Marseille, Margaux Mazellier raconte une ville profondément engagée. J’ai été touchée par tous ces combats qui se répondent et évoluent à travers les générations, par le regard toujours bienveillant de ces femmes entre elles même lorsqu’elles sont en désaccord, même lorsqu’elles ne se comprennent pas. Si l’on connaît les enjeux du féminisme d’aujourd’hui, ce livre montre toute l’importance de l’héritage féministe et de l’archivage de nos luttes. Et maintenant, je comprends mes potes qui veulent toutes s’installer à Marseille.
Marine Slavitch, Journaliste cheffe de rubrique
Les dangers de fumer au lit, de Marina Enriquez
Les dangers de fumer au lit sont un recueil de douze contes horrifiques. Habituellement, je n’aime pas les romans d’horreur qui me font transpirer sous la couette. Pourtant, je n’ai pas pu lâcher le livre avant de l’avoir terminé. Dans ces histoires, esprits et humains se côtoient au quotidien. La frontière entre les deux s’étiole ; les fantômes ne ressemblent pas tous à des esprits et accompagnent des fillettes, des enfants et même de vieilles dames par la main.
Maëlle Ledu, Graphiste
Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes
Un intemporel, classique parmi les classiques. Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes nous entraîne à travers 80 états, émotions, postures et objets, au cœur du sentiment amoureux. On l’imagine singulier, solitaire. On le tait parfois aussi, par honte, ou par pudeur. On n’ose plus l’explorer tant sa puissance peut faire peur, à seize ans comme à soixante ans finalement. Face à lui, on est souvent désarmé·e — comment dire l’amour ? On l’attribut parfois à un genre — féminin. Le sentiment amoureux, pourtant, a quelque chose de profondément universel.
Cet essai de Roland Barthes réalise avec succès l’exercice périlleux de dire l’expérience amoureuse, d’en explorer tous les états et les émois pour se faire écho de ce qui se niche au plus profond de nous-mêmes face à certains êtres qui trouvent à nos yeux quelques grâces. Du plus exaltant et beau au pire des supplices, Roland Barthes se saisit de l’intime et parvient à le dire avec poésie et tant d’intelligence. Il fait sourire, rire, réfléchir, se souvenir, rêver avec mélancolie ou passion, espérer aussi peut-être ressentir encore, à nouveau, et aussi fort cette émotion si complexe qui nous fait faire parfois des folies. Il y a autant de poésie que de réalisme dans ces fragments amoureux qui se prêtent aux pérégrinations intérieures des longs jours d’été.
Pauline Butel, Responsable de l'accompagnement et de la formation
Littérature et révolution, de Joseph Andras et Kaoutar Harchi
« Tous les écrivains s’engagent, la question n’est donc pas celle-ci ». J’ai été séduite par cet ouvrage dès la première phrase du résumé, après avoir été d’abord attirée par le rose de sa couverture monochrome, caractéristique des géniales éditions Divergences. S’engager, oui mais pour quoi ? Et comment ? C’est plutôt celle-ci la vraie question, traitée au fil des pages grâce à un dialogue entre deux auteur·ices, Joseph Andras et Kaoutar Harchi, qui placent tous·tes deux leur engagement politique — socialiste, antiraciste, anticapitaliste — au cœur de leurs écrits. L’ouvrage est découpé en trois parties — Écrire, Combattre, Publier — dans lesquelles les auteur·ices évoquent leur rapport personnel à l’écriture et à la publication, mais livrent aussi, ensemble, une réflexion politique sur la manière d’organiser la lutte par l’écrit.
En tant que lectrice passionnée par l’écho à la fois personnel et collectif de l’acte d’écrire, j’ai aimé plonger dans cette conversation qui envisage la littérature comme un outil de transformation du monde, et pose la question des conditions matérielles d’existence du livre et d’exercice de l’activité d’écrivain·es. En bref, un livre qui invite à la réflexion sur nos lectures, nos engagements et sur la manière dont on peut, en prenant la plume, faire trembler les lignes d’un monde qui fait parfois preuve d’inflexibilité.
Mathilde Carlier, Cheffe de projet en charge de la communication
Mamie Luger, de Benoît Philippon
Un polar drôle et féministe. Dans le bureau de l’inspecteur, Berthe, 102 ans, résiste à se mettre à table… Accusée d’avoir canardé un groupe de flics, elle lâchera avec gouaille le récit de sa vie. S’entame un huis clos désopilant où la mamie vide enfin son sac. Heure après heure, la vieille édentée nous convainc presque de la nécessité de ses actes meurtriers. Aveu, confession ou règlement de comptes, elle n’a plus rien à perdre, ni à prouver à personne…
Charlotte Payen, Assistante de direction
Clémence en colère, de Mirion Malle
Notre bédéiste préférée a récemment fait son retour avec une nouvelle parution : Clémence en colère. De nouveau publiée chez La ville brûle — maison d’édition pluraliste orientée vers des sujets engagés — Mirion Malle vient clore ce qu’elle a entamé avec les ouvrages respectifs C’est comme ça que je disparais, paru en 2020 (on a encore les larmes aux yeux en se remémorant sa lecture, sincèrement), et Adieu triste amour, paru en 2022. Cette nouvelle BD s’affirme aussi bien dans ses choix graphiques, vifs et colorés, que dans son récit féministe émancipateur et empouvoirant. Loin de la mélancolie, la figure de Clémence vient nous rappeler que la colère, la rage, parfois destructrice qui s’exprime en nous, est aussi une opportunité de mieux s’apprivoiser soi-même et de se comprendre. La beauté du soutien communautaire, l’amour et l’amitié répondent ici aux blessures béantes d’une jeune femme dont on se sent tout de suite proche. C’est une lecture libératrice et réconfortante qui saura accompagner votre été.
Caroline Fauvel, Chargée de projets web et marketing
Nantes, ville révoltée - Une contre-visite de la Cité des Ducs, de Contre Attaque
Connaissez-vous vraiment la ville de Nantes ? Si Médianes et l’actualité m’y emmènent souvent, j’ai compris, dès les premières pages de Nantes, ville révoltée, que j’avais une piètre connaissance de la Cité des Ducs, de son histoire et de sa capacité à bouleverser l’ordre établi. Emmené par l’équipe du média Contre-Attaque, anciennement nommé Nantes Révoltée, vous allez visiter la ville en parcourant une série de lieux emblématiques, marqués par les révoltes nantaises. Des grèves insurrectionnelles d'après-guerre, à Mai 68, en passant par Notre-Dame-des-Lande, préparez-vous à un véritable « contre-voyage à Nantes hors des sentiers balisés, une madeleine de Proust saveur lacrymogène.».
Une pépite à dévorer aux éditions Divergences, chez qui je vous recommande également la lecture de Vous ne me trouverez pas sur Amazon de Laurent Mauduit. Le journaliste et cofondateur de Mediapart y revient sur les dangers que les géants du numérique font peser sur la liberté d’information et d’opinion à travers une enquête sur le monde des médias et de l’édition.
Marine Doux, Cofondatrice, Directrice éditorial et marketing
Cultish, de Amanda Montell
Le sujet n’est pas très summer, je vous l’accorde, mais la couverture est colorée donc ça compense. À travers une série de témoignages, souvent poignants, la linguiste Amanda Montell raconte comment les mots, les verbes et les phrases forment l'arsenal principal des cultes dans leurs processus d'endoctrinement. Elle nous propose une analyse passionnante de leur stratégie et de ce qui plonge leurs victimes dans un fanatisme que nous avons trop souvent tendance à expliquer par un simple « brainwashing », sans trop savoir ce que ce terme signifie et implique. Mais si le livre couvre des organisations telles que la Scientologie, il nous propose également de nous interroger sur notre rapport à nos propres gourous du quotidien. Car ces méthodes ne se limitent pas qu’aux cultes au sens premier du terme. Elles ont fini par percoler dans nos startups, le club de crossfit en bas de la rue ou nos réseaux sociaux. Est-ce ironique que plusieurs influenceur·euses littéraires sur TikTok aient fini par me convaincre de me procurer ce livre ? Peut-être. Amanda Montell nous explique aussi — et nous rassure aussi un peu — notre fascination contemporaine pour les cultes, entretenus par les séries Netflix et les podcasts.
Owen Huchon, Journaliste en charge de la communauté
In Waves, de AJ Dungo
Je suis une amoureuse, mais contrairement à ma collègue Pauline, loin d’être une surfeuse. Et pourtant, cet incontournable des romans graphiques qui explore cet univers m’a touchée bien profondément ; l’émotion qu’il suscite est subtile, délicate. À la fois hommage et méditation, In Waves raconte l'amour, le deuil. C’est une ode à la puissance de guérir de l'océan, cet immensité bleue où la tristesse peut se fondre, et où chaque vague a le pouvoir de porter la promesse d’une renaissance. AJ Dungo nous plonge dans un tableau entrelaçant sa relation avec Kristen, sa muse et son amour perdu avec celle des pionniers du surf, Duke Kahanamoku et Tom Blake. Un dyptique poétique d’une incroyable justesse qui s’incarne dans une bichromie bleu et sépia, des illustrations minimalistes et des mots qui jamais ne sont trop. Les planches s’interdisent la saturation, laissant ainsi toute la place au nécessaire silence qu’un tel récit exige.
Juliette Cahen, Responsable éditorial
All about love, bell hooks
Voilà un choix de livre qui ne fera pas ici trembler d’étonnement les murs de votre conscience, mais après des années à y penser, j’ai finalement plongé dans ce petit livre rouge. Se pencher sur l’amour, en commençant par lui chercher une définition — aimer, ne serait-ce pas davantage une action qu’un état de fait ? Ne confondrait-on pas parfois amour pour et investissement dans une personne ? Quel rôle du sexisme et du patriarcat dans ces réflexions, et la légitimité à se poser ces questions ? Voilà un excellent ouvrage pour prendre un pas de côté, et observer peut-être différemment ce qui nous a été inculqué comme étant instinctif.
Christelle Perrin, Cofondatrice, Directrice artistique
La newsletter de Médianes
La newsletter de Médianes est dédiée au partage de notre veille, et à l’analyse des dernières tendances dans les médias. Elle est envoyée un jeudi sur deux à 7h00.