Podcast — Hervé Kempf, Reporterre : faire un média gratuit (4/6)

Hervé Kempf est le fondateur de Reporterre. D’abord une revue puis un site, Reporterre traite de l’actualité de l’écologie. Il est l'invité du quatrième épisode de la première saison de Chemins, le podcast de Médianes.

Margaux Vulliet
Margaux Vulliet

Hervé Kempf est le fondateur de Reporterre. D’abord une revue puis un site, Reporterre traite de l’actualité de l’écologie. Il s’agit avant tout d’un média qui a fait le choix d’être entièrement gratuit et de reposer sur le don des lecteurs et lectrices. Comment lance-t-on média basé sur le don ? Comment faire en sorte que ce modèle soit pérenne et quelles sont les pistes pour mobiliser sa communauté ?

Transcription intégrale

Margaux Vulliet : Bonjour à tous, bonjour à toutes, bienvenue dans le podcast de Médianes, qui va à la rencontre des fondateurs et fondatrices de médias pour qu'ils et elles vous partagent leur retour d'expérience. Je suis Margaux Vulliet, journaliste chez Médianes, et vous écoutez Chemins. Dans cet épisode, nous allons à la rencontre du média en ligne Reporterre. Reporterre, deux R, E. Lancé en 2007, Reporterre traite de l'écologie et considère que la question écologique est la question politique essentielle du début du 21e siècle. Le quotidien de l'écologie, tel qu'il se présente, entend dénoncer, mais aussi montrer les alternatives et solutions. C'était d'abord une revue, puis un site Internet, mais il s'agit avant tout d'un média en ligne qui a fait le choix d'être entièrement gratuit et de reposer sur le don des lecteurs et lectrices. Alors comment faire un média gratuit ? Comment lance-t-on un média basé sur le don ? Comment faire en sorte que ce modèle soit pérenne ? Et quelles sont les pistes pour mobiliser sa communauté ? On en parle avec Hervé Kempf. Hervé, bonjour.

Hervé Kempf : Bonjour Margaux.

Margaux Vulliet : Tu as relancé Reporterre, tu en es le rédacteur en chef et directeur de la publication. Tu as travaillé pendant quinze ans au quotidien Le Monde pour couvrir les sujets environnementaux, puis tu as créé la chronique hebdomadaire Écologie dans ce même journal. Mais surtout, en 2007, tu as relancé Reporterre sur Internet. Dans cette introduction un peu longue, est-ce que je suis assez complète et est-ce qu'il y a des choses que tu voudrais reprendre, compléter ?

Hervé Kempf : Il y a deux points essentiels, c'est que Reporterre est le quotidien de l'écologie. C'est-à-dire que tous les jours, on publie une série d'articles, d'entretiens, d'enquêtes, de reportages sur le thème de l’écologie. La deuxième chose importante, c'est que l'on ne dénonce pas, on informe, on est un journal d'information.

Margaux Vulliet : Alors on peut reprendre du début. Reporterre, c'était une revue papier qui était sorti en 1989. Pourquoi ça a dû s'arrêter ?

Hervé Kempf : Ça a dû s'arrêter parce que c'était un mensuel, Le magazine de l'environnement, et ça marchait bien, c'est-à-dire que nous avions 26 000 acheteurs tous les mois en moyenne et on a fini à 4 500 abonnés payants. Mais pour faire du papier à l'époque, comme aujourd'hui, il faut pas mal d'argent, voire beaucoup. Il faut pouvoir notamment assurer une trésorerie sur plusieurs mois parce que ce qui s'appelle maintenant Presstalis, c'est-à-dire le distributeur, va vous payer assez tard au troisième ou quatrième numéro, à peu près, et donc pendant ce temps il faut faire trois ou quatre numéros ou deux ou trois au minimum en payant les salaires, qui est la principale charge, le papier, etc. Et donc il faut pas mal de trésorerie et comme on avait lancé ça vraiment avec les moyens du bord, — enfin, avec les moyens du bord mais beaucoup d'enthousiasme et aussi beaucoup de professionnalisme — malgré tout, il nous manquait le capital. On a dû s'arrêter parce que même si on avait ces bons résultats, on creusait le déficit et on n'avait pas les moyens de les combler, et d'autant plus qu'à l'époque, il n'y avait pas de publicité, en tout cas dans ce domaine. Donc voilà, on s'est arrêtés au bout d'un an.

Margaux Vulliet : C’était préférable de s'arrêter plutôt que de continuer avec un autre modèle ?

Hervé Kempf : Bah quand vous perdez beaucoup d'argent, au bout d'un moment, enfin on perdait pas non plus énormément, mais on ne pouvait vraiment pas couvrir. Au bout d'un moment, il faut dire stop. De toute façon, la banque vous dit aussi stop au bout d'un moment.

Margaux Vulliet : Alors pourquoi l'avoir relancé en 2007 et surtout uniquement en ligne ?

Hervé Kempf : Alors d'abord, ça n'a pas été pensé comme un plan. Voilà, en 2007, j'ai publié Comment les riches détruisent la planète aux éditions du Seuil, et c'est un livre qui explique à quel point la question sociale est indissociable de la question écologique ou que pour résoudre la question écologique, il faut répondre à la question sociale, notamment, pour faire simple, en réduisant très fortement les inégalités. Donc, à l'époque, c'était nouveau. Maintenant, l'idée qu'il y a un lien entre le système, le système social et la question écologique est devenu un lieu commun. Tant mieux. Et je pense que ce livre y a contribué. Mais à l'époque, c'était assez nouveau. Et aussi je voulais accompagner ce livre d'un site d'information, pour montrer qu'au quotidien, au jour le jour, la thèse que je défendais se concrétisait, et était alimentée par des faits concrets et quotidiens. Donc j'ai créé ce petit site avec un ami. On était quand même beaucoup moins avancé sur Internet qu'on ne l'est maintenant. Je l'ai appelé Reporterre et l'idée c'était pas encore un site quotidien, c'était pas non plus un blog, c'est-à-dire que je ne racontais pas ma vie ou ma vision du monde. C'était plutôt un site d'agrégateur où je copiais-collais des informations qui me paraissaient pertinentes et où je pouvais aussi publier des articles ou des reportages qui ne trouvaient pas leur place dans Le Monde.

Margaux Vulliet : Quelle différence y avait-il finalement, d'intention, entre la revue papier et le site Internet. Est-ce que l'intention était la même ?

Hervé Kempf : Ah non, quand on a lancé Reporterre papier en 1989, on était dans une logique de professionnels. On avait une équipe, tout le monde était salarié, on avait fait un business plan, on avait fait une étude de marché, on était vraiment dans cette logique d'aller dans le grand bain. Quand, en 2007, j'ai fondé, j'ai recréé le site Internet, c'était presque plus pour accompagner en quelque sorte ce livre, qui d'ailleurs a très bien marché, qui est un best seller et même un long seller, parce qu’il continue de se vendre en poche. Je pense que c’est parce qu'il a encore une pertinence et donc, pour moi, c'était presque une sorte de hobby. C'était aussi la découverte de l'écriture Internet qui est un mode d'écriture, un mode de présentation de l'information particulier, très nouveau, très intéressant. Du coup j'ai appris l'écriture Internet, beaucoup d'aspects par ce biais-là, donc au début c'était vraiment dans cet esprit, c'était un peu l'occupation du samedi, quoi.

Margaux Vulliet : Et à quel moment, justement, tu as voulu que Reporterre devienne un média que tu gères à plein temps, qui se professionnalise comme n'importe quel autre média ?

Hervé Kempf : Il s'est passé deux choses, d'une part le trafic de ce site montait régulièrement, c'était des niveaux encore très faibles mais ça montait régulièrement. Je voyais qu'il se passait quelque chose, que les gens étaient intéressés par les histoires que je relatais. Et puis la deuxième chose, c'est que le journal Le Monde m'a censuré. Le journal Le Monde qui appartenait depuis 2010 à messieurs Niel, Bergé et Pigasse, donc des millionnaires et milliardaires. Alors qu'avant Le Monde était un journal libre, c'était un journal libre au sens où une large partie de son capital était possédé par les journalistes. Et ça, on y reviendra, cette question de la liberté est absolument cruciale. Donc c'était un journal qui avait tous les défauts du monde mais aussi énormément de qualité. C'était un grand journal. Et moi, j'ai pu, quand je m'occupais de l'écologie, faire énormément de choses, porter beaucoup d'informations, d'enquêtes, de nouveautés, et cetera, ouvrir beaucoup de thèmes. Donc, j'étais journalistiquement, heureux. Et puis à partir de 2010, le climat a commencé à se dégrader et notamment j'ai été empêché de suivre le l'opération policière qui est en fait une agression policière, vraiment violente contre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en octobre 2012. Et là, alors que c'était un sujet que je suivais depuis au moins trois, quatre ans, que j'avais porté au National, à la Une, plusieurs fois. Enfin j'étais vraiment le journaliste qui suivait ce sujet et qui le connaissait le mieux. Donc, la coutume, c'est quand un journaliste connaît un sujet, on le lui laisse généralement, on considère qu'il est le plus compétent pour en parler. Et là, soudainement, on m’empêchait de raconter ce qui se passait, cette opération policière extrêmement violente. Je ne rentre pas dans les détails parce que c'est c'est une autre histoire, donc on est entré en conflit. Et puis moi, j'ai senti que ça allait mal aller avec Le Monde, c'était vraiment un acte de censure insupportable pour un journaliste. Et donc au même moment, il y avait ce site qui montait, qui faisait sa vie et puis des jeunes sont venu me voir en me disant “C'est bien ce que vous faites”, “On aime bien vos bouquins”, “On aime bien votre site, qu'est-ce qu'on pourrait faire ?” Donc je suis là, il se passe quelque chose alors avec eux et avec d'autres camarades plus expérimentés, on a monté une association pour adosser la pile, l'association pour la presse indépendante, libre et écologique pour commencer à adosser le site sur une vraie structure solide et puis chemin faisant, j'ai vu que c'était impossible avec Le Monde, ils me faisaient vraiment la guerre, donc j'ai quitté Le Monde en juillet 2013. Et on avait préparé deux, trois mois avant le rebond sur Reporterre. Reporterre n'a pas changé en fait, mais je l'ai en quelque sorte professionnalisé. J'ai lancé une campagne de pub avec quasiment pas de moyens, on va y revenir mais dans la mesure où j'étais relativement connu, je quittais Le Monde, ça se fait assez rarement, surtout sur des différends d’informations. Donc ça a pas mal buzzé, j'ai donné quelques interviews à droite, à gauche, Le Monde a été obligé de se défendre. J'ai lancé, pas à pas, une petite bataille sur Twitter parce que certains journalistes du Monde essayaient de me stigmatiser, donc je leur répondais et j'ai gagné parce que j'étais fondé en information et en crédibilité. Voilà à partir de là, Reporterre a démarré.

Margaux Vulliet : Cette histoire a fait de la pub pour Reporterre finalement ?

Hervé Kempf : Ce n’était pas le but mais en juillet, quand on commencé avec les camarades à préparer Reporterre, moi j'ai quand même passé le mois de juillet à me remettre psychologiquement parce que ça avait été une épreuve très difficile. Quand vous avez un canard, que malgré tous ses défauts vous avez beaucoup aimé, qui en fait vous trahit, ben voilà, c'était aussi un choc émotionnel, physique, psychologique assez dur. Puis après, en août, j'ai commencé à me préparer. Effectivement, j'ai préparé avec les moyens du bord. J'ai aussi fait un article qui a été énormément lu, il y a eu ses interviews et puis cette cette bataille de tweets que je n'avais pas anticipée, mais j'étais prêt vraiment à défendre le morceau et surtout à promouvoir Reporterre parce que je ne voulais pas faire la guerre au journal Le Monde, je m'en fichais ; mais en revanche, porter Reporterre et dire "il y a quelque chose de nouveau qui apparaît, et on va parler d'écologie et on va être libre".

Margaux Vulliet : Et justement, ton expérience avec la revue papier, en quoi ça t'a aidé à relancer Reporterre notamment sur le business plan, sur comment fonctionne un média ? Comment on mène un média, est-ce que ces expériences-là que tu as eu avant t'ont aidé ?

Hervé Kempf : Je pense pas que ça m'a aidé parce que j'y ai pas pensé et quand on monte Reporterre, enfin, on relance Reporterre en 2013, y’a pas de business plan, il n'y a pas de plan, ça se fait totalement à l'instinct, ça se fait vraiment parce qu'il y a cette situation très dure avec Le Monde qui me met contre un mur quoi. Et soit je cédais et je devenais un mouton, soit je me rebellais ou soit je désertais comme comme on dit maintenant, c'est la mode enfin c'est pas la mode, je sais que ce n’est pas une mode, c'est un mouvement très profond et formidable. Mais voilà, c'est au bout d'un moment et donc je n'ai pas anticipé, j'ai dit “Qu'est ce que j'ai comme arme ?” Enfin je me dis non violent, mais qu'est-ce que j'ai comme outil pour me défendre ? Il y avait ce site et ça a été un des moyens de me défendre. Et après on a lancé sans anticiper, mais très rapidement quand même on se met d'accord sur différents principes. Tout d’abord, même si on est une association, ça sera professionnel, c'est-à-dire qu'on fait l'information et l'information, c'est du travail. Et le travail, ça doit être payé. Un boulanger, un plombier, un avocat, un ouvrier. Ils font du bon boulot. Ou une ouvrière, une infirmière ou une boulangère, une journaliste, bah on doit payer. Je ne voulais pas avoir de personnes bénévoles, même la pige au début était à un prix très modeste, mais c'était payé, c'est le principe. Donc il y a eu deux éléments qui ont joué. D'abord, moi, j'avais les indemnités de Pôle Emploi. C'est important, ça m'a permis de ne pas travailler, enfin, si au contraire, que la structure ne me paye pas, mais moi je pouvais travailler. La deuxième chose, c'est qu'on a eu une aide d'une fondation qui est très importante. Enfin, qui a été précieuse parce qu'il n'y avait aucune condition, elle était totalement ouverte à ce qu'on faisait. C'était la Fondation Un monde partout, donc c'est 5 000 € je crois, mais quand vous n’avez rien, 5 000 € ça coûte, ça a permis de faire un petit CDD pour un camarade journaliste. Et moi j'avais aussi mes livres Comment les riches détruisent la planète, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie, un certain nombre de livres, donc je faisais beaucoup de conférences et là, à partir de ce moment-là, j'ai commencé à dire "mais écoutez les conférences ça sera payé et c'est pas moi Hervé que vous allez payer, ça va être pour soutenir Reporterre" donc ça a été une autre source de revenus qui été importante les deux premières années. Voilà donc, chemin faisant sans idées préconçues, on apprenait tout en le faisant et j'apprenais tout en le faisant. Par exemple, on s'est posé la question à un moment de la publicité : pourquoi pas ? Moi je pense qu'il faut vivre sans publicité au maximum, mais ça, c'est un autre débat mais je ne suis pas absolument hostile à la publicité. Mais on a commencé à regarder, on s'est rendu compte que pour avoir des revenus, étant donné que notre trafic était encore relativement faible, il aurait fallu mettre de la publicité partout, donc non pas de publicité. Donc, qu'est-ce qu'on fait sans publicité ? Bah on est parti notamment sur les dons. À l'époque, la question se posait pas ; le débat sur Internet, c'était soit des médias mettaient leur contenu en accès libre et puis on attendait on ne savait pas trop quoi, ça peut être le cas par exemple de Rue89 qui a été un bon média, un site Internet important mais qui n’a pas trouvé son équilibre économique, ou c'était le modèle de Mediapart que j’estime beaucoup mais qui était un choix différent, c'est "on a un capital de départ et puis on va mettre les moyens, on va créer une rédaction et on va sortir de l'info et puis peu à peu les gens s'abonneront". J'étais quand même averti de tout ça. J'avais regardé quand même attentivement tout ça mais j'avais pas d'idée absolument préconçue, donc on est parti avec l'idée du don. Mais au début, avec une grandeur énorme, je ne savais même pas que Paypal existait, un ami m’a dit “Tu sais il y a Paypal” j’ai dis “Ah oui comment ça marche ?”. Bah voilà on a démarré puis après il y a eu d'autres choses qui sont venues mais voilà les choses se sont faites sans capital ou mise de départ. Au début on a loué un demi-bureau deux jours par semaine à La Ruche qui a un espace de coworking. Peu à peu, il y a un cercle vertueux qui s'est enclenché, c'est-à-dire que le trafic a commencé à grandir, on a appris à mieux faire, à mieux chercher les dons. On a fait de l'information, on a embauché des journalistes, on a fait plus de papiers, donc ça intéressait plus de gens qui comprenaient qu'il fallait nous aider. Et puis il y a eu aussi quand même des fondations qui nous ont aidés. On n'a pas eu d'aides d'État, mais des fondations. Ça va être 5 000 € ici, La Fondation de France, la Fondation la Luciole ou sur des projets aussi journalistiques. Et puis enfin voilà, ça a pu représenter 40, 50 % de nos revenus les deux premières années. Pour préparer cet entretien, j'ai un peu regardé nos comptes parce qu'on publie nos comptes.

Margaux Vulliet : C’est important pour vous de jouer la transparence avec les lecteurs ?

Hervé Kempf : Je dirais pas seulement pour nous je pense, c'est absolument essentiel. Mais bon, on y reviendra peut-être. Mais la question du don, s'il faut demander aux personnes, aux gens “On vous demande de nous soutenir,” il faut être absolument oui, totalement transparent. Donc la priorité c'est évidemment de publier les comptes dès que possible. Tous les journaux et tous les médias sérieux le font. Et même quand on a un petit média, il faut le faire très rapidement parce que les gens comprennent complètement. D'abord, ils ne connaissent pas forcément l'économie. Et puis “Ah bon, il faut des salaires, il faut louer un bureau, un frais de reportage ?” Enfin, on explique ce qu'on fait aussi de dire d'où viennent les fonds. Bah voilà, il y a telle fondation, il y a la Fondation de France. À un moment, il y a eu la DRAC, la Direction de l'Action Culturelle, qui ont financé pour telle chose, etc. ; il y a ces conférences qu'on a publiées dès 2015 donc moins de deux ans après le démarrage, et l'année 2015 on avait 47 % des dons, et en 2016 on était déjà à 68 % et puis après à 2017 à 74 %, puis après, c'est la suite de l'histoire, on y reviendra à un autre moment, peut-être.

"Ma seule stratégie, notre seule stratégie, finalement, ça a été ça, être pertinents, précis, nouveaux, fiables, solides sur l'information." 

Margaux Vulliet : Et justement, donc, c'était une condition dès le départ de faire un média gratuit, mais il faut convaincre les gens de donner pour que vous, vous puissiez avoir cette rampe de lancement et pouvoir continuer à vous développer. Est-ce que vous avez une stratégie bien précise pour mobiliser des premières personnes pour donner une certaine aide, en tout cas financière ?

Hervé Kempf : Alors, c'était pas une condition. Une fois de plus on était mais totalement pragmatique.

Margaux Vulliet : D'accord donc dès le départ, vous vous êtes pas dit "On va absolument faire du gratuit" ?

Hervé Kempf : C'était à la fois presque instinctif, tripal pour les raisons que je vous expliquais, et en même temps je réfléchissais avec les camarades, on réfléchissait, et quand même depuis 2007 je m'étais intéressé à Internet, je regardais comment les choses se passaient etc. Et je me suis dit, on s'est dit, que dans la mesure où depuis 2007 ce site Reporterre est en accès libre, évidemment, je ne pouvais pas imaginer faire ce petit site et demander aux gens de donner l'argent avant. Donc voilà, ça grandissait et je savais une chose de diverses expériences, c'est que quand vous êtes parti sur un système, c'est très difficile, voire dangereux de changer de système. Si vous avez une formule qui marche bien en hebdomadaire par exemple, et que vous passez en mensuel, ça a de bonnes chances que ça se casse la figure ou inversement. Pour le dire autrement, j'ai l'impression qu'on bâtit quelque chose dans une interaction avec les lectrices et les lecteurs, avec le public. On crée un lien, pas forcément d'amitié, mais de confiance. On crée un lien de d'explication réciproque et on crée aussi des habitudes, et les habitudes, il ne faut pas les brusquer. Ou alors, il faut vraiment être sûr de son coup et donc on fait l'analyse. On a un peu regardé la pub, je te l'ai dit et ça ne fonctionnait pas. Et je me dis, faire des abonnés c'est vachement bien ce que vous avez Mediapart qui commençait, oui, qui avait commencé, a pris son son bien prendre son ampleur. Mais je me disais “On propose pas encore assez de choses pour pouvoir demander de l'argent”et je ne voulais pas faire la quête. C'était pas l'idée “Soutenez-nous parce qu'il faut nous soutenir parce qu'on est beaux, gentils, jeunes et formidables et qu'on parle d'écologie”, mais qu'on nous soutienne parce qu'on fait de la bonne INFO. C'est vraiment le coeur de Reporterre et de la démarche. Une démarche journalistique avant tout c'est faire de la bonne information, et les gens nous soutiendront parce qu'il y aura de la bonne information. Je reviens un peu en arrière mais à ces époques où tout le monde tâtonnait autour d'Internet — enfin, j'avais fait un reportage à New York quand j'étais au Monde et j'avais vu un camarade là-bas qui connaissait bien, donc on devait être dans les années, début des années 2000, 2005, je sais pas trop — et Sylvain Cypel en l'occurrence, qui était journaliste, me dit “Internet ? On sait pas du tout comment on va trouver l'équilibre économique, mais il y a une chose dont on est sûrs, c'est qu'il y a toujours des gens qui auront besoin d'une bonne information.” Et en fait, ça a été quelque part, ça s'est inscrit dans ma tête et ça a été mon credo et ça le reste toujours. Et en fait, c'est la règle, même pas d'Internet ou d'un jeune média, c'est selon moi le principe d'un média d'information, du journalisme. Si on fait de la bonne information, les gens le verront et vous soutiendront et en fait, ça a été ma stratégie, ça a été d'être pertinent, rigoureux, de faire de la bonne info. Mais c'est vrai aussi, j'avais été à bonne école quand même. Le Monde, d'autres journaux avant, La Recherche, Courrier International, enfin voilà. Moi, j'ai ce souci de la bonne information à coeur, et ma seule stratégie, notre seule stratégie, finalement, ça a été ça, être pertinents, précis, nouveaux, fiables, solides sur l'information.

Margaux Vulliet : D'accord, donc vous présentiez ça et ça suffisait pour que les gens se disent "c'est l'information qui manquait jusqu'à aujourd'hui, donc je vais les aider et je vais donner de tels montants". Ça a suffit pour après vous développer ?

Hervé Kempf : Alors après, on a appris qu’il faut parler. Par exemple, on a commencé, au début, à mettre un message. Puis on a commencé à faire des campagnes de dons assez rapidement. Et là à nouveau on a appris, mais je dirais que c'est un peu la chance des débutants aussi. Puis je pense qu'il y avait quand même de la sincérité, de la transparence. On a découvert aussi à chaque campagne, — au début, on en faisait deux par an — à l'époque c'était assez nouveau, qu'il y a toujours la prime à l'entrant, on ouvrait un peu ça puisqu'à l'époque l'idée que le don pouvait être une formule gagnante, c'était pas évident du tout, les gens tâtonnaient entre le modèle Mediapart et mettre en accès libre comme je vous le disais. Donc aller sur le don pour l'instant, à cette époque-là, 2013, 2016, 2017, c'était encore très relativement nouveau et donc on a appris à faire ces campagnes tout seuls, l'intelligence collective ça fonctionne. Et puis on a toujours quand même des amis qui vous aident, des gens qui vous donnent des bons conseils, etc. Et l'idée des campagnes, et ça reste toujours ça d'ailleurs, c'est de donner un message, ce que je vous ai dit "on a besoin de vous pour faire de la bonne information, de montrer qu'on en fait". Et puis aussi de raconter le média : on se mettait en scène d'une certaine manière pour que les gens voient, et je crois que c'est toujours vrai. Enfin, moi je ressens ça sur Internet, c'est un média relativement froid. En fait, vous allez sur un site, il y a pas le contact tactile, presque charnel qu'il peut y avoir avec un journal, qui crée presque spontanément un lien physique et presque émotionnel au sens d'empathie, avec le lecteur. Je ne sais pas comment expliquer ça, mais un journal a une personnalité très forte et il y a quelque chose qui se dégage beaucoup plus fort que par un site Internet. Donc déjà l'instrument d'accès universel qui va marcher pour plein de sites, c'est que vous allez passer d'un site à un autre. Donc comment faire sentir que derrière ça il y a une histoire ? Voilà, et donc on racontait un peu des histoires pour faire sentir tout simplement que c'était des gens éventuellement sympathiques, qui c'étaient, qu'ils étaient jeunes, comment on travaillait, etc. Donc à chaque campagne on continue d'essayer de trouver un récit différent.

Margaux Vulliet : Oui, et justement, entre la première campagne de dons, comment on continue à mobiliser des nouveaux lecteurs, des nouvelles lectrices ? Parce que bon il y a une base très très engagée, très présente, des lecteurs qui vous lisent, mais comment on continue à mobiliser ? Des jeunes, des personnes qui vont découvrir votre média, même dix ans après, comment on fait pour aller chercher encore de nouvelles personnes ?

Hervé Kempf : Il y a une sorte de théorie des cercles concentriques. Vous avez le noyau de votre lectorat. Donc ça c'est eux, ils vous aiment, ils kiffent, ils sont toxicos tous les jours. Voilà, ça peut marcher pour Reporterre mais sans doute pour plein d'autres sites. Bon je vais pas citer tous les camarades, mais je sais pas, Arrêt sur image, Mediapart, Basta, StreetPress et plein d'autres. Ceux-là, ils sont toujours avec vous. Et puis vous avez un deuxième cercle, c'est des gens qui viennent vous voir, qui vous connaissent, qui sont venus trois, quatre fois, qui n'ont pas encore forcément fait le choix de vous soutenir, mais voilà, vous faites partie de leur vie. Et puis il y a un troisième cercle, c'est ceux qui sont venus une fois par hasard parce qu'ils ont été conduits par Google ou par Facebook ou par Twitter. Il viennent chez vous et "ah tiens, c'est intéressant comment ils s'appellent ? Reporterre". Et puis il y a le 4e cercle, là c'est le vaste monde, c'est l'ensemble de l'humanité, c'est les 10 milliards de personnes qui peuvent venir sur votre site ; alors bon en principe on est un site francophone donc ça fait, mettons, à la louche 100 millions. Je dis ça pour blaguer, mais c'est l'idée et donc toute la toute la démarche ça va être de faire passer des gens d'un cercle à l'autre, de faire passer le cercle de ceux qui vous connaissent, qui viennent dans le cercle de ceux qui vous aiment vraiment et qui vous soutiennent régulièrement. Et ça, au bout d'un moment, vous sortez de l'information avec régularité, vous êtes bien sur vos axes, mais en même temps il y a quelque chose de nouveau qui se passe. Et moi, ça m'arrive fréquemment que les gens me disent “Bah ouais là ce coup ci j'ai filé 20 €, je suis abonné”, je leur dis “Non, c'est pas un abonnement, c'est un don”. Au bout d'un moment, c'est un rapport presque de loyauté. Si vous allez vraiment souvent chez quelqu'un, Wikipédia par exemple — moi j'utilise assez régulièrement Wikipédia et je me dis quand même bon, là je vais leur filer du blé, allez j'envoie 50 € ou ce que je peux à un moment donné, et plein de gens ont ce raisonnement. Là donc vous allez accroître peu à peu votre 2e cercle. Bah ils vont tomber une fois par hasard. Et puis une autre fois par hasard, Discover de Chrome va les amener là “Ah tiens, mais je les ai déjà vu ceux-là, ah bah oui, tiens.” Puis, peu à peu, ils vont passer dans le cercle précédent. Enfin, dans le cercle rapproché etc., puis le grand public ça va être la même chose. Puis après, pour moi c'est toujours l'information. C'est une fois de plus la capacité à sortir de la bonne information. Notre rédaction grandit donc on peut mieux couvrir des choses, on peut raconter des choses, des sujets, des informations qui ne sont pas chez d'autres, on bâtit un réseau de correspondants. On a une ligne rédactionnelle et des choix qui sont bons, par exemple là on a embauché une nouvelle journaliste qui va démarrer avec nous en janvier parce qu'on s'est dit que la consommation et la vie pratique, c'est important. Donc comment on va parler à des personnes qui sont pas forcément passionnées par la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, par le nucléaire, par le changement climatique, par la forêt en Amazonie, par le désastre sur la biodiversité, par ceci, cela ; mais qui quand même savent qu'il y a un problème et qui se posent comme presque chacun et chacune d'entre nous la question dans la vie ? Ben qu'est-ce que je fais, est-ce que je peux manger de la viande ? Oui, mais comment ? Les emballages en plastique, comment je fais ? Et si j'achète un nouvel aspirateur, lequel ça va être ? Donc d'amener des gens aussi par rapport à leurs préoccupations, donc être là aussi à l'écoute. On essaie de sentir une époque et de se dire "et si on racontait aussi ce qui concerne la vie des gens et ce qui nous concerne ?" Enfin, moi j'ai une théorie du journaliste qu'il faut raconter aussi ce qu'on sent soi-même et il faut suivre un peu son envie, ses besoins. Ça va élargir la palette du public et de gens qui nous soutiendront. Et là, il faut quand même que je revienne sur un point qui est essentiel, qui est la raison d'être rédactionnelle. Parce que nous on fait pas un site pour faire un site, on fait un site parce qu'on veut dire quelque chose. Vous l'avez rappelé, on considère que l'écologie est la question politique essentielle du 21e siècle. On veut porter la question écologique dans toutes ses dimensions dans le débat. À la fois on suit beaucoup les luttes parce que c'est important, c'est une information, on les suit en tant qu’information, de la même manière que Les Échos vont raconter ce que fait le Medef, et ce que font les grandes entreprises, nous on dit "ça nous intéresse de savoir ce que font les gens du soulèvement de la Terre, les gens qui se battent contre les autoroutes, les gens qui se bagarrent contre les entrepôts Amazon ou pour l'agriculture biologique". Mais en même temps, on veut pas seulement ça. On veut aussi capter, par exemple, les gens qui seraient dans Mouvement Colibris, les gens qui sont moins engagés mais qui ont une conscience écologique et qui se posent des questions de dons. On veut arriver à les amener, on veut avoir les deux : ceux qui sont déjà engagés, qui ont fait des choix de vie très forts, et puis ceux qui se posent des questions, qui sont la France d'aujourd'hui, essentiellement les classes moyennes qui sentent bien qu’il y a un problème sur l'écologie mais n'ont pas forcément la connaissance, les moyens, de l'expert. Donc comment on leur parle, comment on les amène à ça ?

"J'ai une théorie du journaliste qu'il faut raconter aussi ce qu'on sent soi-même et il faut suivre un peu son envie, ses besoins. Ça va élargir la palette du public et de gens qui nous soutiendront."

Margaux Vulliet : Alors justement, tu parles un peu de la communauté et du public que vous voulez toucher. Très concrètement, comme vous n'avez pas de chiffres d'abonnement, comment calculez-vous votre audience ? Alors il y a le flux de ceux qui viennent sur le site, comment vous avez une idée de l'influence sur le site Reporterre et de quels sujets intéressent ? 

Hervé Kempf : On a quand même un relevé d'audience par Google Analytics, puis là on est en train de passer justement sur un autre instrument qui s'appelle Matomo qui est très fiable, et qui vous permettra de nous libérer de Google, qui est un GAFA. On a les chiffres de l'audience quotidienne, donc en ce moment depuis un mois, on fait vraiment des scores très forts. On a très bien rebondi depuis le début de l'année. Hier, par exemple, il y avait 80 000 visiteurs uniques. Et on a un autre instrument qui s'appelle RealTime qui nous permet de savoir quels sont les articles qui ont été les plus lus. Par exemple, hier, on a sorti une enquête “J'aime pas Moscou”, une enquête originale qu'on qu'on voit pas ailleurs, qui disait que, qui montrait que en fait EDF, vous savez qu'il y a beaucoup de problèmes de corrosion dans un certain nombre de tuyauteries des réacteurs nucléaires, ce qui crée un souk énorme et en fait EDF dit bah “Oui mais on a découvert ça l'année dernière” et en fait pas du tout notre journaliste a prouvé, que le problème est identifié depuis 1984. Donc ça c'est quand même une information “Waouh”. Et donc bah énormément de lecturs. On a aussi fait un papier sur les transports publics en Allemagne et l'Allemagne a décidé à Berlin de de faire le transport quasiment gratuit avec un ticket qui permet d'aller partout avec 9 Euros bah c'est un sujet de vie quotidienne, c'est une alternative sympanet là aussi c'est un article très lu. Donc on a ce suivi quotidien de combien ça marche, comment ça marche ? Autrement, on a très peu d'instruments, alors parce que on veut être aussi par rapport aux donateurs, on veut respecter le maximum leur…Enfin voilà, comment dire, on n'est pas un GAFAM, mais on veut pas être du tout dans cette logique de tout savoir en plus, comme on n'a pas de de pub à vendre, on veut que les gens savent que s'ils viennent chez nous, on va pas récupérer leurs données, au contraire, on les protège au maximum, donc même pour les dons, la seule chose qu'on récupère, c'est l'adresse courriel. Et puis si ils veulent un reçu fiscal, bah évidemment on leur demande adresse mais autrement on leur demande pas est ce que vous êtes. “Un homme est ce que vous êtes âgé, est-ce que vous êtes boulanger ou cadre supérieur ?” On leur demande pas ça. Et lae seule autre indication qu'on a, c'est par matomo, c'est la répartition géographique, donc on voit quand même à peu près ce qui est utile, dans quelle région ou dans quelle métropole on est.Mais c'est vrai qu'on ressent ce besoin quand même d'aller un peu plus loin et pour faire progresser encore Reporterre, on va peut être faire des des études de lectorat, en discutant avec des groupes de lecteurs.

Margaux Vulliet : T'as du recul sur le modèle du don pour quelqu’un qui veut se lancer et qui hésite à utiliser ce modèle là, quels avantages et quels inconvénients tu vois sur ce modèle économique particulier ?

Hervé Kempf : Bah pour nous, je ne sais pas si je vois des avantages parce que c'est le reflet d'un d'un choix rédactionnel et d'une vision du monde. Donc nous, on considère que l'information est un bien commun, mais c'est discutable, mais nous, on est dans cette approche, peut être là théorisé après coup, mais chemin faisant, on a appris plein de choses et moi le premier, donc on considère que l'information est un bien commun et par exemple les informations sur l'écologie c’est tellement vital que c'est presque absurde qu'il peut y avoir des bons articles sur je vais pas citer comme des médias mainstream, mais il peut y avoir enfin, il y en a d'ailleurs, des bons articles et parfois c'est absurde qu' ils soient pas en accès libre, donc nous on pense que expliquer le changement climatique, raconter cette alternative importante en Allemagne, parler de l'agro écologie et comment le gouvernement essayant ce moment de nous faire reculer sur l'agriculture biologique c'est important. Il faut que tout le monde le sache et donc autant que possible soit en en bien commun et par ailleurs le don on est aussi puisqu'on le propose, c'est aussi dans la foulée de ce qu'on pense en commun, c'est de dire faut sortir de ce système qui est, il faut l'appeler par son nom le capitalisme, qui détruit la planète qui abîme beaucoup les relations entre les humains qui marchandise tout. Pour sortir de ça, ça passe par des valeurs comme la coopération comme la sobriété, le refus d'accumuler. Mais aussi autant que possible par le don, par l'échange, que tout ne soit pas marchandise. Et donc on on est bien là-dedans, vous voyez, je considère pas qu'on ait un modèle ou même que le modèle du don soit c'est un système parmi d'autres. Il peut y avoir de très bons arguments pour d'autres médias, d'autres camarades qui font le choix de l'abonnement, éventuellement de la publicité. Là, je suis plus sceptique, surtout si on parle d'écologie. Mais voilà, ça se comprend... Le don est aussi le moyen de créer, de stimuler des nouvelles relations sociales, de solidarité entre les gens, d'échange, qui n'est pas médié par le rapport marchand qui derrière a un peu avoir la volonté de profit derrière, donc le fait aussi qu'on soit en association donc sans profit, c'est vraiment bien. C'est, je pense que les lectrices et les lecteurs ne le sont pas aussi. Ils savent que si y'a l'argent en excédent, il va être bien utilisé. Il va être d'abord mis de côté pour garantir notre indépendance parce que ça, on ne transige pas là-dessus. Personne ne peut nous acheter, nous influencer, nous faire pression. Donc il y a un matelas de sécurité parce que dans la vie des médias, il y a des bons moments. Il peut y avoir des mauvais moments, donc moi j'ai connu, pour reprendre Le Monde, un journal qui a pas su à un moment faire ces matelas de sécurité et puis bah faire de la meilleure information, donc embaucher des journalistes. La base de ça c'est pour faire la bonne information. Bon il faut un certain nombre de talents, et puis il faut avoir des idées claires de ce qu'on veut raconter. Mais au bout d'un moment, combien de journalistes vous êtes ? Et si on est plus nombreux, bah on peut faire, on peut raconter plus d'histoires.

Margaux Vulliet : Il n'y a pas d'actionnaires à payer pour le coup.

Hervé Kempf : Absolument ! On a un excédent d'exploitation, il y a pas d'actionnaires à rémunérer,on est cohérent avec ce qu'on raconte quoi, et je dirais aussi que l'échelle des salaires est faible, elle est de un à 1,9 dans le dans le journal. On essaie de maintenir ça, c'est précieux de pas avoir d'actionnaires à payer, c'est précieux de pouvoir mettre tout pour faire ensemble ce qu'on essaie de bien faire.

Margaux Vulliet : Vous êtes sur la plateforme J'aime l'Info, est ce que tu peux un peu dire ce que c'est et pourquoi c'est important pour vous d'être sur cette plateforme ?

Hervé Kempf : On a pas mal contribué au début, Il y a quelques années, à l'améliorer. C'est une plateforme qui est mise en place et gérée par le Spiil, le syndicat pour la presse indépendante sur Internet et libre, qui a un très bon syndicat, C'est un syndicat professionnel qui regroupe des sites et donc a mis en place cette plateforme de dons Telle que les personnes vont, par exemple, vous allez dire “Bah je veux soutenir Reporterre ou Street Press”. Je suppose que StreetPress est sur la plateforme J’aime l’info, donc ou n'importe qui d'autre. Bah je vais là, je vais aller le faire par j'aime l'info et là je vais verser mettons 50,00€ ou 60€ c'est à peu près le. Le don annuel moyen des lecteurs ou lectrices de Reporterre des donateurs plus exactement et donatrices, donc 60euros, j'aime l'info va le reverser au site en gardant une commission dont le plus le montant peut être 3, 4% c'est normal, Il y a des frais de gestion et les dons aussi vont de défiscaliser. Ça veut dire que le donateur ou là donnatrice, pourra déduire cela de son revenu et donc perd un petit peu moins d'impôt, ce qui fait que si vous donnez 60,00€ à un de ces sites par exemple, mais vous pouvez donner plus, hein ? N'hésitez pas si vous pouvez 100€ si si c'est 5,00€ c'est très bien et même 1€. Voilà on sait que c'est dur pour tout le monde. Bah au lieu de payer 100€, je vais prendre 100 c'est plus simple il va payer en réalité s'il est imposable bien sûr 30 / 34€ je crois en vérité.

Margaux Vulliet : D'accord, tu parlais tout à l'heure des campagnes de dons. Pourquoi c'est important d'en faire ? Tu disais à peu près deux par ans, de marquer un peu le le coup quand même en disant, “on vous rappelle qu'on est là et qu'on a besoin de vos dons” ?

Hervé Kempf : Maintenant on en fait plus qu'une par an. Et la 2e chose, c’est que ça peut être un, c'est un moment. Là, par exemple, nous maintenant, on a des dons tous les mois donc il y a des dons mensuels, c'est à dire des gens qui qui tous les mois vont accepter un prélèvement de 123 jusqu'à 5€, parfois 10, mais parfois plus, mais assez rare parce que on n'a pas de don. Je précise aussi que la question m'a été posée, on n'a pas de dons importants, il y a pas de dons cachés. Je sais pas quelqu'un qui nous donnerait… Total ou un faux nez de total qui donnerait je sais pas 10000€, non non, c'est c'est vraiment des petits dons. Quand on voit arriver, il faut que je vérifie, mais je crois qu'on a eu un don de 2000€ récemment. Quand on a un chiffre élevé relativement élevé, plus de 1000€, on sait d'où ça vient, on regarde quoi, on va accepter, mais il y a 2 cas, par exemple, on a refusé. Il y a 2 ans, c'est arrivé. D'une part, c'était une commune du Loiret qui, je sais pas, on reçoit un chèque un jour avec un mot très gentil du maire “Bah voilà, vous faites un super boulot et on a choisi de vous soutenir. La municipalité a voté.”Et là, on avec beaucoup de petites fleurs dans le message et beaucoup de de reconnaissance ont leur ai dit, écoutez, on peut pas accepter parce que imaginons, qu’on aille dans votre commune, soit pour en dire du bien parce que vous avez fait quelque chose de formidable, soit pour en dire du mal, parce que malheureusement vous aurez peut être fait quelque chose de mail, on sera, on sera gêné dans tous les cas, donc on veut rester totalement indépendant, on est obligé de refuser votre don et un autre cas c'est une association de botaniques qui fait d'ailleurs un super boulot, très très jolie revue La Garance voyageuse, il nous avait envoyé aussi un don de 1000 ou 2000€ au nom de l'association. Et là je leur ai écrit “Non, maintenant on en a moins besoin que ça a pu être le cas. C'est super gentil de votre part mais peut être donnez les à une association, on leur avait suggéré, par exemple, de d'agroforesterie ou d’une alternative forestière. On a des dons mensuels et puis des dons ponctuels. Alors maintenant, les dons mensuels réguliers commencent à représenter, je crois à peu près 60% de ce qui viens tous les mois et puis la campagne à la fin de l'année, on va quand même envoyé un message plus fort, on va se raconter aussi, on va dire “Vous savez, on fait pas beaucoup parler de nous parce que nous, on est tellement le nez dans le guidon et à faire de l'info qu'on peut pas trop aller faire de la politique de com ou ceci cela.Mais on est là et voilà ce qu'on a fait. Voilà voilà ce qu'on a envie de vous dire”. C'est la fin de l'année, c'est l'ambiance de de Noël. Il y a la défiscalisation aussi pour ceux qui y pensent, à leurs impôts, donc ça peut être un moment où effectivement ça boucle l'année en quelque sorte et on a des bons retours.

Margaux Vulliet : Pour dézoomer un petit peu et revenir sur l'aspect édito, est ce que tu considères que Reporterre vient comme en opposition ou comme un complément aux médias ? Il y a un gros grand média qui peuvent aborder la question écologique, mais d'une autre manière, sous forme de rubriques, c'est le média de A à Z qui parle d'écologie, est ce que c'est, tu viens en opposition ou en complément ?

Hervé Kempf : C'est peut être un peu prétentieux ce que je veux dire, mais on est maintenant, la plus grosse rédaction qui existe sur la question de l'environnement. Avec Fabienne, qui va arriver, on va être 15 journalistes et on prévoit d'embaucher au moins un autre journaliste d'ici la fin de l'année, donc on a la plus grosse rédaction, la plus grosse rédaction à ma connaissance. Ces autres, c'est celle du service planète du Monde, qui fait du bon travail. Mais donc on se considère pas en complément, c'est vraiment rare, s'il y a pas une info importante dans le domaine, qui est pas sur Reporterre. Donc, on couvre l'info, on est le quotidien de l'écologie. C'est quand même notre mantra. Et voilà. Mais nous, Reporterre, nous ne sommes certainement pas complémentaires de quelqu'un. Normalement, quelqu'un qui s'intéresse vraiment à l'environnement, Reporterre fait partie de ses favoris. Il jette un œil, il s'abonne à la lettre, j'ai oublié de dire qu'on a énormément d'abonnés à nos lettres. On a 80000 abonnés à la lettre Hebdo et la quotidienne, on doit être à 25 et 30000 et ça progresse régulièrement. Donc les gens qui s'intéressent à l'environnement savent qu'il faut jeter un œil à ce que nous on raconte. Mais je dirais qu’il y a quand même, pleins de façons de raconter les questions écologiques, les questions environnementales. Donc il peut se passer aussi plein de choses sur Le Monde, sur Basta, sur Vert, sur Arrêt sur image même toute la galaxie sur Bon pote, plus des comptes Twitter et puis voilà mille chose qui se passe, mais on est quand même semble-t-il, un pôle là-dessus et on en plus comme on a une ligne rédactionnelle forte, on fait des choix qui je pense, permettent d'influencer. Je dirais aussi qu’on on fait levier parce que l'aspect essentiel de beaucoup de choses, c'est qu'on sort de l'Info, donc ça veut dire quoi sortir de l'info ? Bah par exemple, la sobriété. Il y a 2 jours, Le Monde a fait sa une,je crois, sur la sobriété. Génial, super, moi j'étais ravi. Mais il y a un an, on avait fait cette enquête et je crois qu'on a contribué à mettre la question de la sobriété, vraiment sur la table, on l’a fait en cinq volets, on a fait vraiment un gros boulot et voilà peu à peu ça diffuse. J'ai vu aussi l'autre jour, Le pèlerin, a fait sa une sur la sobriété, donc voyez c'est des cas. En fait, un média indépendant fait levier et de la même manière, je vais prendre un autre exemple, Mediapart, avec qui on s'entend bien et qui est beaucoup plus gros que nous, mais qui fait du très bon boulot dans d'autres domaines, souvent, a fait levier. Ils sortent une INFO, ils sortent une histoire. Bah, tous les médias mainstream sont obligés de suivre au bout d'un moment, nous, à une échelle moindre, c'est un peu le cas aussi quoi. Je pourrais citer pas mal de choses qu'on a sorties mais si par exemple Amazon, la 5G, on avait sorti une grosse enquête, en 5 volets. Une fois de plus le dire, pourquoi avoir des dons, c'est qu’on peut investir dans des enquêtes et de plus en plus, on fait ça, c'est à dire de pouvoir qu'un journaliste puisse passer deux mois voir plus sur une enquête et on veut aller vers ça pour que l'information soit solide. Donc la 5G, on a fait vraiment la connaissance. La première enquête de fond en France sur le sujet. Et puis 6 mois après, un an après, on a contribué, je veux dire, mais c'est parti comme une fusée et là contestation sur le 5G, c'est bon. Je vais, je vais pas dire trop bien de Reporterre mais c'est vraiment pour signaler cet aspect important que la presse indépendante ne vaut pas seulement parce qu'elle est encore petite, hein, tous ensemble, avec tous les gens que j'ai cité et tous ceux que j'ai pas cité, on doit peser 5% de TF1. Mais i l y a cet effet de levier, on ouvre des portes et on oblige les médias mainstreams, même s' ils sont possédés par d'affreux milliardaire, quand même parlé de tel et tel sujet. Donc on oriente beaucoup.

Margaux Vulliet : J'aurais une dernière question justement, tu tu parlais des des autres médias sur l'écologie bas qui se multiplient, bon pote, climax vert et cetera.

Hervé Kempf : Actu environnement, l'âge de faire, silence…. J'insiste, parce que il y a un petit côté parisien et Internet à oublier aussi tout ce qui peut se faire à par ailleurs, notamment en presse en presse papier et par exemple l'âge de fer ou silence. Bon Silence a pas de site Internet ou très rudimentaire. Mais pour moi, c'est un journal important parce qu' il a ouvert historiquement beaucoup de champs. Il y a beaucoup de champs de la réflexion écologique, ils ont ouvert beaucoup, beaucoup de thèmes.L'âge de fer aussi, qui est un journal important, parce qu’ils reposent aussi largement sur un système de dons et d' abonnement assez original et ouvre aussi beaucoup de champs, notamment sur les alternatives. Mais bon, il y a Actu environnement qui est plus professionnel. Voilà, mais c'est bien qu' il y a cette variété qu'on on est nombreux quoi à œuvrer dans le même sens, avec des moyens et des approches différentes.

Margaux Vulliet : Oui, donc tu vois plus comme un levier collectif plus tôt que “Bah faut qu'on commence à se différencier les uns des autres parce que on va tous finir par faire la même information.” Chacun arrive à bien garder sa ligne ?

Hervé Kempf : Nous, on est dans un esprit coopératif. ll va y avoir un rassemblement de la presse pas pareille à Nice, là tout début juin, dans quelques jours, évidemment, on va y aller... Là, on travaille sur une charte de l'écologie médiatique, l'idée était lancée par Vert. Et puis du coup, on est plusieurs médias à y travailler, ça fait du du vraiment bon boulot et avec d'autres journalistes, donc on va voir ce que ça donne. Avec Mediapart, on s'entend bien et on a même fait une enquête commune sur Bures, sur la répression policière incroyable qui s'est exercée à l'endroit des militants opposés au projet de déchets radioactifs dans la Meuse. Et on a très bien bossé ensemble, donc on peut vraiment être dans des coopérations. C'est difficile parfois, mais il faut être bien, il faut chercher la coopération et pas la concurrence parce que là, on rentrerait dans un univers délicat et moi je pense qu’il y a matière pour tout le monde. Il y a de la place pour tout le monde. Le sujet dont on parle est, je le répète, le sujet politique essentiel du début du 21ème siècle. Je suis un dingue de médias et journaux. Vous l'avez compris, chaque fois que je prends le train, donc assez souvent je regarde les kiosques et les relayages. Regardez le nombre de journaux d'histoire, ou même le nombre de journaux, c'est un peu désolant, d'auto. Qu'est ce qui se passe ? En fait, on ouvre tout un public, c'est pas tel média va prendre à tel autre où tel autre va prendre Un tel autre. C'est si on œuvre bien ensemble, dans la diversité, en faisant chacun ce qu'on sait bien faire, comme un bouquet de fleurs, on ne va pas faire tout le champ de tulipes, le champ de tulipes, il faudra beaucoup d'engrais. Au bout d'un moment, ça fera des catastrophes. Mais bon c'est c'est une image bucolique mais surtout qu'on est au printemps, vous avez des coquelicots, vous avez des pivoines, vous avez des lilas, vous avez des des géraniums, vous avez des roses, vous avez plein de fleurs dont vous connaissez pas le nom. Et puis ça s' harmonise avec des herbes.Mais c'est ça, et donc il faut qu'on on soit un peu dans cette idée donc Bon pote il fait un super boulot, Silence, j'en ai parlé, Vert aussi dont la lettre d'information est très bien, Action environnement, c'est une information sérieuse etc…. Voilà je pourrais citer tout le monde et chacun est dans sa diversité, donc restons là-dessus. Maintenant, je rencontre souvent des gens qui disent “Bah moi, je lis plus Le Monde ou Libération, bah je regarde Mediapart comme ça j'ai un peu, je regarde Reporterre, je vais regarder France Info.” Enfin ils vont citer 3/4 titres. Et puis comme tout le monde peut quand même ne pas passer 4h, faut quand même être journaliste pour s'envoyer autant d'informations dans la journée à regarder plein de sites, ou être à Médianes, donc vous vous en bouffez aussi, mais voilà les gens ils ont besoin de s'informer. Et maintenant, ce que je veux dire, c'est que cette galaxie de médias indépendants et peut être de tous ces médias environnements, Ben on n'a plus besoin d'aller vers les mêmes Stream qui sont pas mal en soi, je ne critique pas les journalistes, tout simplement, ils appartiennent à des milliardaires et donc quand vous appartenez à des milliardaires, on voit des grands groupes financiers, bah il va y avoir un problème dans le traitement de l'information donc essayons de voir ça et nous on est plutôt dans cette optique à Reporterre, à faire des faire des coopérations. On voit plutôt la presse indé’ comme un archipel de résistance, alors chacun, chacun fait son taf dans son coin. Et puis à un moment donné, on a besoin d'être ensemble. On a besoin d'être ensemble. Là, hop, on se ré agglomère, on on bosse ensemble. Mais il ne faut pas le vivre dans une ambiance de concurrence à mon avis.

Margaux Vulliet: Merci beaucoup d'avoir pris le temps de de répondre à mes questions, merci à vous, chers auditeurs et auditrices. Vous pouvez retrouver les autres épisodes de chemin sur toutes les plateformes d'écoute. Surtout, prenez soin de vous et de vos médias.

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