Podcast — Julie Hamaïde, Koï Magazine : se lancer seule dans l’aventure média (1/6)

Julie Hamaïde est la fondatrice de Koï Magazine, média sur les cultures et communautés asiatiques. Elle est l'invitée du premier épisode de la première saison de Chemins, le podcast de Médianes.

Margaux Vulliet
Margaux Vulliet

Julie Hamaïde est la fondatrice de Koï Magazine, un média sur les cultures et communautés asiatiques. Au départ journaliste, elle s’est confrontée à des aspects de l’entrepreneuriat média auxquels elle n’était pas formée. Elle s’est alors entourée des personnes compétentes. Se lancer seule : est-ce un gage de liberté ou une épine dans le pied ?

Transcription intégrale

Margaux Vulliet : Bonjour à tous, bonjour à toutes, bienvenue dans le podcast de Médianes qui va à la rencontre des fondateurs et fondatrices de médias pour qu'ils et elles vous partagent leurs retours d'expériences. Je suis Margaux Vulliet, journaliste chez Médianes, et vous écoutez Chemins. Dans cet épisode, nous allons à la rencontre de Koï Magazine. Koï Magazine, c'est une revue de société qui raconte les cultures et communautés asiatiques créée en 2017. Julie Hamaïde, la fondatrice, est partie d'un constat : la communauté asiatique est mal ou peu représentée dans les médias français. Au fil des numéros, Koï parle de mode, de sport, de sexe, de cuisine ou même de cinéma et j’en passe. Mais à la fin de l'année 2021, après 24 numéros et autant de belles couvertures, la parution papier s'est arrêtée. En cause, l'augmentation du prix du papier et une volonté de ne pas augmenter le prix du magazine. L'attention se concentre désormais sur les réseaux sociaux et sur le site Web. Julie Hamaïde est avant tout journaliste, se lancer seule dans le monde de l'entreprenariat média est toujours un défi, entre d'un côté la partie commerciale et de l'autre tous les détails importants auxquels on ne s'attend pas. Alors, se lancer seule est-ce un gage de liberté ou une épine dans le pied ? Comment se lance-t-on ? Quelles sont les principales difficultés et comment on les surmonte ? On en parle avec Julie Hamaïde. Julie, bonjour.

Julie Hamaïde : Bonjour.

Margaux Vulliet : Tu es la fondatrice de Koï Magazine. II y a eu 24 couvertures, qui sont d'ailleurs très belles, il y a des illustrations, des photos. S'il y en a une que tu devais retenir et qui t'a marquée ce serait laquelle ?

Julie Hamaïde : C'est hyper dur. J'ai aimé toutes les couvertures. Comme on va parler de l'industrie médiatique, j'ai envie de parler de celle de Teddy Riner. On a fait le choix d'avoir un grand champion olympique en couverture de notre magazine sur les cultures et communautés asiatiques. Il se trouve que c'est un homme noir, c'est une couverture qui a très mal marché. Est-ce que cela veut dire qu'en France avoir un homme noir en couverture ça marche moins bien et est-ce que ça veut dire que notre public ne s'est pas retrouvé en lui ? C'est une question qui reste en suspens, mais je pense qu'il y a quand même un sujet sur les diversités qu'il faut aborder dans les médias, sur la représentation et sur le fait que les lecteurs papiers ne sont pas toujours très, très fans de ce genre-là de couverture.

Margaux Vulliet : Et s'il y en a peut être une deuxième, qui serait un petit peu ton coup de cœur personnel, que tu as eu le plus de plaisir à boucler ?

Julie Hamaïde : Alors j'allais dire la première et ensuite t'as demandé si j'avais eu du plaisir à le boucler, mais j'ai trop pleuré. J'ai beaucoup trop pleuré pour le bouclage du premier numéro. C'était une grande fierté parce que c'était le premier numéro, on a mis trois inconnus français d'origine asiatique à la Une d'un média. C'était quelque chose qui ne s'était jamais fait auparavant. C'était trop beau, j'étais trop fière. La première, c'est toujours un truc un peu spécial. 

Margaux Vulliet : Qu’est ce que tu as ressenti quand tu l'as eu entre les mains pour la première fois ?

Julie Hamaïde : Beaucoup de fierté ! J'ai réalisé aussi tout le chemin parcouru parce qu’on va en reparler, mais créer un média de toute pièce, c'est énormément de choses. J'ai regardé très vite si le code-barres était bien sur la couverture parce que j'avais oublié de le commander juste avant de l'envoyer chez l'imprimeur. En plus on avait fait une campagne d'affichage, donc après je voyais ces gens-là, ces visages-là qui ressemblaient à mes proches, à ma famille donc, dans les kiosques de Paris, c'était vraiment chouette !

Margaux Vulliet : Tu passais devant les kiosques et tu disais « Ah ça c'est moi ! » ? 

Julie Hamaïde : Oui je m’arrêtais pour les prendre en photo, j'étais trop fière.

Margaux Vulliet : Et tu as eu des retours d'ailleurs par exemple, le premier numéro, des gens qui t'envoient des photos de la couverture en kiosque ?

Julie Hamaïde : Grave, tout le monde était fier. Il y a ceux qui posaient évidemment en couverture, qui était très heureux. Et puis tous mes proches qui me disaient « oh il y a Koï et tout dehors ». Bon, c'est nous qui avons payé la campagne, mais ils étaient là.

Margaux Vulliet : Alors le premier numéro, il est sorti en 2017. J'en parlais un petit peu en introduction, mais c'est mieux si c'est toi qui l'explique. Comment t'es venue l'idée de lancer une revue sur les communautés asiatiques ? C'est parti d'un constat. Est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus ?

"Il y a un décalage entre ce que je vois autour de moi, dans les communautés asiatiques, ce qui me semble être intéressant et ce qui n'arrive pas à sortir dans les médias."

Julie Hamaïde : Oui, moi je suis journaliste de formation, j'étais pigiste. Je proposais régulièrement des sujets à plein de médias différents qui étaient souvent acceptés. Comme je suis d'origine vietnamienne par mon papa, j'étais aussi toujours très intéressée sur ce qui s'écrivait en France, sur les cultures et communautés asiatiques, avec une frustration : c'était de voir uniquement des articles sur la prostitution, les appartements raviolis, le Nouvel An « chinois ». Je mets des guillemets à chinois puisque en fait, il n'est pas fêté qu’en Chine. Donc voilà une certaine frustration : quand je proposais aux médias avec lesquels je travaillais des articles sur les communautés asiatiques en général, ils étaient refusés, donc je ne comprenais pas trop. Je me disais qu'il y a un décalage entre ce que je vois autour de moi dans les communautés asiatiques, ce qui me semble être intéressant et ce qui n'arrive pas à sortir dans les médias. Donc déjà il y avait cette frustration, et ensuite il y a eu l'agression d'un homme chinois à Aubervilliers. Qui a été agressé parce que Chinois, parce que les agresseurs pensaient qu'il avait de l'argent sur lui. Il est mort de ses blessures. Ça, ça a créé pas mal d'émoi. Évidemment, dans la société française, particulièrement dans les communautés asiatiques qui ont manifesté leur soutien à ce moment-là. Ensuite Frédéric Chau, l'acteur de Qu'est ce qu'on a fait au bon Dieu ?, et plein d'autres films, était invité sur tous les plateaux et on n'arrêtait pas de lui demander : « Alors, vous, en tant que Chinois, qu'est ce que vous en pensez ? ».

Margaux Vulliet : Et toi justement en tant que journaliste comment tu analyses le traitement de cet événement en particulier, et de la communauté asiatique en général ?

Julie Hamaïde : Les médias ne savaient pas trop à qui demander, donc on demandait au seul acteur chinois en France qui pouvait donner son avis sur la question et c'est là où je me suis dit « mais c'est dommage que ce soit le seul à répondre et que lui ne se sente pas forcément porte-drapeau à ce moment-là de toute la communauté asiatique ».

Margaux Vulliet : Et il a fait d'ailleurs la couverture du numéro 4 il me semble.

Julie Hamaïde : Oui et donc à ce moment-là, je me suis dit, et j'en ai parlé avec Frédéric que j'ai interviewé pour un autre média sur un autre sujet, « c'est fou qu’il n’y ait pas de médias qui parle plus des communautés asiatiques, qu'on ne sache pas qui sont les représentants des communautés asiatiques et que Frédéric Chau soit le seul invité sur les plateaux pour en parler ».

Et il faut que les non-Asiatiques connaissent mieux ces communautés-là, que les Asiatiques se sentent représentés et que tous les fans de cultures asiatiques puissent avoir aussi une base de référence qui leur permette d'en savoir plus. Aujourd'hui, enfin à ce moment-là, on avait quand même des connaissances assez superficielles des cultures asiatiques.

Margaux Vulliet : Est-ce que tu t'es dit « finalement il n’y a pas vraiment de magazines qui traitent des communautés asiatiques, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Je vais le faire et voir ce que ça donne » ? Est-ce que tu as eu cette réflexion ?

Julie Hamaïde : Ce n’est pas vraiment comme cela que ça s'est passé. C'est-à-dire qu'il y a eu ce constat et ensuite j'ai essayé de voir ce qui se faisait parce qu'il y a toujours des petites initiatives : Le Courrier du Vietnam, Chine Info qui existent, enfin des médias un petit peu comme ça, éparpillés qui parlaient souvent à une communauté pas forcément de manière globale et grand public. Je regarde un petit peu tout ce qui se fait, je me rends compte que ça ne répond pas vraiment aux attentes personnelles que moi j'avais, et je me dis « ah mais il faut trop qu’on crée un truc ». Il faut que ce soit un magazine papier, je n'ai pas envie que ce soit un blog ou un truc comme ça. En 2017, tout le monde n'était pas encore passé au numérique donc je me disais juste que j'ai pas envie que ce soit un WordPress.

Margaux Vulliet : Mais c'était important pour toi, dès le départ, que ce soit une revue papier ?

Julie Hamaïde : Oui, un vrai média, un truc avec un objet, quelque chose dont aussi les communautés asiatiques pourraient être fières et se sentiraient représentées sur du papier glacé. Tu vois, vraiment le truc, ils l'ont entre les mains et se disent « Waouh cool, ça, c'est notre média quoi ! » C'est comme ça que c'est arrivé, et ensuite je me suis dit « bon moi ok j'ai toutes les idées édito, il faut que je trouve quelqu'un qui sort d'école de commerce et qui va m'aider à monter l'entreprise, on va faire un truc ».

"Je me suis dit « pourquoi pas »" 

Margaux Vulliet : Alors justement tu t'es lancée seule au départ, mais tu es allée chercher quand même des conseils à droite, à gauche. Comment ça s'est passé au début ?

Julie Hamaïde : Alors j'ai eu cette idée-là, je n'arrêtais pas d'y penser. J'en ai parlé à mon meilleur ami de l'époque qui était graphiste, qui m'a dit « ouais, trop bien, viens on le fait, moi je te fais la maquette, on essaie ». J'en parle à mon père, j'en parle un peu autour de moi et je sens qu’il y a un petit truc. J'en parle aussi en septembre 2016 à Myriam Levain de Cheek Magazine, cofondatrice, pour qui je travaillais. Et elle m’a dit « oui bah tu vas le faire ». Cette phrase est restée, je me souviens du restaurant dans lequel on était, je me souviens de ce qu'on mangeait, je suis sûre qu'elle s'en souvient aussi. Et en fait en me disant ça, c'est comme si elle me donnait l'autorisation de le faire, elle avait confiance en moi.

Margaux Vulliet : Est-ce que c'était une question de légitimité aussi ?

Julie Hamaïde : Oui, c'est un peu ça. Donc c'est un peu comme ça que ça s'est fait. Je me suis dit « pourquoi pas. Ok bon bah attends comment on fait un magazine papier ? Bon, déjà on réfléchit aux rubriques, qu'est ce que je voudrais mettre dedans ? Ok, je vois un peu de ça, un peu de ça. Ah ça, je peux l'appeler comment ? ». Donc j'avais un petit carnet.

Margaux Vulliet : Très concrètement, comment tu as construit le magazine au début, tu as brainstormé avec toi-même ?

Julie Hamaïde : Exactement. Je me suis dit que je voulais interviewer des gens connus, intéressants, inspirants. Je voulais aussi du reportage : « on va aller dans les territoires un petit peu partout en France pour essayer de rencontrer un peu les communautés, comment elles se sont installées, etc. On peut faire aussi une rubrique mode parce que ça plaît bien aux gens. Tiens, on va l'appeler comme ça, c'est rigolo. Ah, on va faire aussi un un jeu de mot avec un portrait chinois comme ça, ce sera assez simple. Je trouve des trucs comme ça au bout d'un moment, ça, ça pourrait faire on va dire huit pages ». Mais au début c’est vraiment un truc à l'arrache. « Interview, six pages. Parce que huit ça fait un peu long. Reportage là, huit pages parce qu'il y a des belles photos. Il pourrait y avoir une belle double au milieu, j'aime bien les trucs comme ça, etc. », donc c'est un peu comme ça, les premières idées je les mets sur un carnet à la louche, vraiment à la louche. Et ensuite je me dis « bon, bah du coup ça ça fait 50, 62, 26. Bon bah peut être 100 pages, ce serait pas mal un truc comme ça. Bon je vais voir », puis je commence à en parler autour de moi et à d'autres fondateurs de médias. J'en parle au fondateur du 13 du mois qui est devenu Soixante-Quinze, qui a arrêté pile au moment où moi je me lançais, il me donne ses conseils. J'en parle aussi au fondateur de Socialter.

"Ne te lance pas dans le papier"

Margaux Vulliet : Et justement, les conseils les plus précieux que tu retiens encore aujourd'hui seraient lesquels ?

Julie Hamaïde : David Even de Soixante-Quinze. Il m'a dit "ne te lance pas dans le papier." 

Margaux Vulliet : Tu l'as bien écouté.

Julie Hamaïde : Oui ! Je sais pas quels sont les conseils les plus précieux, tous les conseils étaient hyper intéressants. Myriam, de Cheek qui n'avait pas lancé un média papier mais qui a quand même lancé un média assez important, m'avait dit : « tu ne te rends pas compte à quel point ce sera difficile et c'est très bien parce qu'en fait là tu arrives et à chaque problème tu te dis "bon ben j'ai juste ce problème à résoudre". Sauf qu'en fait après il y en a un autre, un autre, un autre, un autre », il y en a 1 200. Donc c'était bien aussi de prendre les choses un peu une par une.

Ensuite, ce sont des conseils ou des contacts. « Tiens, appelle tel imprimeur de ma part, va voir telle société qui s'occupe de la répartition dans les kiosques », c'est ça qui est assez précieux. C'est aussi les contacts. « Tiens, j'ai un comptable qui sait s'occuper de la presse », c'est hyper important. C'est ça en fait le plus précieux, ce sont les contacts de gens de référence qui sont bons, qui nous ont aidés.

Margaux Vulliet : Et c'est un réseau que t'avais déjà toi de ton côté ou que l'on t'as donné au fur et à mesure ?

Julie Hamaïde : Ah, je suis allée voir les autres.

Margaux Vulliet : Tu leur as écrit en disant : « je lance mon magazine, j'ai besoin de vos conseils ».

Julie Hamaïde : Oui oui je suis allée voir aussi Marie Kirschen de Well Well Well. Et je lui avais demandé quel était son statut : une association, une SASU, une SAS, SARL, comment ça se passe ? Je demande la même chose à Olivier de Socialter. Et à chaque fois en fait chacun me dit « moi, au début, j'étais bénévole. Ensuite, j'ai créé telle structure, ensuite, il y a tel copain qui est venu m'aider. Finalement, on s'est engueulé donc ne t'associe jamais », enfin plein de trucs comme ça. Puis j'ai candidaté aussi pour un incubateur de StreetPress. Ça m'a permis aussi de voir d'autres médias, de voir d'autres personnes qui étaient dans les médias, de voir un petit peu comment on faisait un business plan. Quand t'es journaliste, quand t'as fait un bac classique, fac de droit, école de journalisme, tu ne sais pas ce qu'est un business plan, donc là tu découvres encore quelque chose.

Margaux Vulliet : Oui, t'as découvert tout cela petit à petit, au fur et à mesure.

Julie Hamaïde : Complètement, un problème après l’autre. Des fois, il y en a beaucoup d'un coup, il faut un peu de sang froid pour retrouver le côté « l'un après l'autre ». Ça, je crois que c'est la même chose pour tous les entrepreneurs, même quelqu'un qui ouvre un café, c'est pareil.

"Zut ! Le code-barres !"

Margaux Vulliet : Oui, tu parlais du premier numéro tout à l'heure. Pour les anecdotes, il y avait le code-barres, les styles de papier, des détails auxquels on ne fait pas forcément attention, qui, en fait, sont hyper importants. Sur le premier numéro, comment est-ce que tu as géré tous ces aspects-là ?

Julie Hamaïde : Il a pris beaucoup plus de temps que les autres. Il a pris quasiment un an au lieu de moins de trois mois. Et là, tu m'en parles et j'ai beaucoup de tendresse, je regarde mes souvenirs avec beaucoup d'émotion, de bienveillance. Sur le moment c'était horrible, j'arrêtais pas de pleurer. Franchement le premier numéro je n'ai pas arrêté de pleurer, je m'engueulais aussi beaucoup avec mon meilleur ami sur la maquette. Je viens du journalisme, je n’ai jamais vendu de produit de ma vie. Par exemple, j’avais complètement oublié le code-barres. La veille du jour où l'on envoie la couverture chez l'imprimeur. Je l'envoie à ma répartitrice, qui est chargée de me dire dire combien de magazines je distribue, dans combien de marchands de journaux. Je lui envoie la couverture pour qu'elle me donne son avis. Elle me dit « super, vous avez pensé aux code-barres ? ». Zut ! Le code-barres, c'est vrai que si tu vends un produit en France, t'as besoin d'un code-barres, que les gens puissent le scanner, qu'on puisse faire les stocks, etc. Et j'ai complètement oublié. Finalement, il fallait demander aux MLP (Messageries Lyonnaises de Presse) et ce n'était pas très long. Il y a plein de trucs que j'ai découvert. Par exemple d'employer quelqu'un pour le salariat : il faut faire sa médecine du travail, je n'étais pas au courant. Enfin plein de trucs comme ça.

Et sinon, concernant le choix du papier, ça été plus agréable pour moi, parce que j'aime le média papier depuis toujours, j'aimais plein de magazines et j'ai commencé à rencontrer des imprimeurs et je prenais des magazines que j'aimais bien. Je lui disais, « tiens, la couverture de Vanity Fair, j'aime bien l'épaisseur. Par contre, c'est un peu trop vernis, j'aime pas trop. Par contre, Welcome to the jungle, c'est un peu mat, c'est joli, mais il y a un petit toucher, un peu granuleux que j'aime pas. Ah oui, tel effet donc ça coûte plus cher ». 

C'est un conseil qu'on m'avait donné. Tu prends un truc que t'aime bien et tu vois, tu demandes aussi des échantillons que l'imprimeur a l'habitude de faire. Donc en fait, tu procèdes comme ça, tu tâtonnes encore une fois et puis au bout d'un moment tu trouves celui que t'aime bien.

Margaux Vulliet : Ça a été long, fastidieux. Tu as passé la première marche en tout cas, c'était peut être la plus dure. Au fil des numéros j'imagine que c'était quand même plus simple. Comment, au fil des numéros, tu t'es entourée, tu as gagné en confiance, comment ça s'est passé ?

Julie Hamaïde : Tout se fait de manière assez naturelle, c'est-à-dire que pour le premier numéro, on était tous bénévoles. Vraiment, je savais même pas si ça allait marcher, presque si ça allait sortir. J'avais écrit quasiment la moitié du magazine toute seule. C'était le pari. Et puis ensuite t'as des gens qui te recommandent d'autres personnes. Tu vois Myriam Levain qui me dit « bah tiens, moi, j'ai eu tel stagiaire, je la trouve super, elle est carrée. Tu devrais lui demander si ça l'intéresse », donc je lui demande, elle m'a écrit un papier, ça se passe bien. Ensuite, je réussis à la payer un petit peu pour le numéro d'après. Puis le numéro d'après, je la paye encore différemment. Puis finalement, je finis par la salarier. Voilà, c'est comme ça que ça se fait. On finit par rencontrer des gens. Il y a des annonceurs qui nous disent « tu devrais demander à tel autre annonceur, peut-être que ça t'intéresse ». T'as des abonnés qui disent à leurs copains « tu devrais t'abonner ». Tout se fait petit à petit.

Margaux Vulliet : Oui, et alors justement, au début, le but aussi, c'est de se faire connaître. Vers qui tu t'es tournée pour construire cette communauté ? Tu collais toi-même les affiches dans le 13e arrondissement. Comment ça s'est passé au début pour se faire connaître ? Il faut construire un modèle économique, faut être rentable. Comment tu t'y es prise ?

"Le premier truc, c'était l'appel au financement participatif. Tout simplement, je n'avais pas assez d'argent."

Julie Hamaïde : Le premier truc, c'était l'appel au financement participatif. Tout simplement, je n'avais pas assez d'argent pour imprimer suffisamment de magazines et me lancer là-dedans. Et c'était aussi une manière de tester l'idée. Est-ce qu'il y a des gens qui sont prêts à payer, et mettre un petit peu d'argent pour voir ce projet éclore ? Donc, en mai, je crois, 2017, j'ai lancé un crowdfunding avec une association qui travaille sur ces thèmes de communautés asiatiques en France. Et l'idée, c'était d'essayer de regrouper les gens autour de cette initiative et c'est très cool parce que ça a bien marché. Maintenant avec du recul, je me rends compte, je m'en rendais déjà compte à l'époque, mais là encore plus, on a quand même réuni 18 000 €, c’est énorme !

Margaux Vulliet : C’était l'objectif de départ ?

Julie Hamaïde : C’était 16 000 € donc on a un petit peu dépassé. Moi, j'ai épuisé mes proches. C'est dur, hein, le crowdfunding. On peut en parler plus en détail.

Margaux Vulliet : Oui, t'as fait notamment appel à ton premier cercle au départ donc c'est eux qui ont été les principaux ambassadeurs et relais.

Julie Hamaïde : Oui, dans le crowdfunding au début tu en parles à tes proches, tu leur dis « vas-y mets 20 € s'il te plaît juste pour faire monter le truc, pour mon anniversaire ne m’offre rien, mets dans la cagnotte. Mamie s'il te plaît mets 20 €, même si tu sais pas utiliser Internet, demande à ma sœur de le faire pour toi ». Donc vraiment tu épuises tes proches. Ensuite, c’est les amis d'amis, donc là tu réécris à tes proches en leur disant : « tu peux le mettre sur ton Facebook, vas-y tu peux en parler à tes copains, t'as pas une pote qui est thaïlandaise, parle-lui ». Tous les moyens sont bons. Puis ensuite là c'est le 3ème cercle, c'est essayer d'en parler autour de toi donc par exemple via des médias ; Cheek en a parlé, Clique TV, et je me demande si le Bondy Blog n'en avait pas parlé aussi.

Margaux Vulliet : J'ai entendu aussi que Benjamin Griveaux avait en avait parlé aussi. Est-ce que tu peux nous raconter cette histoire rocambolesque ?

Julie Hamaïde : Il devait y avoir des législatives dans le game et Benjamin Griveaux est allé à la rencontre des commerçants chinois dans le 3e arrondissement de Paris et j'ai levé la main et j'ai dit : « je fais un magazine sur les communautés asiatiques, ce serait bien d'avoir du soutien ». Et puis il s'est engagé devant son auditoire, à le soutenir, donc il en a parlé effectivement sur ses réseaux sociaux. Et après, surtout, j'ai créé les réseaux sociaux de Koï et je suis allée voir toutes les personnalités d'origine asiatique que je connaissais de nom mais que je ne connaissais pas en personne. Je leur ai dit « bah voilà je m'appelle Julie, je vais faire un magazine sur les communautés et cultures asiatiques. Est-ce que tu veux bien partager mon crowdfunding s'il te plaît ? » Et en fait les gens l'ont fait ! Donc le comédien Steve Tran m'a proposée qu'on se rencontre, il a fait des stories, il n'a pas arrêté d'en parler. Pierre Sang, le cuisinier qui a été révélé à la télévision, en a parlé aussi. Il y en a plein comme ça qui ont pris l'initiative aussi et qui en ont parlé autour d'eux. Et ça c'était hyper cool, surtout qu'à ce moment-là personne ne me connaissait. Enfin, je suis pas connue, vraiment j'étais personne, personne.

Margaux Vulliet : Oui, c'était important d'avoir des relais d'influence, de gens que l'ont suit, qui ont un réseau un peu plus important, une communauté.

Julie Hamaïde : Et ils y ont cru ! Enfin, j'aurais pu être n'importe qui et me casser avec l'argent. Ils ont vraiment senti le truc et leur soutien a été hyper bénéfique.

Margaux Vulliet : Et cet exercice-là, d'aller vers les gens, de vendre ce qu'on produit, comment tu l'as appréhendé ?

Julie Hamaïde : C'était horrible ! Ça dépend de ta personnalité. En ce qui me concerne, j'adore les médias et j'adore Koï, donc je vais t'en parler avec passion, je suis hyper éveillée quand j'en parle. Mais sinon être dans cette démarche où tu dois demander quelque chose à quelqu'un, ça, c'est quelque chose qui est très difficile pour moi, c'est pas dans mon caractère. Même dans la vie de tous les jours ! Par exemple, si je suis dans la rue, j'ai besoin de me moucher, je n'ose pas demander à quelqu'un, tant pis, je me débrouille, je me gratte le nez, j'utilise mon T-shirt. Je n'ose pas demander aux gens. C'est mon caractère. Donc là quand t'as un média, quand t'as une entreprise et que t’as besoin de faire ce pas-là, c'est hyper compliqué. Après j'ai de la chance parce qu'il y a des gens qui ont répondu tout de suite. Écrire un message sur Instagram pour dire « coucou, j'ai fait un magazine, est-ce que tu veux en parler ? », ce n'était pas trop coûteux dans le sens où je ne perdais rien, c'était en plus à l'écrit donc peut-être que ça me faisait moins peur. Et puis les gens ont répondu tout de suite. Et après, quand le média s'est lancé, on a eu énormément de presse. France 24, France Inter, Elle, Grazia, c'était dingue, c'était trop bien.

"J'avais toujours l'impression d'être le petit oiseau et de demander aux autres un petit peu leur bienveillance."

Margaux Vulliet :  Oui, une fois que t'as passé cette marche-là, après ça se diffuse.

Julie Hamaïde : Oui il y a eu beaucoup d'intérêt, beaucoup de gentillesse, de curiosité de la part des médias et ça c'est cool parce que ça intègre Koï dans le milieu, on n'avait pas de crise de légitimité. « Ok il y a un nouveau média qui se crée, il est quali, il est beau, il est important. Il est là, il existe, on vous en parle », donc au moins je n'avais plus peur d’aller voir les gens. Pareil sur France 2 dans Télématin, ils en ont beaucoup parlé.

Margaux Vulliet : Donc tu es allée voir ces relais d'influence. Est-ce que tu es aussi allée voir des entreprises pour qu'elles investissent dans ton média, tu as dû faire aussi cet exercice : « Je vous présente ce que je fais, est-ce que vous voulez bien mettre de l'argent dans mon produit et dans mon média » ? 

Julie Hamaïde : Oui alors ce n'était pas des investisseurs, mais des annonceurs donc ça veut dire que tu leur vends une prestation : une page de pub ou un publi-rédaction ou quelque chose comme ça. Donc effectivement c'était hyper difficile pour moi de le faire, surtout que je n'ai pas de fibre commerciale voire même j'étais un peu contre ça, ça m'énerve de le faire. Donc je le faisais un petit peu avec la même énergie que lorsque je parle de Koï à un copain. Mais j'ai eu une crise de légitimité parce que je me trouvais pas assez pro, pas assez femme d’affaires. J'y allais en disant : « hey coucou, alors voilà, je m'appelle Julie, j'ai fait ça, ça, ça ». J'avais toujours l'impression d'être le petit oiseau et de demander aux autres un petit peu de leur bienveillance, de leur aide, alors que finalement je leur proposais un service. Là-dessus, je me suis un peu musclée depuis. J'en ai parlé avec Siham de Génération XX. Tu montres un peu les muscles, au final tu dis « non non mais attends moi je te vends un service, c'est-à-dire que ça t'apporte quelque chose aussi à toi, ça ne m'apporte pas qu'à moi ». Donc depuis j'ai un petit peu grandi là-dessus, heureusement, mais au début c'était très très dur.

Margaux Vulliet : Et l'aspect commercial, t'en parlait, est-ce que aujourd'hui tu l’appréhendes mieux ou est-ce que ça reste difficile ?

Julie Hamaïde : L'aspect commercial ça va mieux. Faut prendre aussi ça un peu comme un jeu, faut pas le prendre trop personnellement, c'est-à-dire que t'envoie un mail avec une proposition, la personne ne te répond pas, tu renvoies trois jours après la personne ne te répond toujours pas, tu renvoies sept jours après, et là elle commence à te répondre : « ah j'ai pas vu tes anciens mails », et ce n’est pas grave. Alors qu'avant je n'osais pas relancer. Alors qu'en fait relancer c'est bien et ça c'est vraiment le truc du commercial. Je pense que c'est ça, c'est vraiment relancer, entretenir la relation. Tu m'as dit non aujourd'hui, c'est pas grave. Je te rappelle dans un mois. J'essaie d'être un petit peu scolaire, c'est-à-dire vraiment mes propositions c'est : j'envoie tout le mardi, je relance le vendredi, je fais ma deuxième relance le lundi d'après. Mais ça c’est très nouveau. Ça arrive petit à petit mais avant, j'avais ma commerciale l'année dernière, donc ce n'était pas trop à moi de le faire. Là j'ai repris cette partie-là.

"Tu regardes les chiffres, tu peux pas continuer. Donc il y a ce truc là un peu rationnel qui m'aide à prendre la décision."

Margaux Vulliet : Justement, la parution de papier s'est arrêtée fin 2021 avec l'augmentation du prix du papier. Toi tu n'as pas voulu augmenter le prix du magazine, tu as fait le choix d'arrêter la parution papier. Pourquoi ce choix ?

Julie Hamaïde : En 2021, les prix du papier ont commencé à vraiment augmenter, c'est-à-dire que nous, début d'année, on a pris 5 % et on s'est dit « ce n'est pas grave, on assume cette augmentation, ça nous fait un petit peu moins de bénéfices, mais c'est toujours ok pour nous ». Ensuite, à l'été, début d'été, nouvelle augmentation cette fois-ci, je crois de 10 %. Donc ça commence à être un peu tendu. En plus le COVID est passé par là, donc les annonceurs culturels se font de plus en plus rares. C'était l'été 2021, on ne savait pas qu'on allait commencer à s'en sortir. Nous on avait beaucoup d'annonceurs ciné, expo, donc ça faisait des mois qu'ils arrêtaient de prendre des pages de pub. Donc si tu veux, les revenus baissaient, et là, les dépenses, à cause de la hausse du prix du papier, commençaient à vraiment augmenter dangereusement. Et au mois d'août, mon imprimeur me dit « là, ça va encore augmenter en octobre, certainement en novembre. Je peux même pas vous dire de combien, mais je sais que ça va augmenter. Je peux pas vous proposer de prix, ou en tout cas si je vous propose un prix il est ok juste pour les deux semaines à venir, et si on reçoit du papier, je suis pas sûr qu'on reçoive les bonnes quantités et dans les temps ». Super ! Alors bon, je suis peut-être quelqu'un d'un petit peu angoissée mais je pense que quelqu'un même qui n'est pas angoissé serait un petit peu angoissé par cette nouvelle. Donc je me dis « oh là là, non mais là on va n'importe où, on ne sait même pas combien ça va continuer à nous coûter. On ne sait même pas si les revenus vont être là parce que s'il y a encore une crise, encore un confinement, les bars qui ferment, on est vraiment hyper mal ».

J'ai pris des conseils auprès d'entrepreneurs que je connaissais. Après quand tu lances un média, tu connais de plus en plus de monde donc tu te fais aider de plus en plus. On m'a dit « tu tires le frein tout de suite. Tu arrêtes tout de suite les dépenses, tu vérifies que tu peux payer tout ceux que tu t'es engagée à payer : tes journalistes, ton imprimeur et tes prestataires. Et là tu arrêtes ; si tu n'es pas sûre de pouvoir continuer, tu arrêtes », c'est ce que j'ai fait et la décision s'est prise en quelques jours.

Et je sais que les gens étaient surpris, et moi la première. Début septembre, quand sort le dernier numéro, le numéro 24, on dit aux gens qu'on arrête. En deux semaines, il a fallu prendre la décision qu'on arrête tout du jour au lendemain. Quand on a sorti le 24, quand on préparait le 24, pour moi, il y avait un 25. Il était limite déjà déjà lancé, je connaissais le thème. J'avais la date de remise à l'imprimeur et tout donc oui ça été assez brutal. 

"C'était évident, noir sur blanc. Tu regardes les chiffres, tu peux pas continuer."

Margaux Vulliet : Ces quinze jours-là, comment tu les as vécus, comment tu as pris la décision ? Plus sous la contrainte finalement ?

Julie Hamaïde : Oui, il y avait la contrainte mais c'était limpide. C'était évident, noir sur blanc. Tu regardes les chiffres, tu peux pas continuer. Donc il y a ce truc-là un peu rationnel qui m'aide à prendre la décision. J'avais écouté justement un épisode de Génération XX sur l'acharnement, quand t'as l'impression que ça ne peut pas continuer et que tu t'acharnes et là non, c'était pas possible. Tu vois les chiffres, c'est pas possible sinon ça allait me mettre dans des situations de stress, et de vraiment se demander si tu vas pouvoir payer les gens qui ont travaillé pour toi. Moi, je suis quelqu'un d'hyper raisonnable, je n'aime pas trop le risque, donc c'était impossible pour moi de lancer un autre numéro si je n'avais pas suffisamment en banque pour payer les gens d'avance. Donc c'était assez clair, même si la suite était totalement floue parce que c'était « ok on arrête, on va voir ce qu'on peut proposer ». Et là à ce moment-là, on faisait des réunions d'équipe et on se disait « bon, si le magazine papier s'arrête, qu'est ce qu'on fait ? Est-ce qu'on fait deux numéro par an ? Est-ce qu'on fait un site Internet ? Est ce qu'on fait une newsletter, un podcast ? ». Vraiment toutes les possibilités ont été mises sur la table. Quand ton idée c'est d'informer, de réunir autour des cultures et des communautés asiatiques, ça peut passer par autre chose qu'un média, ça peut être une série télé. Ça peut même être un jeu de société finalement. Donc, il y a plein d'idées qui sont possibles pour porter quand même ta vision. Et c'est un peu ça, ce à quoi on a réfléchi ensemble quelques mois en fin d'année 2021.

Margaux Vulliet : Ce que ça a donné, c'est que là, sur les réseaux sociaux, il y a quand même une bonne communauté. Koï est suivi par plus de 7 000 personnes sur Instagram. Tu mises bien sur ce compte-là, qui fonctionne bien. Et il y a le club sur lequel tu travailles en ce moment. En quoi ça va consister ? Est-ce que tu peux développer un peu cet aspect-là ?

Julie Hamaïde : C'est un aspect qui est encore en réflexion, même pour moi. Avant, nos revenus venaient des annonceurs, des achats au numéro en kiosques et des abonnés. Il y avait quand même une partie de nos lecteurs qui payaient un abonnement pour avoir accès à cette information-là. Aujourd'hui, on a notre site Internet sur lequel tous les articles sont gratuits, c'est-à-dire qu'on a des annonceurs qui payent pour être présents, mais les lecteurs, eux, ont tout gratuitement, il n'y a pas d'abonnement possible sur le site. 

"On met beaucoup de sueur et beaucoup de temps à ce qu'on fait. On va sur des terrains sur lesquels personne n'est allé avant et j'ai envie aussi de sentir un soutien."

Margaux Vulliet : Donc il faut revoir complètement le modèle économique.

Julie Hamaïde : Donc là, le modèle économique est complètement en branle et il faut trouver un autre moyen et j'ai aussi envie d'engager une communauté. Je n'ai pas envie que ce soit juste du tout gratuit tout le temps pour tout, parce qu'on travaille, parce qu'on met beaucoup de sueur et beaucoup de temps à ce qu'on fait. On va sur des terrains sur lesquels personne n'est allé avant et j'ai envie aussi de sentir un soutien. Et à travers l'abonnement, d'avoir cet engagement et de pouvoir voir plus loin, quand t'as des gens qui sont abonnés, tu sais que tu peux tenir sur un an ou plus. Là, l'idée du club, c'est de retourner à une forme d'abonnement, là nos abonnés pourront avoir accès certainement à des événements qu'on fera juste pour eux. Des conférences, des ateliers, des tables rondes avec des thèmes hyper précis qu'on avait déjà dans le magazine. Mais là, on est vraiment en construction de ça. On sait qu'il y a beaucoup d'annonceurs qui sont prêts à nous suivre aussi sur ces sujets, mais encore une fois, il faut trouver le modèle économique : combien on fait payer aux gens ? Combien ont-ils envie de payer ? Est-ce que c'est un abonnement de trois mois ou est-ce un abonnement à l'année ? Si c'est des formes différentes, ça veut dire plus de travail aussi pour nous pour suivre qui est abonné, à quel moment ? Est-ce que les événements, on les met sur des plateformes ? Est-ce qu'ils s'abonnent directement sur notre site ? Enfin, tout ça c'est encore une fois des nouvelles prestations des nouveaux produits. Et puis c'est un truc qu'on doit façonner. On doit lui donner un prix, une durée et un contenu. Donc ça c'est vraiment ce sur quoi je suis en train de me pencher en ce moment.

Margaux Vulliet : Et sur la partie commerciale, on y revient, mais là du coup, tu l'appréhendes beaucoup mieux et c'est plus naturel.

Julie Hamaïde : C'est plus fluide, en plus ça fait cinq ans donc le média est installé. La marque est installée, les gens savent ce qu'on fait, on a de la légitimité. Notre travail est qualitatif. Les musées, quand ils font une nouvelle expo, ils savent très bien que si on en parle dans le magazine, nos lecteurs, nos abonnés vont avoir envie d'y aller, qu'on fait du travail respectable. S'il y a une marque qui a envie de toucher les communautés asiatiques ou les gens qui aiment cuisiner asiatiques par exemple, ils savent qu’en allant chez nous, il y a moyen de faire un sans-faute. Enfin donc ça, c'est mieux. Ça reste difficile parce qu'en plus dans le commercial il y a de la négociation, c'est être parfois dans une petite confrontation, à savoir : tirer les prix vers le bas, devoir se vendre. Et ça, quand c'est pas ta personnalité, c'est vrai qu'il faut que t'ailles chercher en toi des ressources inattendues.

"Je parle des gens, j'aime ça. Leur donner tout l'intérêt qu'ils méritent." 

Margaux Vulliet : Justement, c'est beaucoup de contraintes, beaucoup de fatigue. Toi, qu'est ce qui te fait tenir ?

Julie Hamaïde : Les retours des gens, la fierté de faire des articles qui m'intéressent, de lire des trucs intéressants. Cette semaine, par exemple, on a publié un truc sur un artiste chinois qui est venu s'installer en France. Moi je trouve ça hyper intéressant parce que c'est quelqu'un que je connais et que je suis une fan depuis très longtemps, c'est hyper intéressant de lui donner la parole et que les gens se rendent compte de son parcours, de ce qu’il fait, remontrer à quel point son art est intéressant, la manière de créer pour lui. Récemment on a écrit aussi un autre article sur les familles franco-chinoises qui ne se sont pas vues depuis plus de deux ans à cause du COVID, parce que la Chine fait encore partie des pays les plus stricts par rapport au fait de venir en France ou d'aller en Chine. C'est quasiment impossible ou en tout cas c'est très compliqué et très coûteux. Et moi je trouve ça intéressant de porter ces sujets et de se demander comment ça se passe pour eux. En fait, je parle des gens, j'aime ça. Pas les rendre intéressants, mais leur donner tout l'intérêt qu'ils méritent, je trouve ça intéressant. Ça me plaît, ça me rend fière, et ensuite recevoir des messages, ça c'est trop cool. Je suis sûre qu'après cet épisode ensemble, il y a quelqu'un qui va m'envoyer un message en me disant « je vous ai écouté, j'ai découvert, je trouve que c'est chouette. Je vais commencer à regarder ». C'est bon, moi j'ai réussi, enfin je suis trop heureuse là-dessus. On nous a déjà envoyé des messages en me disant, « ça a créé des discussions avec ma famille », ça évidemment, ça me touche énormément. 

Margaux Vulliet : On sent la fibre journalistique, qui est toujours très présente. 

Julie Hamaïde : Ouais, puis la fibre humaine, c'est mon parcours personnel, mes grands-parents étaient immigrés en France. Même moi, quand j'ai fait des recherches sur les diasporas vietnamiennes en France, ça m'a permis de parler avec ma tante qui m'a expliqué leur histoire. Et ça, c'est hyper important parce que sans mon article et sans mes recherches, j'en n'aurais pas forcément parlé avec elle et ensuite quand on publie, t'as quelqu'un qui le lit et qui va aller voir ses parents en disant « ah mais tu connaissais ce truc, mais tu n'y es pas allé toi ? Ah si c'est vrai, je suis passé par ce centre de réfugiés. Ah mais c'est fou, c'est à quelle période ? ». Et ça créé des discussions entre les familles. En fait, tu découvres ton histoire et ça c'est chouette, ça me rend fière. Et puis même l'histoire de la France avec les pays d'Asie est hyper riche. Tu vois, je te parle pas forcément uniquement de la colonisation des Vietnamiens, des Cambodgiens qui sont en France, mais il y a aussi, par exemple, la création du Parti Communiste chinois qui a commencé les premières étincelles à Montargis, c'est hyper intéressant, ou des petits villages en Alsace où il y a plein de Coréens. Comment ça se fait ? C'était des échanges d'étudiants, moi je trouve ça hyper cool. C'est l'histoire de France en fait et c'est une histoire dont on ne nous parle pas trop.

Margaux Vulliet : Oui il y a les histoires, que Koï raconte. Il y a le site Internet qui est aussi amené à se développer encore plus. C'est quoi le projet là-dessus ?

Julie Hamaïde : Le projet du site c'est vraiment avoir des articles gratuits et continuer ce qu'on faisait sur le magazine et le proposer de plus en plus sur le site Internet, à raison d'un ou deux articles par semaine. On va certainement moderniser aussi le site pour que la lecture soit plus facile, parce qu'avant on n'était pas un site Internet d'information, mais c'était plus pour vendre le magazine et là du coup on est en train de moderniser tout ça. Et ça aussi pour moi c'est nouveau parce que je suis une consommatrice de presse papier à la base, donc il faut connaître de nouveaux trucs. Le SEO, le référencement, ça s'apprend et c'est parfois chiant, parfois passionnant. Ça dépend des jours ! 

Margaux Vulliet  Très bien. Merci à toi Julie.

Julie Hamaïde : Merci à toi.

Margaux Vulliet : Merci d'avoir accepté cet échange. Merci à vous de nous avoir écouté, d'avoir écouté cet épisode de podcast. Vous pouvez retrouver tous les épisodes sur les plateformes, surtout, prenez soin de vous et prenez soin de vos médias.

Julie Hamaïde : Et créez des médias !

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