Podcast — Raphaël Bloch, The Big Whale : quitter sa rédaction pour lancer son média (2/6)

Quitter sa rédaction et fonder son propre média. Raphaël Bloch est le cofondateur de la newsletter The Big Whale, spécialisée dans le Web 3. Il est l'invité du deuxième épisode de la première saison de Chemins, le podcast de Médianes.

Margaux Vulliet
Margaux Vulliet

Quitter sa rédaction et fonder son propre média. Raphaël Bloch est le cofondateur de la newsletter The Big Whale, spécialisée dans le Web 3. Il a quitté son poste de journaliste à L’Express pour monter son propre média, un sacré pari. Alors comment passe-t-on de journaliste à son propre rédacteur en chef ? Comment gère-t-on un média quand on n'a pas forcément la casquette de chef d’entreprise ?

Transcription intégrale

Margaux Vulliet : Bonjour à tous, bonjour à toutes. Bienvenue dans le podcast de Médianes, qui va à la rencontre des fondateurs et fondatrices de médias pour qu'ils et elles vous partagent leur retour d'expérience. Je suis Margaux Vulliet, journaliste chez Médianes, et vous écoutez Chemins. C'est dans une vidéo publiée sur Twitter le 8 avril dernier qu'ils ont annoncé le lancement de leur média. Raphaël Bloch, Grégory Raymond et Dimitri Granger ont fondé la newsletter hebdomadaire The Big Whale qui entend devenir le média de référence en matière de Web 3, Bitcoin, NFT, crypto-monnaie, et j'en passe. Autant de termes que beaucoup ne saisissent pas encore très bien, et pourtant, de plus en plus de médias s'en emparent. Les trois cofondateurs font le pari d'un modèle à la fois gratuit et payant à travers des articles de fond et du décryptage. Mais surtout, ils ont quitté leur rédaction pour lancer leur propre média. Raphaël Bloch était journaliste à L'Express et Grégory Raymond chez Capital.fr. Mais alors, comment passe-t-on de journaliste à son propre rédacteur en chef ? Comment gère-t-on un média quand on n'a pas forcément la casquette de chef d'entreprise ? Comment on saute le pas ? On en parle avec Raphaël Bloch. Raphaël, bonjour. 

Raphaël Bloch : Bonjour Margaux !

Margaux Vulliet : Tu es l'un des trois cofondateurs de The Big Whale. Avant de commencer, est-ce que tu peux préciser pour nos auditeurs et auditrices ce qu’est le Web 3 ? Le sujet au cœur de votre newsletter.

Raphaël Bloch : Le Web 3 c'est peu le troisième étage de la fusée Internet. Internet quand ça a été créé à partir des années 90, finalement, c'était un protocole assez simple : on pouvait s'échanger de l'information, donc ça permettait aux gens de communiquer entre eux. Et puis après, on a connu ce qu'on appelle le Web 2, c'est la période des années 2010 avec les réseaux sociaux, on a fait plus que communiquer en s'échangeant des vidéos, des photos ; c'est l'Internet mobile. Et puis le Web 3, c’est Internet qui est bâti sur ce qu'on appelle les technologies liées aux crypto-monnaies et à la blockchain qui permet de s'échanger plus directement de la valeur. On a commencé par l'information, après, on a pu s'échanger des vidéos, des photos à travers des canaux plus complexes sur les réseaux sociaux et aujourd'hui, on est capables de s'échanger de la valeur comme des crypto-monnaies.

"On considère que les médias traditionnels, qui font très bien leur boulot, n'ont pas compris à quel point ce sujet allait totalement bouleverser nos économies, nos vies."

Margaux Vulliet : Tu as été journaliste aux Echos pendant trois ans, à L'Express pendant deux ans. Pourquoi tu as eu envie de lancer ce média ? Est-ce que c'est parce que la façon dont les médias traitent ces sujets ne te convenait pas ?

Raphaël Bloch : Il y a eu pas mal de choses qui m’ont poussé avec justement Grégory et Dimitri à nous lancer. C'est d'une part effectivement un constat assez simple, c'est qu'on a face à nous une révolution, celle du Web 3. Aujourd'hui, on considère que les médias traditionnels, qui font très bien leur boulot, n'ont pas compris à quel point ce sujet allait totalement bouleverser nos économies, nos vies, le système politique, que ça allait totalement re-configurer toute la société. Donc on s'est dit qu’il fallait qu'on s'en empare nous-mêmes. Avec Grégory, on est tous les deux journalistes depuis maintenant quelques années, on travaille sur tout ce qui est crypto depuis 2016, 2017. On a réussi à traiter ces sujets, que ce soit chez Capital, aux Echos ou à L'Express, mais on considère qu'il faut en faire plus. On s'est dit, "on doit se lancer" et puis après il y a évidemment une aspiration personnelle, on a tous les trois eu des parcours différents. Dimitri, lui, ne vient pas directement de la presse, il a travaillé dans la communication et le marketing, il a fondé plusieurs entreprises. On s'est dit “on a maintenant cette expérience dans les médias, on se sent capable de créer notre propre média et donc tous les trois en se mettant ensemble, on va réussir à créer le média du Web 3".

Margaux Vulliet : Vous vous connaissiez bien avant de vous lancer ?

Raphaël Bloch : Alors Grégory je le connais parce qu'on est tous les deux journalistes sur les sujets liés aux cryptos, donc ça fait maintenant six ans qu'on se connaît, et Dimitri c'est peut-être le premier à avoir créé en France un site sur les sujets crypto. Il était passionné par le sujet et à l'époque il nous avait écrit, on avait commencé à échanger, on s'était rencontrés, on a gardé contact. Et puis il y a quelques mois, on a repris un verre et on s'est dit : on sort de deux ans de confinement. Le marché des cryptos explose, aujourd'hui on a des gens autour de nous qui ont acheté des cryptos, les entreprises s'y mettent et maintenant les états, on voit le Salvador. Donc c'est le moment d'y aller et donc on a décidé de partir tous les trois dans cette belle aventure !

Margaux Vulliet : Alors justement, autour de ce verre, qu'est-ce qui s’est dit ? Qu'est-ce qui a germé ?

Raphaël Bloch : Je pense que le plus important à retenir c'est que finalement, on avait tous les trois la même envie. Chacun avait l'intuition qu’il avait quelque chose à faire, c'est-à-dire à la fois un sujet comme le Web 3 qui est devenu incontournable, et en même temps notre volonté de créer un média où l'on pourrait traiter ces sujets comme on a envie de le faire avec les innovations qu'on a envie de tester dans le cadre d'un média. Le média a seulement deux mois mais on a lancé des abonnements à vie qui marchent très bien. On a déjà permis à nos abonnés de s'abonner avec des crypto-monnaies, donc les gens peuvent payer en crypto-monnaie et en euros. On a lancé un Discord. On va très vite et en plus on a la liberté — parce qu'on est tous les trois, avec quelques partenaires — de pouvoir amener le média dans la direction que l'on souhaite et de le co-construire avec nos abonnés, ce qui pour nous est quelque chose de fondamental.

"À partir du moment où l'on a quitté nos rédactions pendant trois semaines, on a inventé de toutes pièces un média."

Margaux Vulliet : Tu m'avais dit que le média s'est fondé en trois semaines. Qu'est-ce qui s'est passé entre le moment où toi tu as quitté ta rédaction et le lancement de The Big Whale le 8 avril ?

Raphaël Bloch : On a quitté nos rédactions en mars et effectivement, à partir du moment où l'on a quitté nos rédactions pendant trois semaines et ça, je pense que ces trois semaines resteront gravées à jamais dans nos vies, on a inventé de toutes pièces un média. Alors on continue de le faire évoluer, mais ce qu'on voulait c'était assez rapidement avoir avec un site. Aujourd'hui donc, on a un site et une newsletter gratuite le mercredi matin et une payante le jeudi matin. On voulait être présent avec cette offre parce que pour nous, c'était indispensable d'être présent vite. Déjà aujourd'hui, on commence à imaginer plein de choses pour muscler l'offre éditoriale, pour créer des passerelles potentiellement avec d'autres pays. Nous, on a envie d'être non seulement présents en France mais dans plusieurs pays d'Europe, et de mettre les lecteurs au cœur du projet. Que ce soit avec le Discord, avec des rencontres, avec des feedbacks en direct, avec les abonnés. Donc pendant ces trois semaines, on a posé les fondations en se disant « on a ce nom, on sait ce qu'on a envie de faire, on va se lancer très vite ». Chaque semaine, on produit des infos, on sort des exclus. On a eu quand même le chef de l'État, Emmanuel Macron, au bout de deux semaines ; on a fait aussi de très belles autres interviews avec des acteurs internationaux et en même temps on continue de faire évoluer le média. On réfléchit avec les technologies, ce qu'on pourrait potentiellement inventer avec tout ce qui est NFT, blockchain. On sait que ça peut être un levier pour challenger le business model des médias, donc on est à l'affût de tout. On a une envie énorme, on travaille beaucoup et on s'éclate.

Margaux Vulliet : Et qu'est ce qui a fait que vous êtes allés aussi vite ? Parce que des médias mettent des mois à se construire, à poser les fondations, trouver la ligne éditoriale, le modèle économique. Qu'est-ce qui a fait que vous, en trois semaines, c’est allé aussi vite ?

Raphaël Bloch : Il y a deux choses. La première, qui est essentielle et vraiment j'insiste là-dessus, c'est l'équipe. Moi j'ai 33 ans, ça fait maintenant sept ou huit ans que je travaille comme journaliste. J'ai croisé des gens extraordinaires dans les différentes rédactions pour lesquelles j'ai travaillées, mais là je reconnais qu’entre Dimitri et Greg, je suis tombé sur deux perles qui, chacun dans leur domaine, sont reconnus, sont d'énormes bosseurs et des gens très intelligents. Et donc, c’est avec cette alchimie qu'on a réussi à créer avec l'équipe, vous êtes capable en fait assez vite de prendre des décisions et de poser des actes. Parce qu'en réalité, il y a beaucoup de projets qui n'avancent pas forcément très vite quand les gens ne sont pas forcément totalement alignés. Et en fait là, ce qui est génial, c'est que tous les trois, on sait ce qu'on a envie de faire, c'est vraiment de créer le média européen de référence sur tous les sujets liés au Web 3. C'est très simple. Mais voilà, on est convaincus de ce qu'on a envie de faire. On a une road map et en fait ce qu'on fait depuis le départ, c'est l'appliquer tout bêtement. 

"Comment intégrer le plus possible tous nos abonnés au projet ?" 

Margaux Vulliet : Il y a quoi dans cette road map précisément ?

Raphaël Bloch : Donc il y avait effectivement ce qu’on a fait dès le départ, c'est le lancement en avril. Et là ce qu'on est en train de faire, c'est tout bêtement de lever des fonds pour aller vite. Donc on a eu pas mal de sollicitations d'investisseurs, on est en train de regarder avec qui on a envie de travailler, et on va lever des fonds, ce qui va nous permettre de recruter. Tout est lié : derrière en recrutant, on va pouvoir prendre quelqu'un à Genève, quelqu'un à Bruxelles, quelqu'un d'autre à Londres, ce qui nous permettra d'avoir cette sorte de rédaction décentralisée, pas seulement à Paris, mais dans les pays qui comptent le plus en Europe sur la crypto. On travaille aussi sur : comment intégrer le plus possible tous nos abonnés au projet ? Et là ça passe par une réflexion assez poussée autour de ce qu'on pourrait faire avec les NFT, la blockchain. On n'a pas encore tout arrêté, on réfléchit beaucoup là-dessus, ça fait partie évidemment des sujets sur lesquels on travaille et on espère dans les semaines qui viennent pouvoir en dire plus. Ce qu'on a, c'est : le lancement média, on commence à installer la marque, on a dépassé les 10 000 abonnés gratuits et payants confondus, et là on est dans la phase où l'on va commencer à aller à l'étranger. On envisage aussi très sérieusement de se lancer en anglais, parce qu'évidemment on va garder le français parce qu'on pense notamment à toute les régions francophones, notamment l'Afrique ; mais il y a aussi beaucoup de choses à explorer en anglais, ça fait partie de tous les sujets sur lesquels on travaille beaucoup.

"Il faut absolument tester, tester, encore tester. On va se planter, il y a certaines choses qu'on ne réussira pas. C’est normal, et le plus important c'est ce qu'on retient de ses échecs."

Margaux Vulliet : Est-ce que tu dirais que la première semaine de lancement était aussi un moyen pour vous de tester ce qui fonctionnait ou ce qui ne fonctionnait pas ? Est-ce que vous avez eu des retours de lecteurs, de lectrices ?

Raphaël Bloch : Oui, tout à fait. Et d'ailleurs, il y a une chose que l'on s'est promise quand on s'est lancé c'est d'une part d'essayer, c'est vraiment quelque chose d'essentiel. Et ça, on l'a notamment vécu avec Greg. En France, on a tellement peur de l'échec. Enfin, l'échec est tellement mal vu, on a peur d’essayer et on s'est dit « il faut absolument tester, tester, encore tester ». On va se planter, il y a certaines choses qu'on ne réussira pas. C’est normal, et le plus important c'est ce qu'on retient de ses échecs. Ça, c'est le premier point. Le deuxième point, c'est qu'on est évidemment à l'écoute au quotidien de notre communauté et donc, ce qui leur plaît, on le développe. Ce qui leur plaît moins, on réfléchit avec eux pour voir comment l'améliorer et si jamais ça ne leur plaît pas et bien on l'abandonne. Mais ça, c'est essentiel parce qu’encore une fois, sans ses abonnés, The Big Whale n'est rien. Donc c'est vraiment essentiel, à la fois que nous ayons envie de tester, qu'on n'ayons pas peur de l'échec. Depuis deux mois, on ne connaît que des succès et les échecs vont se présenter.

Margaux Vulliet : Vous n'avez pas eu encore un échec ?

Raphaël Bloch : Non, mais après c'est parce que justement on a la fois la fougue de la jeunesse, on a une trentaine d'années et Dimitri une quarantaine d'années. Donc on est jeune, mais en même temps on a l’expérience déjà, des parcours divers. Je pense surtout à Dimitri qui nous apporte énormément à ce niveau-là. Évidemment qu'on rencontrera des difficultés, mais on est suffisamment lucides aujourd'hui pour courir. On sait que c'est un marathon, ce n'est pas un 100 mètres, donc on lève la tête, on regarde les obstacles, on essaie de les éviter le plus possible. On vient de se lancer, donc tous les problèmes sont devant nous. Mais ce qui est génial, c'est que l'on a une super équipe et on sait où on veut aller.

Margaux Vulliet : J’allais te poser la question, est-ce qu’il y a eu une première grosse difficulté au moment du lancement ?

Raphaël Bloch : Non, mais encore une fois on s'est lancés il y a moins de deux mois et puis, pour le coup c'est aussi un point assez assez extraordinaire, et ça fait partie de toutes les intuitions qu'on avait et qui se sont vérifiées à l'usage. On a, et on tient vraiment à les saluer, parmi nos abonnés, des gens assez extraordinaires parce qu’il y a plein de profils, et on a fait le pari de s'appuyer aussi sur eux. Quand on a rencontré une fois un souci dans le paramétrage de l'envoi des newsletters, on a eu dans l'heure le coup de main d'un abonné qui nous a réglé le problème. Voilà, ça fait partie des bonnes pratiques qu'on a dès le départ voulu mettre en place et qui change fondamentalement, mais vraiment fondamentalement, la nature de notre projet. Il y a des fondateurs, c'est le projet qu'on a lancé, mais nous, notre but, c'est que, in fine, à la fin, The Big Whale appartienne aussi à ses abonnés, appartienne à tout le monde.

"Il faut que les abonnés aient leur mot à dire."

Margaux Vulliet : Tu parles même d'abonné fondateur.

Raphaël Bloch : Exactement et ça, c'est quelque chose qui a beaucoup plu et sur lequel on a vraiment voulu insister. Ce média, c'est celui de ses abonnés. Nous, on l'anime, on le fait vivre mais d'ailleurs, ça fait partie un peu de la philosophie de tout l'écosystème crypto, blockchain, c'est la décentralisation, le bien public, c'est quelque chose de très important. Et nous, on considère que The Big Whale dans l'écosystème crypto va devenir quelque chose d'incontournable, une sorte de de bien public. Il faut que les abonnés aient leur mot à dire, c'est ce qu'on a commencé à faire avec le Discord, on écoute beaucoup ce qu'ils disent et on compte bien s'en tenir à cette ligne.

Margaux Vulliet : Le format de newsletters découle naturellement des sujets que vous traitez ?

Raphaël Bloch : Cela fait aussi partie de nos réflexions. En tant que journalistes avec Greg, c'est ça qui est très intéressant, ça fait 20 ans globalement que le rythme de l'information ne cesse de s'accélérer, c'est-à-dire qu'aujourd'hui les gens sont littéralement bombardés d'informations. Ils sont bombardés à travers la radio, la télévision, les sites. Et justement pour parler de cette histoire de Web, le Web 2 qui est celui de l'Internet mobile, fait que maintenant, j'ai mon smartphone dans ma poche, je reçois des alertes quasiment toutes les minutes sur telle ou telle info. Il y a les réseaux sociaux. Maintenant, c'est non stop. Ce qu'on s'est dit, c'est que dans ce cadre-là et avec justement tout le temps et l'expertise qu'on a parce avec Grégory, on passe nos journées à enquêter, à travailler sur les sujets du Web 3. Ce qu'on va faire, c'est offrir à nos abonnés l'essentiel de ce qu'il faut savoir sur ces sujets, c'est-à-dire que sur le Web 3, la crypto, il y a des infos qui sortent tout le temps, mais toutes ne nécessitent pas l'attention des lecteurs. Donc là on aura un service et les lecteurs, nos abonnés nous le disent, c'est qu'on fait tout ce travail d'enquête et de sélection des meilleures infos. Grosso modo avec notre newsletter hebdomadaire, donc là gratuite c'est pour les gens qui découvrent le sujet qui veulent mettre un pied dans l'océan des crypto. Et puis avec la newsletter payante permet vraiment de plonger avec nous, d'aller très profondément dans l'océan des crypto et d'aller découvrir la technique du sujet. Nous, que ce soit les gratuits, les payants, on leur donne l'essentiel à leur niveau, globalement de compréhension des sujets. Et ça, ça change tout parce que ça veut dire qu'en vingt minutes par semaine, vous avez l'essentiel. Et après et ça, ça fait aussi fait partie de notre réflexion, c'est qu'une fois qu'il y a la newsletter hebdomadaire, il y a tous les autres supports qu'on utilise. Il y a les réseaux sociaux. Avec Grégory, on est très présents, on a une grosse communauté, notamment sur Twitter, on est aussi présents sur LinkedIn et Instagram. C'est là justement où on va décrypter, décoder l'actualité qui ne nécessitent pas des papiers, des enquêtes, des interviews dans la newsletter. Donc vraiment on segmente comme ça tout le traitement de l'information. Et puis après, on réfléchit déjà à un format de newsletter quotidienne mais là qui donnerait éventuellement un point d'éclairage sur une info particulièrement importante dans la journée et l'hebdomadaire passerait sur du gros décryptage, de l'enquête, des interviews. Mais encore une fois, c'est comme ce que je disais tout à l'heure. On passe notre temps à réfléchir aussi à en fait, « comment informer au mieux nos abonnés ? » C'est vraiment ce qui nous drive. On cherche les meilleurs formats et donc pour l'instant on a décidé de prendre la newsletter hebdo. Mais les choses vont évoluer au fur et à mesure.

Margaux Vulliet : Tu le disais donc avec Grégory, vous êtes journalistes à la base, comment vous avez appréhendé le fait de devenir chef d'entreprise, de devenir vos propres rédacteurs en chef ?

Raphaël Bloch : Honnêtement c'est hyper excitant et puis je pense que ça va parler à beaucoup de gens. Greg, c'est un super journaliste. Il a commencé à travailler assez jeune au HuffPost, il a assez vite été en responsabilité au sein de Capital. Il s'occupait de la newsletter crypto 21 Millions donc déjà il avait un peu l'habitude. Alors évidemment, il ne gérait pas tout le reste, mais déjà il était un peu son propre chef. Et puis moi effectivement à titre perso j'ai un parcours un peu différent. J'ai fait notamment une école de commerce, c'est pas ça qui m'a donné le goût de l'entreprenariat. Mais les sujets économiques et financiers m'ont toujours intéressés. Je suis devenu journaliste économique. C'est aussi un trait de caractère, j'aime bien faire les choses. Je n'ai aucun problème avec l'autorité. J'ai eu des supers chefs dans des rédactions précédentes, mais j'aime bien aussi faire les choses et finalement que ce soit pour Greg ou pour moi, ce qui a totalement changé notre perception, ça été de se rendre compte qu'on était sur un vrai sujet, le Web 3, et qu'il fallait absolument y aller. II y a eu le confinement, la crise qui pendant deux ans nous a poussé à nous poser les vraies et grandes questions à savoir : « ok, on s'éclate dans notre boulot, mais qu'est-ce que fondamentalement on a envie de faire ? » Et bien, travailler de manière totalement autonome sur nos sujets parce qu'on n'avait pas forcément cette liberté dans les rédactions dans lesquelles on était, c'est exactement ce qu'on a réussi à réaliser. Et justement, c'est vraiment le point essentiel. Dimitri, lui, a cette expérience, et donc en mêlant notre expérience de journaliste et notre envie entrepreneuriale, avec l'expérience business entrepreneur de Dimitri, ça a super bien pris et aujourd'hui, c'est de la dynamite !

"Je pense fondamentalement qu'un bon journaliste est un entrepreneur."

Margaux Vulliet : On le retrouve souvent ce point-là dans les échanges que nous avons à Médianes avec les fondateurs et fondatrices de médias : c'est l'importance de l'entourage de départ et les compétences diverses. À l'inverse, en tant que journaliste, est-ce qu'il y a des avantages, et puis des désavantages en tant que qu'entrepreneurs dans les médias ?

Raphaël Bloch : Au risque de choquer, je pense fondamentalement qu'un bon journaliste est un entrepreneur. Je m'explique : quels que soient nos supports, que ce soit radio, télé, écrit, on est tous des petits entrepreneurs dans le sens où on gère notre sujet, on est obligé d'aller chercher nos sources à droite, à gauche, on rend compte dans notre travail du quotidien, on est finalement des entrepreneurs qui s'ignorent. C'est ce qu'a constaté avec Greg, parce que c'était notre première expérience. Parce qu'en réalité quand on a l'envie qu'on a actuellement avec un projet aussi séduisant, ça se fait tout seul. Et effectivement là où je te rejoins c'est qu’il y a aussi l'équipe, et là-dessus on a le caractère rassurant et l'expérience de Dimitri qui lui va s'occuper de toute la dimension marketing, stratégie, finance, qui est quelque chose de fondamental et qui est indispensable pour des médias. Je pense que la grosse erreur qu'on fait trop souvent, c'est de ne pas s'intéresser au business model des médias, et ça c'est quelque chose qu'on continue de challenger parce qu’on a envie de créer une entreprise qui sera hyper rentable, dans le sens où elle nous donnera les moyens de faire ce qu'on a envie de faire.

Margaux Vulliet : Et justement, c'est quoi votre business model ?

Raphaël Bloch : Je rebondis sur ce que t'as dit tout à l'heure qui est très vrai, c'est qu’en fait on a une newsletter gratuite pour les abonnés qui veulent découvrir le sujet ; mais vraiment, notre point fort, c'est la newsletter payante et notre pari c'est de se dire que beaucoup d'abonnés gratuits vont cheminer avec nous et passer à la payante. On les accompagne au fur et à mesure dans ce process. On l'a déjà constaté en deux mois, des abonnés gratuits qui passent au payant. Ce qui est intéressant, c'est qu'on est identifiés, les gens savent précisément ce qu'on leur apporte. Ça c'est vraiment la clé du business model : les gens s'abonnent à The Big Whale, que ce soit en gratuit ou en payant, ils savent précisément pourquoi ils sont là. Ils vont trouver les meilleurs contenus sur tout ce qui est Web 3 et crypto. Et partant de ce principe, quand vous créez ce contrat de confiance avec les abonnés, les gens voient la valeur et se rendent compte que ça vaut le coup de payer pour des contenus de qualité. Ce qui nous permet, nous, d'être indépendants, de travailler sereinement sur tous les sujets. On prend la crypto parce qu'il y a beaucoup d'argent, donc il y a pas mal d'entreprises qui sont tentées de vouloir trouver des influenceurs à droite, à gauche pour vendre leurs produits. Nous où on est journalistes avant tout, et vraiment on se focalise sur des enquêtes, et nos abonnés sont prêts à payer pour ces infos. Puis une fois qu'on a cette communauté d'abonnés qui est là pour la valeur ajoutée qu'on leur apporte, on est capables de créer d'autres services. Donc on réfléchit à des évènements. Ça, c'est vraiment un point qui nous intéresse beaucoup, et potentiellement d'autres produits. Mais encore une fois, on est tout jeunes donc il y a des choses dans les cartons, on ne peut pas encore en parler mais ça viendra assez vite

"II y avait un enjeu énorme autour du Web 3, autour de la nécessité d'avoir un média libre et indépendant sur ces sujets." 

Margaux Vulliet : Tu parles de communauté et pas du tout d'audience. J'ai l'impression que votre communauté, vous l'avez gagnée aussi par le fait que vous soyez déjà spécialisés dans ce domaine. Souvent, quand on veut gagner les premiers abonnés, on va chercher le cercle 1 : les amis, le cercle 2... On a l'impression que vous êtes directement passés au cercle 3, les amis d'amis d'amis qui, presque, ne connaissaient pas le sujet des crypto.

Raphaël Bloch : Oui c'est exactement ça. Il y a évidemment l'antécédent qu'on a avec Greg sur le sujet. Ça fait depuis 2016, 2017 qu'on bosse sur les sujets liés aux crypto, et maintenant ce qu'on appelle le Web 3, donc là-dessus on a une légitimité qui est évidemment énorme. Tout ce travail de sourcing, de création de réseaux. C'est clair qu'on a un maillage de l'écosystème français même maintenant un peu européen qui est énorme. Après, c'est avant tout la communauté. On est en contact permanent avec les abonnés, alors évidemment on ne peut pas leur répondre à chaque fois dans les deux minutes. Mais vraiment, notre but, par exemple, c'est toute la démarche de la création et du lancement de notre Discord. Il y a les infos que l'on transmet, il y a tous les feedbacks que l'on fait, il y a le temps de debriefing d'une interview, d'une enquête. Là, j'ai passé deux semaines en Argentine, on organisera dans les jours qui viennent un débrief sur Discord avec les abonnés annuels pour répondre à leurs questions, parce qu'ils en ont plein. Donc il y a évidemment cet élément-là. On sait très bien que c'est dans le temps et que c'est grâce à la communauté qu'on va réussir à durer. Dès le départ, on a affiché nos ambitions en disant, « voilà, on a envie de construire un média qui pèse » et les gens ont compris ce qu'on avait envie de faire et donc c'est pour ça que là, on le voit bien, il y a des gens qui partent de notre projet. Effectivement, ce ne sont pas que les amis d'amis, ce sont des gens qu'on a croisés dans le cadre du boulot, des gens qu'on continue de croiser. Ce sont aussi des amis d'amis. Mais c'est vrai qu'en fait, tout le monde a bien compris qu'il y avait un enjeu énorme autour du Web 3, autour de la nécessité d'avoir un média libre et indépendant sur ces sujets. En fait, le message est tellement clair que les gens se disent « oui en fait ça me parle. C'est un sujet qui m'intéresse, donc je vais les rejoindre ». Quand ils nous testent, ils voient bien qu'on est disponibles, qu'on répond à leurs questions et qu'on les met au centre du dispositif.

Margaux Vulliet : Et est-ce que c'est un but à terme d'aller vers celles et ceux qui ne sont pas du tout au courant de ce qu'est le Web 3 et tous ces sujets ?

Raphaël Bloch : Oui, le but est de tous faire des pas les uns vers les autres. On est persuadés que dans dix ans, le sujet du Web 3 sera devenu aussi évident que celui du Web et du Web 2, donc évidemment on va essayer d'être disponibles pour tout le monde. C'est pour ça que dès le départ on a imaginé une newsletter gratuite et une payante. Maintenant, on espère aussi que les gens vont avoir cette curiosité. Ils sont très nombreux à essayer de comprendre. C'est aussi un enjeu énorme, on est très sensibles à cette question. On ne cesse en Europe de parler des GAFAM, du contrôle des données en se disant « ah mince, ils sont américains ou alors ils sont chinois et nous en Europe on a personne ». Mais ça vient aussi d'un manque de culture et d'information. On sait très bien que dans dix ans il y aura des géants du Web 3. Et donc notre idée, ça n'est pas nous-mêmes de créer ces gens du Web 3, mais c'est, dans le bon sens du terme, d'éduquer, d’évangéliser les populations française et européenne pour qu'elles prennent conscience de ce qui se passe et que tout le monde embraye pour que l'Europe prenne aussi en marche cette révolution. Le risque c'est qu'on passe à côté et que dans dix ans, on se dise : les nouveaux géants sont encore une fois américains ou Chinois.

Margaux Vulliet : Et si, dans dix ans, le Web 3 ne parvient pas à se développer ? Parce que c'est un sacré pari quand même de centraliser sa proposition éditoriale sur ce gros sujet.

Raphaël Bloch : En 2022, le Web 3 peut paraître quelque chose d'un petit peu spécifique mais dans cinq ou dix ans, ce sera totalement mainstream. Il suffit juste de regarder ce que les médias tech ont réussi à faire dans les années 90, 2000, quand ils se sont lancés. Certains ont connu des phases plus compliqués, mais TechCrunch s'est lancé à cette époque. C'est un média très connu aux États-Unis, ils étaient spécialisés dans la tech, et c'est devenu l'un des plus grands médias américains. Ils ont développé des events, des choses comme ça. La crise leur a fait un peu de mal. Nous on pense à cette échelle. Et puis quelque chose d'important et qu'on a précisé dès le départ : aujourd'hui, le Web 3, ça touche quelques pans de la société, on pense à la finance, mais demain ça va toucher à la politique, à la société. Et ça va devenir quelque chose d'aussi banal que le numérique. Aujourd'hui, le numérique est partout. Et bien l'Internet de la valeur, le Web 3, va, par capillarité, rentrer dans tous les secteurs. On le voit d'ailleurs déjà avec des entreprises dans à peu près tous les domaines qui s'y intéressent. Notre terrain de jeu va être gigantesque et on pense déjà effectivement à travailler sur des verticales liées au gaming notamment, ou par exemple à la finance. Voilà des choses comme ça parce qu'il va y avoir plein de choses à raconter à chaque fois sur chaque secteur.

"Il ne faut pas perdre de vue que c'est une entreprise classique. On touche à une matière qui est un peu particulière, qui tient à sa nature, qui est l'information."

Margaux Vulliet : Tu l'as dit tout à l'heure, tu as aussi fait une école de commerce avant de te tourner vers le journalisme. Est-ce qu'on monte un média comme on monte n'importe quelle entreprise ?

Raphaël Bloch : Ah c'est une excellente question ! N’ayant pas créé d'autres entreprises, je ne pourrais pas garantir que c'est la même chose ou que c'est totalement différent. Ce qui est sûr, c’est que la presse au sens large, l'idée de médias, c'est quelque chose de particulier. On est tous les deux journalistes, donc on sait ce que c'est quand on touche à l'information. En fait, ce qui est assez incroyable, c'est que ça relève à la fois du privé et du public ; il y a l'intérêt public de l'info. On joue un rôle parce qu'on informe les gens. Et en même temps il y a effectivement la dimension privée parce que les groupes de presse sont quand même des entreprises privées. On n'est pas fonctionnaires, donc ce sont des entreprises qui peuvent disparaître, qui ont des capitaux privés, des investisseurs. Donc finalement on est à chaque fois sur la ligne de crête entre privé et public, donc c'est forcément particulier. On passe notre temps à en parler, notamment en France. La plupart des grands médias sont détenus par des milliardaires. Donc oui, quand on se lance comme on l'a fait pour créer son média, c'est à la fois une aventure entrepreneuriale et là-dessus, ça ne change rien. Notre but, c'est de nous développer, d'avoir des abonnés, cette fameuse communauté, d'être pérennes financièrement et pour nous ça va être "relativement simple" parce qu'on a déjà des super résultats. Il faut qu'on continue, mais on est vraiment sur la bonne voie. En même temps, il ne faut pas perdre de vue que c'est une entreprise classique. On touche à une matière qui est un peu particulière, et qui le sera toujours et tant mieux, qui est l'information. L'information n'est pas non plus un bien comme les autres, il faut trouver en permanence cet équilibre. Nous, on pense qu'on l'a trouvé. C'est un très beau combat du quotidien.

Margaux Vulliet : Vous n'avez pas eu peur au début de vous dire "on se lance dans un secteur dans lequel la première chose à laquelle on pense, c'est : le secteur des médias est complètement saturé ?" 

Raphaël Bloch : Si, évidemment, j'allais dire presque "tant mieux". Moi, je suis toujours ravi de voir qu'il y a plein de médias qui se lancent même s'il y en a aussi beaucoup qui disparaissent. Donc ça c'est sûr que c'est dommageable, mais ça veut aussi dire qu'il y a toujours autant de gens jeunes, moins jeunes, qui veulent inventer, créer des médias. Donc ça, c'est formidable. C'est peut-être un peu là la spécificité de notre projet, c'est qu'on est les premiers à se lancer en France à faire vraiment ce média fou, le Web 3, avec une équipe en béton de journalistes reconnus sur ces sujets. Et c'est vrai que, comme tu l'évoquais tout à l'heure, il y a un peu cette dimension de pari. Alors nous on est convaincus que le pari est gagnant. On a essayé de partir les premiers, on a une très bonne équipe, on a une vision, et c'est ce qu'on se dit quasiment tous les jours. La seule chose qui peut nous empêcher de réussir c'est nous-mêmes parce que sinon tout le reste marche bien. Si on exécute le plan tel qu'on l'a défini, si on continue de travailler comme on le fait, The Big Whale sera dans les années qui viennent un très gros média à l'échelle européenne, voire à l'échelle mondiale. C'est ce qu'on souhaite et on est convaincus que c'est ce qu'il va se passer.

"On a pas mal regardé du côté des États-Unis, mais après on regarde partout, notamment en Asie où ils font des choses aussi intéressantes."

Margaux Vulliet : Tu disais "premier média en France", est-ce que vous vous êtes inspirés de modèles similaires, sur des sujets similaires à l'étranger ?

Raphaël Bloch : Oui, c'est aussi pour ça que ça a très bien marché tout de suite. Avec Dimitri et Grégory, on est à la fois passionnés et en même temps rigoureux et curieux. On a depuis des années regardé ce qui se passait à l'étranger. On est hyper intéressés par plusieurs expériences, notamment aux États-Unis. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'en général ce qui se passe aux États-Unis, cinq ans après, globalement, que ce soit d'un point de vue politique, médiatique, économique, sociétal, on le voit arriver en Europe. Quand nous on a commencé à travailler sur les crypto, il y a cinq ou six ans, on a vu quelques médias se lancer aux États-Unis. Alors pas forcément focalisés sur les crypto, mais bon il y en a un qui est très connu sur les crypto, c'est The Block. Il y a d'autres médias comme Axios qui se sont lancés. On a suivi un peu leurs trajectoires et ils se sont lancés avec une proposition assez simple, justement focalisée sur la communauté. C'est notamment le cas de The Block et The information. La valeur ajoutée est tout de suite identifiable par les abonnés, et ces médias sont partis avec quelques journalistes — aujourd'hui entre 100 et 250 —, Axios c'est même plus. C'est aussi ce qui nous a poussé y aller, on s'est dit que ça allait arriver en Europe et si c'est pas nous qui le faisions peut-être que personne n'arrivera à le faire parce qu'en tout cas on pense avoir la bonne vision, la bonne équipe. On ne va pas copier leur modèle, on va inventer le nôtre mais il faut y aller parce que les choses vont aller très vite. Et il y a un média incroyable à créer. C'est pour ça, quand on a quitté nos rédactions, on s'est lancé en trois semaines. Et puis là on bosse tous les jours et on n'arrête pas. On a des idées, des projets, on voit du monde, on est à l'écoute de tout ce qu'on nous propose. Clairement, on a pas mal regardé du côté des États-Unis, mais après on regarde partout en Asie où ils font aussi des choses intéressantes, même si, quand on pense à à la Chine, c'est beaucoup plus compliqué d'un point de vue journalistique. Et puis, en Europe, il se passe des choses, mais c'est pour ça que nous, on a envie d'être dans un premier temps européens. En Europe, il n'y a pas de média sur le Web 3, la crypto. Il y a le Financial Times qui est un excellent quotidien ; en France, il y a Les Echos qui est aussi un très bon quotidien mais sur tous ces sujets-là, ils sont encore loin. Donc nous on a envie d'embrasser toute cette thématique, de la couvrir et de très vite devenir une référence en français et en anglais. 

Margaux Vulliet : Donc l'un des secrets pour se lancer dans les médias, c'est trouver le sujet qui n'est pas encore traité ?

Raphaël Bloch : On peut très bien se lancer sur une thématique qui est déjà adressée. Beaucoup de journalistes ont oublié une chose, est-ce par confort ou même par perte d'habitude, mais ils ont oublié que l'essentiel de notre métier c'est vraiment d'apporter des infos aux abonnés. Si on part tous les matins du besoin des abonnés en fait ça change totalement votre réflexion. Aujourd'hui, on est vraiment dans un système où vous avez des médias qui émettent de l'information et c'est très, très vertical. Vous avez des journalistes qui écrivent puis ça descend vers le bas et on essaie d'arroser, alors on a une vague idée du lectorat, on fait de temps en temps des panels mais voilà, et on leur envoie de l'info. Et puis le signal ne repart jamais dans l'autre sens, on a très peu de retours des lecteurs. Nous, on s'est dit "non, en fait, on va rester journalistes", je veux dire, c'est un métier à part entière. Il y a une éthique. Ce sont des choses qu'on a bien appris avec Greg dans nos rédactions respectives. Mais par contre, on va horizontaliser les choses, on va être au plus proche des lecteurs et on ne va pas simplement émettre des signaux et voir si de temps en temps ça revient. On est en permanence à l'écoute des retours des abonnés et on est au milieu donc on a un rôle particulier, c'est quelque chose de fondamental. Il y a évidemment l'idée du sujet, c'est sûr que c'est plus simple quand vous êtes les premiers sur un sujet. Après ce qu'il faut aussi se dire, c'est que vous essuyez les plâtres, quand vous êtes les premiers à y aller. Le risque aussi, c'est de se planter et ceux qui vous regardent vont un peu s'inspirer de ce que vous avez fait de mieux. Donc il y a aussi un risque, mais on s'est dit "on va y aller parce qu'on sait ce qu'on a envie de faire et qu’on est convaincus qu'on a la bonne manière de fonctionner". Et effectivement, moi j'aime bien l'alpinisme. Là on a ouvert une voie et on compte bien arriver au sommet.

Margaux Vulliet : Et d'ailleurs, tu parlais tout à l'heure de Discord, vous avez fait la première conférence de rédaction, est-ce que tu peux nous raconter un petit peu ?

Raphaël Bloch : On vient effectivement de lancer le Discord. Pour ceux qui ne connaissent pas, c'est un réseau social collaboratif qui permet, un peu comme Slack ou Teams, de parler aux gens. Vous avez un Discord et vous faites rentrer tous vos abonnés, donc nous évidemment c'est un service ultra intéressant pour nos abonnés. Avec Greg, on est très présents et les gens qui nous rejoindront dans l'équipe de The Big Whale seront aussi amenés à échanger avec les lecteurs dans le Discord. Pour l'instant, il n'y a que des abonnés annuels et à vie, donc c'est vraiment quelque chose dans lequel on veut chouchouter les lecteurs. C'est organisé en channels, il y a plein d'endroits pour discuter et qui correspondent bien à des thématiques différentes. Vous avez un petit channel pour vous présenter, là les gens peuvent vous dire « ah ok, très bien, enchanté, c'est super ». Et puis après au fur et à mesure il y a des salons de discussion qui concernent les NFT, qui concernent les crypto, qui concernent la finance décentralisée. On a aussi mis des ressources, des liens vers des documents qui permettent à ceux qui découvrent un peu plus les sujets de pouvoir en savoir plus. Et puis on a aussi prévu un fameux channel pour organiser nos conférences de rédaction. Quand on aura plus de monde, on sera potentiellement dans plusieurs pays donc on sera amenés à travailler à distance. Et effectivement, cette conférence de rédaction est ouverte aux abonnés. Là, pour la première, c'est quelque chose de tout bête, on a présenté les sujets sur lesquels on travaille, donc évidemment il y a des infos qu'on ne peut pas révéler tant que ça n'est pas vérifié, publié, on n'en parle pas. On leur a parlé des interviews qu'on préparait, des choses comme ça. Il y a un contrat de confiance, l'idée c'est que tout ce qu'on se dit dans la conf de rédaction reste dans la conf de rédaction et là-dessus ça a été super respectés. Et puis on est aussi revenus sur l’édition de la semaine précédente parce qu'il y avait pas mal de questions des abonnés.

"Les abonnés, quand vous les intégrez comme ça, à votre média, ils deviennent des sortes de têtes chercheuses pour votre média."

Margaux Vulliet : Juste pour préciser : c’était en vidéo ?

Raphaël Bloch : Alors non ce n'est pas en vidéo mais sonore. Donc on a fait une présentation des sujets sur lesquels on bosse, on est revenu un petit peu sur l'édition précédente, on a répondu à quelques questions des abonnés et puis après on a fait une sorte de brainstorming. Alors, on avait une trentaine de personnes dans le channel, dans la conférence de rédaction et ce qui était super intéressant, c'est qu'on a évoqué plusieurs sujets dans l'actu. Et certains ont exprimé des envies d’interview, d'enquête, de plus d'info sur telle ou telle thématique. On a échangé en direct exactement comme on le ferait dans une rédaction normale. Sauf que là, au lieu de le faire avec des collègues, on l'a fait avec des abonnés. Alors certains peuvent se demander : pourquoi faire ça ? On l'a compris en le faisant ne serait-ce qu'une fois. Les abonnés, quand vous les intégrez comme ça, à votre média, ils deviennent des sortes de têtes chercheuses pour votre média. Ce qui est formidable, c'est qu'on a évidemment plein d'abonnés en France mais aussi à l'étranger. Là, en l'occurrence, on en avait plusieurs de Suisse. Et ils ont pu nous donner des éléments, des pistes sur la Suisse et demain on le fera sur la Belgique, sur le Royaume-Uni et sur l'Espagne... Et ça, c'est quelque chose qui est absolument génial parce que là, on l'a fait avec un abonné en Suisse, il nous a donné des contacts. Quand on s'ouvre, tout en maintenant l'organisation d'un média, aux abonnés, on dégage et on crée une valeur ajoutée qui est juste démentielle. 

Margaux Vulliet : Tu parlais d'agrandir l'équipe, notamment chez The Big Whale, est-ce que les femmes ont de la place dans ces sujets-là ? Parce que vous êtes trois cofondateurs hommes. 

Raphaël Bloch : C'est peut-être là le sujet qui nous obsède le plus depuis qu'on s'est lancé. Nous sommes trois fondateurs sur un sujet qui, à notre grand regret aujourd'hui, est encore beaucoup trop masculin. On a ce qu'on appelle un advisory board, on a quatre personnes qui sont très réputées dans leur domaine qui nous conseillent. L'idée c'est, une fois par trimestre, de leur rendre des comptes de manière totalement informelle. Et donc dans cette advisory board on a une femme exceptionnelle, Barbara Mahé, qui connaît à la fois très bien les crypto et qui a son agence de communication. Et on travaille avec trois hommes qui sont eux aussi exceptionnels. Et là pour le recrutement dans l'équipe, on commence à voir du monde et on a évidemment pour priorité absolue de prendre une femme qui sera compétente comme on en a vu déjà plusieurs. Et d'ailleurs, dans le Discord, on est ravis parce qu'on de nombreuses abonnées. Mais c'est évident que ça manque encore beaucoup de femmes alors que dans beaucoup de projets notamment sur des NFT, il y a beaucoup de femmes. On espère effectivement qu'en contribuant à la démocratisation de ces sujets, on amènera le plus de femmes possible. Petite anecdote, j'ai quatre petites sœurs et ce qui est marrant c'est que les deux qui sont assez proches de mon âge sont un peu moins intéressées par ces sujets et les deux qui sont plus jeunes, pour le coup, trouvent ça génial. Il s'avère qu'elles ont 16 et 19 ans. Quand je vois ça, je me dis que potentiellement ce secteur va assez vite se féminiser parce que il y a plein de jeunes femmes qui vont se plonger dedans, et on va les retrouver très vite dans dans l'écosystème.

Margaux Vulliet : Tu reviens d'Argentine, tu as passé deux semaines là-bas. Est-ce que ce sont les abonnés qui ont financé ce voyage, ou vous n'avez pas encore cette manne financière ?

Raphaël Bloch : Je suis effectivement parti deux semaines en Argentine. Une expérience assez exceptionnelle, et on voudrait remercier tous les abonnés parce que c'est évidemment grâce à eux, donc grâce à des abonnements que nous avons pu payer un billet d'avion, un logement sur place. Deuxième petite anecdote : grâce à un abonné de The Big Whale j'ai pu être hébergé par un de ses amis qui habite à Buenos Aires. Donc ça nous a fait en plus économiser quelques nuitées. Il faut refaire de la pédagogie là-dessus ; nous notre rôle c'est d'informer les gens, et quand les gens s'abonnent, ils financent des médias qui sont libres et indépendants, et c'est tout l'objet de The Big Whale. On peut aller aux quatre coins du monde pour leur raconter précisément ce qui se passe sur place, que ce soit en Argentine, peut-être demain en Australie, en Corée, aux États-Unis. D'ailleurs on parle beaucoup en ce moment de la République centrafricaine, ça fait partie des pays sur lesquels on est attentifs parce que, potentiellement, aujourd'hui, on a les moyens de financer un voyage pour aller regarder ce qui se passe sur place.

Margaux Vulliet : Merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre à mes questions. Merci à vous, chers auditeurs et chères auditrices. Vous pouvez retrouver les autres épisodes de Chemins sur toutes les plateformes d'écoute. Surtout, prenez soin de vous et de vos médias.

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