
Encore plus d'IA chez Google... et encore moins de trafic chez les médias ?
Google transforme en profondeur son moteur de recherche avec l’IA pour simplifier la vie des utilisateur·ices. Résultat : des réponses immédiates, sans clic. Pour les médias, c’est une bascule historique, et un danger bien réel.
Le 20 mai dernier, à l'occasion de sa conférence annuelle Google I/O, des employé·es de la firme se sont succédé·es sur la scène ultra colorée du Shoreline Amphitheatre à Mountain View en Californie pour vendre « l'avenir » : Deep Think, Deep Search, Deep Research, Gemini (ex-Bard), AI Mode, AI Overviews, AI Pro, AI Ultra… Une avalanche d'innombrables produits — pourtant censés simplifier la vie des utilisateur·ices — qui dessinent un virage stratégique clair : intégrer l’IA partout, surtout dans le moteur de recherche.
Sur scène, tout le monde sourit. Mais en face, parmi les journalistes qui retranscrivent les annonces, une question en traverse peut-être certain·es : leur article sera-t-il vraiment lu… ou simplement digéré et résumé par un robot ? Car ce que Google annonce n'est pas qu'un énième gadget dopé au machine learning, mais bien une transformation radicale de son produit phare. La liste de liens bleus ? C'est de la vieille histoire. Le mot d’ordre désormais : « Laissez Google googler à votre place ».
Certaines de ces fonctionnalités, déjà testées aux États-Unis, sont désormais déployées à grande échelle. Tour d’horizon de ce qui change — et de ce que ça implique.
Pourquoi ce virage ?
Il y a le feu chez Alphabet, la maison mère de Google : pour la première fois depuis 2002, le nombre de recherches Google effectuées dans Safari a baissé confiait récemment un cadre d’Apple, pour qui le coupable n’est nul autre que l’IA. Une déclaration (que Google a toutefois contesté) qui a provoqué un recul de l’action d’Alphabet en bourse, signe de plus que l’IA fait la pluie et le beau temps chez les firmes de la tech.
Vrai progrès ou simple moyen de rassurer les investisseur·euses en agitant la baguette magique du « prompt » ? Peu importe. Google n’a pas l’intention de laisser ChatGPT lui voler la vedette, ni de finir comme Skype, cet outil autrefois incontournable — jusqu’à devenir un verbe du langage courant — qui a fini par sombrer dans l’oubli. Même si l'IA ne remplace pas encore massivement les moteurs de recherche traditionnels, son usage progresse pour répondre à des questions du quotidien, comme le confirment plusieurs études.
Autre facteur du virage :les jeunes générations plébiscitent des formats plus « authentiques ». Moins de liens sponsorisés, plus de réponses directes. Plutôt que d’éplucher des pages de résultats, ils et elles préfèrent par exemple obtenir l’avis brut d’un·e internaute lambda sur TikTok, perçu comme plus sincère et pertinent. Une préférence qui a poussé Google à mettre en avant forums et vidéos courtes dans ses résultats.
Comment ?
Trois produits incarnent aujourd’hui la transformation de la recherche chez Google avec l’IA :
- Gemini
Anciennement Bard, Gemini est l’IA conversationnelle de Google, similaire à ChatGPT d'OpenAI ou Claude d’Anthropic. S'il ne s'agit pas d’un moteur de recherche à proprement parler, Google y a ajouté une fonction « recherche » , comme ses concurrents, permettant à Gemini de parcourir Internet afin d’étayer ses réponses avec des données actualisées plutôt que de recourir à une base figée.
Pour les abonné·es à la formule payante AI Ultra, une fonction « Deep Research » (ou « Recherche Profonde ») génère avec Gemini des synthèses plus longues et complexes sur des sujets pointus.
Et ce n’est pas tout : une extension Chrome annoncée lors de Google I/O permettra à Gemini de suivre ce que vous lisez, regardez ou écoutez sur Internet, et de vous fournir des compléments d’information en direct. L’IA pourra par exemple « clarifier des informations complexes sur une page web que vous lisez ou résumer des informations » selon le blog de la firme. En somme, même si un·e lecteur·ice arrive sur votre page, pas sûr que ce soit lui·elle qui la lise.
- AI Overviews
Ces petits encarts qui s'affichent au sommet des résultats de recherche sont désormais disponibles dans plus de 200 pays (hors France) et dans plus de 40 langues. Leur promesse : résumer l’information trouvée sur les pages indexées et vous fournir des informations sans même avoir à cliquer. À la différence de Gemini, ces encarts sont directement intégrés dans le moteur de recherche et apparaissent généralement quand l'utilisateur·ice pose une question relativement simple.
Cette fonctionnalité a toutefois été raillé pour ses erreurs plutôt embarrassantes. Demandez à Google si c'est une bonne idée de mettre de la colle dans une pizza, elle répondra sans broncher qu'elle permettra en effet de lui donner une meilleure texture. D'autres s’amusent à l’interroger sur des expressions absurdes, comme « on ne peut pas lécher un blaireau deux fois », pour lesquelles l’IA n’hésite pas à dérouler des explications inventées. Certain·es utilisateur·ices préféreraient ainsi s’en passer mais… impossible de désactiver cette option. Désespéré·es, certain·es ont trouvé une solution surprenante pour la faire disparaître : taper des requêtes virulentes comme « donne-moi les put***s de liens » dans la barre de recherche.
- AI Mode
C’est la grande révélation de cette conférence. Plutôt qu'un simple encart, AI Mode est un mode de recherche complet disposant de son propre onglet intégré dans le moteur de recherche. Là où AI Overviews s’ajoute à l’expérience classique, AI Mode pourrait bien contribuer à la remplacer.

Les réponses de l’AI Mode se présentent davantage comme un article, proposant des réponses plus longues, construites à partir de plusieurs sources, avec quelques articles affichés en marge ou dans le corps du texte. En plus de vous fournir des réponses, AI Mode propose également d'interagir à votre place avec les pages que vous consultez, comme pour prendre vos billets pour un concert, réserver un hôtel à votre place ou consulter vos mails. Toutefois, les premier·ères utilisateur·ices de cette fonctionnalité constatent certaines lacunes sur la fiabilité des informations.
Lors de Google I/O, la firme a confirmé son lancement aux États-Unis, avant un déploiement plus large dans les mois à venir.
Quel impact pour les médias ?
Les premiers effets de l’IA dans la recherche Google commencent à se faire sentir et plusieurs études semblent observer une baisse du taux de clic vers les sites provoquée par les résumés générés par Google dans ses résultats de recherche. Une observation corroborée par certaines rédactions, même s'il reste difficile de mesurer précisément ce phénomène, Google ne communiquant que très peu de données précises. Interrogé par The Verge à ce sujet, le patron de Google, Sundar Pichai s'est contenté d'affirmer que « plus que toute autre entreprise, (Google accorde) la priorité à l'acheminement du trafic vers le Web », suggérant également que ces fonctionnalités pourraient générer du trafic « de meilleur qualité », sans toutefois fournir de preuves claires.
Au lendemain de l’événement de la firme, Digiday a interrogé plusieurs médias. Si, pour la plupart, le changement reste minime, nombreux sont ceux qui observent un nouveau phénomène : une hausse de trafic provenant de Google Discover, l’outil de recommandation d’articles basé sur les centres d’intérêt des utilisateur·ices (disponible principalement sur mobile). L'explication de Digiday : « Ce n'est peut-être pas un hasard si les éditeurs constatent une augmentation du trafic Discover alors que le trafic provenant de la recherche diminue. Un responsable SEO d'un média spécialisé dans le lifestyle estime que Google va probablement "booster" le trafic Discover lors du déploiement du mode IA afin que le trafic vers les sites des éditeurs ne soit pas trop "affecté" ».
Mais au-delà de la question du trafic, c’est le rapport entre médias et plateformes qui est en jeu. Plusieurs procès sont en cours pour déterminer si l’indexation et la réutilisation automatisée de contenus constituent une atteinte aux droits des éditeurs. Après les annonces de Google, la News/Media Alliance a qualifié sans détour l'AI Mode de « vol » qui prive les médias de trafic et de revenus. Des documents internes révèlent également que Google a préféré exclure la possibilité pour la presse d'avoir davantage de contrôle sur l'usage de ses contenus. Ainsi, si un média ne souhaite pas figurer dans les AI Overviews, il doit faire une croix totale sur son indexation dans les résultats de recherche classiques.
Le risque paraît encore plus grand pour les petits éditeurs. Car si Discover peut offrir un regain de visibilité, l’accès à ce canal reste opaque, aléatoire et inégal. Par ailleurs, les IA ont tendance à privilégier les marques installées dans leurs réponses. Mieux vaut citer Le Monde, BBC ou The Guardian pour inspirer confiance à l’utilisateur·ice, que de renvoyer vers un site moins connu, même s’il est à l’origine de l’information. Press Gazette a d’ailleurs documenté ce biais : dans certains cas, Google affichait un résumé généré à partir d’un de ses articles… en créditant The Guardian comme source.
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