En Hongrie, la presse libre en sursis

Gábor Kardos, PDG de Magyar Jeti Zrt, éditeur indépendant du média hongrois 444.hu, raconte la réaction de sa rédaction face à un nouveau projet de loi menaçant de sanctionner lourdement les médias recevant des financements étrangers, y compris les dons privés et les fonds européens.

Alexandra Tyan
Alexandra Tyan
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Gábor Kardos est le PDG de Magyar Jeti Zrt, éditeur indépendant de 444.hu, partenaire hongrois du réseau Sphera, aujourd'hui en première ligne. Il nous a décrit comment lui et la rédaction de 444 ont réagi à ce projet de loi qui durcirait encore les restrictions imposées aux ONG et médias indépendants critiques du gouvernement Orbán.

Ce témoignage a été initialement publié dans une édition spéciale de notre newsletter In Vivo.

Budapest, le 27 mai 2025

La « purge de Pâques », comme l'a lui-même qualifiée Orbán, avait été annoncée. Le 15 mars, jour de la fête nationale hongroise commémorant la révolution de 1848 — qui avait notamment défendu la liberté de la presse — Orbán a annoncé un plan visant à éliminer « l'armée de l'ombre ».

Depuis ce discours, nous savions qu'un événement majeur se préparait.

Puis, il y a quelques jours, le projet de « loi sur la transparence » a été publié, deux minutes avant minuit.

Tout le monde s'attendait à quelque chose de grave, mais cela a dépassé toutes les prévisions, tant le texte était bien plus sévère que tout ce que nous avions imaginé jusqu’à maintenant.

La loi doit maintenant être votée au Parlement le 10 juin. Techniquement, il s'agit encore d'un projet qui peut être amendé mais nous ne nous attendons pas à des changements majeurs, même en faisant pression.

Ce projet de loi pourrait s'intituler « fermez-la ou fermez boutique ». Il donne au Bureau de protection de la souveraineté le pouvoir d'inscrire sur une liste spéciale certaines organisations indépendantes, telles que les médias indépendants ou les ONG considérées comme « menaçant la souveraineté de la Hongrie », afin que le gouvernement puisse ensuite les sanctionner si nécessaire. À bien des égards, ce texte rappelle la loi concernant les agents étrangers en Russie.

Nous le voyions venir depuis longtemps. Les quinze dernières années de gouvernement Orbán ont été marquées par un processus très long et délibéré de musellement et de répression des voix critiques en Hongrie.

Ce processus a commencé en 2010, lorsque le gouvernement Orbán a adopté une loi très restrictive sur les médias. Depuis lors, de nombreuses organisations sont passées sous contrôle gouvernemental ou ont été contraintes de fermer, les investisseur·euses ont quitté le pays, le marché de la publicité a été complètement faussé et, surtout, les médias indépendants ont été quasi systématiquement privés d'un accès aux informations d'intérêt public et ont été contraints de déposer des demandes spéciales pour obtenir des réponses à des questions de base.

Si cette nouvelle loi est adoptée, ce ne sera pas un simple pas de plus, mais un bond en avant vers les régimes autocratiques que nous n'avons connus jusqu'à présent qu'en dehors de l'Europe.

L'un des éléments les plus inquiétants reste l'ampleur des moyens qu'ils déploient pour faire taire les voix critiques, en obligeant notamment les dirigeant·es d'organisations à déclarer leur patrimoine personnel et en autorisant potentiellement les autorités à mener des enquêtes sur leurs appareils et données numériques. Même la sphère privée constitue une cible claire.

Malgré cela, nous restons fidèles à nos convictions et nos objectifs. Nous respecterons les lois dans la mesure du possible, mais nous ne renoncerons pas aux activités journalistiques que nous considérons comme le fondement de notre mission.

D'ici au 10 juin, nous avons un objectif très simple : faire tout notre possible pour empêcher l'adoption de cette loi et faire pression pour qu'au moins ses aspects les plus radicaux et inacceptables soient modifiés.

Nous y voyons également une provocation délibérée envers l'UE, car si Bruxelles ferme les yeux, c'est l'État de droit européen qui sera bafoué. L'UE doit donc réagir d'une manière ou d'une autre.

Une réaction forte de l'UE, qu'elle soit politique ou même juridique, pourrait toutefois servir le discours d'Orbán, selon lequel l’Europe est à l'origine des problèmes de la Hongrie.

En attendant, les gens réagissent. Nous avons constaté une augmentation du trafic sur notre site web, des échanges et des dons. Cela renforce notre sentiment de responsabilité dans la protection de ce que nous avons.

Même dans les cercles politiques qui soutiennent généralement le gouvernement, des voix prudentes, sceptiques, voire quelque peu critiques, semblent s'élever.

La seule véritable mesure préventive consiste pour les citoyen·nes à reconnaître rapidement ce type de menaces, à se mobiliser et à s'informer mutuellement.

Que le pouvoir politique passe d’une main à une autre, c'est le jeu de la démocratie. Mais l'idée même que les médias deviennent la cible principale des pouvoirs politiques dominants, qu'ils soient délibérément discrédités et soumis à des campagnes de désinformation financées par l'État afin de saper la confiance, est un facteur qui contribuera à créer une situation véritablement antidémocratique, sans débat social ouvert, qui sera peut-être irrémédiable.

Notre mission reste inchangée : fournir des informations gratuites, factuelles et un journalisme critique et indépendant. Quelle que soit la sévérité des mesures, nous sommes déterminés à poursuivre notre travail.

Il ne s'agit pas seulement d'une menace pour le journalisme indépendant ou les espaces civiques, mais aussi pour certains des derniers bastions de la liberté dans notre société.

Le droit des citoyen·nes à l'information et le droit des médias à informer librement, à exprimer et à refléter des opinions sont en jeu, et le prix à payer est de plus en plus élevé.

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Pour aller plus loin

Presse IndépendanteSphera

Alexandra Tyan

Sasha est rédactrice en chef du réseau Sphera chez Médianes. Elle coordonne la production éditoriale avec les partenaires et conçoit des formats transnationaux engagés.