Inclusion dans les médias : un double déséquilibre à combler
Le constat est clair et les études le montrent : les femmes et les minorités ne sont pas assez représentées dans les médias. Au-delà des chiffres qui permettent de prendre conscience du problème, des pistes de solutions existent. On les explore avec Mathilde Saliou, journaliste chez Flint et membre de Prenons la Une et Cécile Méadel, sociologue et chargée de conduire l’étude du Global Media Monitoring Project en France.
Il aura fallu une crise sanitaire pour que celles et ceux qui n’avaient pas conscience du problème en prennent toute la mesure. Il s’agit ici de la sous-représentation des femmes et des minorités dans les reportages et articles de certains médias. La dernière étude du Global Media Monitoring Project (GMMP) a révélé que les femmes représentent environ 30 % des sujets évoqués dans les nouvelles. « L’étude est menée tous les 5 ans et la dernière date de 2020. Nous effectuons cette étude mondiale sur un seul jour donné alors ce n’est pas forcément représentatif, mais ça donne une idée et je pense même que ça sous-estime la place des femmes », assure Cécile Méadel.
Un déséquilibre dans les articles et reportages
Cet éclairage s’est révélé plus qu’utile puisque les observations parlent d’elles-mêmes dans une étude publiée par le CSA : au début de la crise sanitaire, les femmes représentent 41 % des apparitions télévisées et radio, mais surtout, elles sont surreprésentées dans les scènes de vie quotidienne comme pour parler de la façon dont elles vivaient la crise sanitaire, le confinement ou l’école à la maison. Dans cette même étude, il est apparu que « des déséquilibres perdurent dans d’autres catégories, et en particulier dans celle des experts et expertes », notamment pour les sujets économiques et politiques, complète Cécile Méadel.
En France, les personnes perçues comme non blanches représentent 16 % des personnes interrogées dans les programmes télévisuels d’information. Renouveler son carnet d’adresses pour élargir son champ de représentativité peut parfois prendre du temps. « Dans la mesure où vous êtes soumis à une pression du temps, tout ce qui ralentit une rédaction a un coût », poursuit la sociologue. Pas facile donc pour les médias de changer leurs habitudes du jour au lendemain.
Un déséquilibre aussi dans les rédactions
Selon les chiffres de l’Observatoire des métiers de la presse, les rédactions comptaient 27 % de rédactrices en chef en 2000 contre 39 % en 2019 et 18 % de directrices de la publication ou de la rédaction en 2000 contre 30 % en 2019. Les postes à responsabilité tendent vers la parité, mais l’évolution reste lente.
Face à cela, certaines rédactions agissent. La BBC a par exemple lancé son projet d’égalité 50:50 en 2017. Sur le modèle du New York Times avec Jessica Benett, Mediapart a nommé Lénaïg Bredoux comme responsable éditoriale aux questions de genre, que nous avons interviewée dans cet article. « À côté des grandes rédactions, les médias émergents ont la possibilité de tester des choses que ne pourraient pas faire de grandes rédactions », insiste Cécile Méadel.
Pour une meilleure représentation dans les articles
« Je ne vous apprends rien quand je dis que le but d’un média est d’être représentatif de la société, en France nous comptons 52 % de femmes, ce serait bien que ce chiffre soit le même dans les articles », annonce Mathilde Saliou et de poursuivre, compter le nombre de femmes interrogées en tant qu’expertes ou témoins est une bonne d’entrée. C’est en tout cas un premier bon indicateur pour savoir où l’on en est. Heidi.news est allé encore plus loin dans la démarche en publiant un gender tracker ou Le Temps qui publie les chiffres de la place des femmes dans ses pages Opinions et débats. La Suisse a un temps d’avance…
On est souvent tenté d’interroger les mêmes personnes, car on sait que ce sont de bons clients, qu’ils sont rodés à l’exercice médiatique, que renouveler son carnet d’adresses peut être long et qu’en tant que journaliste, nous passons nos journées à courir après le temps. Mais alors, où trouver facilement des expertes pour se renouveler ? Mathilde Saliou a justement créé une ressource qui recense des sites. Parmi eux, le site Les Expertes s’est développé en partenariat avec des rédactions françaises et recense des chercheuses dans plein de domaines différents de la sociologie à la tech en passant par l’économie, tout comme Voxfemina.
De manière thématique, voici quelques ressources pour la tech : 100 women, dans le jeu vidéo : womeningames, des scientifiques : 500 women scientist, dans le domaine de la santé : Women in global health, des chercheuses partout en Europe : Brussels binder. Aux États-Unis aussi des plateformes ont été créées comme SheSource et Informed Opinions. Aussi en Afrique du Sud avec Quote This Woman. Pour une recherche plus large sur tous les thèmes et par régions : Reflect Reality.
Prenons la Une a également produit une charte antiraciste à destination des journalistes. Parmi les conseils : ne pas considérer que l’origine d’une personne est sa seule caractéristique ou encore avoir des origines ne présage pas d’une connaissance pointue d’un environnement. Si vous n’êtes pas à l’aise avec les sujets LGBT, vous pouvez vous appuyer sur le guide établi par l’association des journalistes LBGT (AJL).
Dans les articles il y a les mots, mais aussi les images. Et vous connaissez l’importance de l’impact des images dans le journalisme et sur les réseaux sociaux. Plusieurs outils sont à votre disposition pour diversifier vos illustrations : Black Illustrations, Gumroad, Blush.design. Pour le côté chiffres, Mathilde Saliou partage le compte Women Photograph qui a recensé le nombre de photos prises par des femmes dans les principaux titres de presse américains en 2017, et ce n’est pas chouette…
« Il faut travailler avec des journalistes spécialistes »
Comme le conseille Lénaïg Bredoux de Mediapart ou Mathilde Saliou de Prenons la une, « il faut travailler avec des journalistes spécialistes des questions de genre ou de l’égalité ».
Le traitement médiatique de ces sujets est un pivot essentiel. Mathilde Saliou insiste notamment sur les articles concernant les violences faites aux femmes dont Prenons la Une a établi quelques recommandations pour les journalistes. Du fait divers, ce sujet est devenu un enjeu de société. L’utilisation des bons termes, ou protéger l’identité de la victime sont mentionnés dans le guide. « Le constat est clair quand un blog comme Les mots tuent relève les titres de certains journaux qui parlent de violences conjugales ou de féminicides ».
Dans les rédactions, le problème du cyber-harcèlement est aussi un sujet primordial pour Prenons la une. Les journalistes ne savent pas toujours comment agir, et un guide a été établi pour les accompagner. Les stagiaires peuvent être en première ligne face au harcèlement, voici un autre guide qui leur est destiné ainsi qu’aux rédactions.
Il ne s’agit pas simplement de cocher des cases et de remplir des quotas. Finalement tendre vers plus de représentativité relève d’un mécanisme circulaire : plus il y aura de diversité dans les rédactions, plus il y aura une meilleure représentation de la société dans sa complexité et donc de la réalité. Telle est la tâche qui incombe aux médias. Pour Cécile Méadel, il ne s’agit pas de « sanctionner les médias qui n’ont pas encore pris le pas, mais d’avoir une politique incitative. Il faut un observatoire qui travaille dans la continuité par exemple à l’INA et renforcer les formations dans les écoles de journalisme à ce sujet ».
Aller plus loin
Vous voulez savoir si votre organe de presse reflète votre communauté ? Faites un audit des sources. Voici comment. — Nieman Lab
États-Unis : les rédactions sont moins diversifiées que l’ensemble des travailleurs américains — Pew Research Center
Questions et réponses de la communauté : en tant que manager blanc, comment puis-je établir la confiance et être un bon allié pour mes collègues de couleur ? — Source
Pour une écriture plus inclusive qui n’exclut pas notre lectorat — Le Temps
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