Malgré un déclin annoncé, la presse magazine continue de séduire

« Les magazines imprimés ne peuvent pas rivaliser avec les médias numériques pour ce qui est de fournir un contenu constamment actualisé à un public de masse. En revanche, ils peuvent potentiellement conserver un lectorat fidèle grâce à une publication pertinente et esthétique »

Owen Huchon Julian Novitz
Owen Huchon / Julian Novitz

Arti­cle traduit par Owen Huchon — Ver­sion orig­i­nale, rédigée par Julian Novitz, pub­liée sur le site de The Conversation le 9 janvier 2024.

Dans la comédie classique S.O.S. Fantômes (1984), Janice, une secrétaire tout juste embauchée, aborde le sujet de la lecture, tout en feuilletant les pages d'un magazine. Le personnage Egon Spengler (scientifique) lui rétorque alors brusquement : « print is dead ».

Les paroles d'Egon semblent aujourd'hui prémonitoires. L'hypothèse qui prévaut depuis une vingtaine d'années est que les médias imprimés sont lentement étranglés par la montée en puissance du numérique. Les magazines imprimés, en particulier, sont souvent perçus comme étant menacés. Bien qu'ils ne soient plus aussi populaires qu'autrefois, ils ne sont pas morts. De nouveaux titres ont vu le jour depuis le début des prédictions alarmistes, tandis que d'autres continuent d'attirer des lecteur·ices fidèles. Quel est donc ce charme immuable qui caractérise le magazine imprimé ? Pourquoi n'est-il pas mort, comme tant d'autres l'avaient prédit ?

Des mots imprimés dans un monde en ligne

Le mot « magazine » vient d'un terme désignant un entrepôt ou un magasin. Par essence, il s'agit de toute publication qui rassemble différents types d'écrits à l'intention des lecteur·ices. Chaque numéro comprend un éventail de voix, de sujets et de perspectives. La culture des magazines imprimés a assurément connu un déclin depuis son apogée au XXème siècle. Des magazines autrefois très populaires ont été entièrement mis en ligne ou sont largement soutenus par des abonnements numériques en hausse. Ailleurs, les sites de médias en ligne, tels que Buzzfeed et ses semblables, répondent de plus en plus au besoin d'une écriture courte, diversifiée et divertissante. L'explosion des réseaux sociaux a également amputé le marché de la publicité dont dépendaient traditionnellement les magazines imprimés.

Les internautes en sont venus à s'attendre à ce qu'un nouveau contenu sorte chaque jour, voire chaque heure. Les lecteur·rices occasionnel·les sont moins enclin·es à attendre qu'un magazine imprimé hebdomadaire ou mensuel arrive par courrier ou soit disponible en kiosque. La disponibilité immédiate d'un contenu numérique « gratuit », ou nettement moins cher, peut les dissuader de souscrire des abonnements à la presse écrite ou d'acheter des numéros l'unité.

Passer de l'écran au papier

Pourtant, les magazines refusent de mourir. Des publications historiques, comme le New Yorker et Vogue, s'accrochent avec obstination à un lectorat mondial, tant en version imprimée qu'en version numérique. De nouveaux titres apparaissent également — en 2021, 122 nouveaux magazines imprimés ont été lancés rien qu'aux États-Unis. Ce nombre est inférieur à celui des années précédentes, ce qui indique peut-être un rétrécissement global du marché de la presse écrite. Mais compte tenu des idées préconçues, il est important de noter que de nouveaux périodiques aient vu le jour. En Australie, les ventes de magazines imprimés ont augmenté de 4,1 % en 2023 et des publications précédemment abandonnées, telles que Girlfriend, font aujourd'hui l'objet d'un retour ponctuel et teinté de nostalgie sur le marché de l'impression.

Le marché des magazines imprimés n'est pas vraiment florissant. Mais ils n'ont pas disparu aussi rapidement que prévu. Certains commentateurs ont attribué cette attirance persistante pour les magazines à l'expérience physique de la lecture. Nous absorbons les informations différemment quand elles se trouvent sur papier, peut-être de manière moins frénétique et moins distrayante. La « fatigue numérique » des années de pandémie a par ailleurs sans doute entraîné un léger retour vers les médias imprimés. Le regain d'intérêt pour les magazines imprimés a également été attribué à l'attrait pour le vintage (par exemple la photographie argentique ou les vinyles) des lecteur·rices de la génération Z.

Comme l'a fait remarquer l'écrivain Hope Corrigan, l'esthétique des magazines présente en effet un certain attrait. Le soin apporté à la mise en page, aux images et aux textes ne peut pas toujours être reproduit à l'écran. En effet, les magazines qui mettent l'accent sur la photographie et la conception visuelle — tels que les magazines de mode et de voyage — sont toujours imprimés. Samir Husni, expert en magazines, a observé que les nouveaux magazines imprimés indépendants s'adressent davantage à un lectorat de niche. Les progrès des technologies d'impression ont rendu les petits tirages plus rentables. Cela permet aux nouveaux magazines de privilégier la qualité plutôt que la quantité. La nouvelle génération de magazines imprimés a tendance à avoir un prix de vente plus élevé et une meilleure qualité de production. Ils sont également publiés moins fréquemment, les rythmes trimestriels ou semestriels étant de plus en plus courants.

Ce qui était vieux est à nouveau cool ?

Cette montée en gamme des magazines papier rompt avec l'idée qu'ils sont bon marché et jetables. Il s'agit plutôt d'un produit de luxe. Les magazines imprimés ne peuvent pas rivaliser avec les médias numériques pour ce qui est de fournir un contenu constamment actualisé à un large public. En revanche, ils peuvent potentiellement conserver un lectorat fidèle grâce à une publication pertinente et esthétique.

Cela signifie que les magazines imprimés peuvent être épargnés par certaines contraintes subies par les médias en ligne qui dépendent uniquement des recettes publicitaires. Ces dernières années, on a assisté à des remaniements de personnel, à des démissions en masse et à des fermetures de sites web populaires reprenant les codes éditoriaux et esthétiques des magazines, tels que Deadspin, The Onion AV Club, The Escapist et Jezebel (bien que ce dernier soit revenu depuis). La vision et les normes de qualité initiales de ces médias ont sans doute souffert de la volonté constante d'augmenter le trafic quotidien et de réduire les coûts.

Les magazines pourraient également connaître un regain d'intérêt de la part des annonceurs. Des études récentes indiquent une forte préférence des consommateur·rices pour la publicité imprimée. Les lecteur·rices sont beaucoup plus susceptibles de prêter attention à une publicité sur papier et de faire confiance à son message. En revanche, la publicité en ligne a plus de chance d'être ignorée ou rejetée.

Dans un portrait de Steven Lomazow, collectionneur de magazines, publié en 2021, Nathan Heller écrit :

« [...] ce qui rendait les magazines attirants en 1720 est la même chose que ce qui les rendait attirants en 1920 et en 2020 : un mélange d'iconoclasme et d'autorité, de nouveauté et de continuité, de commercialisation et de créativité, d'engagement social et d’une voix personnelle »

Si la diffusion et l'influence des magazines imprimés ont diminué, ils ne sont pas nécessairement morts, ni même en train de mourir. On peut considérer qu'ils occupent une place plus réduite, mais durable, dans le paysage médiatique.

StratégiePapiermagazineModèle économiquelectoratTraduction

Owen Huchon Twitter

Owen Huchon est journaliste chez Médianes. Il est en charge de la communauté.

Julian Novitz

Maître de conférences Médias et Communication à Swinburne University of Technology