Présentez vos papiers — Censored

Apolline Labrosse dévoile tous les secrets derrière les couvertures originales de la revue féministe Censored.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Apolline Labrosse est Directrice artistique de la revue féministe Censored, cofondée en 2018 avec sa sœur Clémentine Labrosse. La revue documente l’art, la culture et les luttes contemporaines à travers un prisme féministe et queer. Elle se distingue par ses couvertures originales et sensorielles, toujours au service du propos tenu au sein du numéro.

Bonjour Censored ! Présentez vos papiers.

On a deux papiers différents depuis le début. On varie entre un papier qui a du grain et un papier brillant. Ce sont des cahiers de seize pages, ce qui nous permet d’alterner. Le papier brillant met plutôt en valeur les couleurs des photos de mode quand le papier mat fait ressortir les photos de paysage. 

Extraits d'anciens numéros de Censored

Quelles références utilisez-vous ?

On se fournit surtout chez Fedrigoni, une entreprise de papier italien. Récemment, une de leurs commerciales m’a offert plein d’échantillons et je suis devenue folle, tout était trop beau. Pour l’intérieur de la revue, on fait attention au prix, on va plutôt à l'économie. On alterne entre un papier Munken et un Arena. Ce dernier comporte plusieurs touches : le « rough », qui est un papier rêche et le « bulk », qui est plutôt gonflant. C’est surtout une histoire de calculs : en fonction de nos envois postaux, certains papiers vont être plus intéressants car plus légers au niveau du poids. 

Quelle doit être l’expérience sensorielle ?

De la douceur. Au niveau du toucher, c'est vraiment un papier assez basique ou alors un papier qui a du grain, mais qui va ressembler à l’expérience d'un livre. Et il y a quand même un peu de tenue. Nos papiers sont assez épais pour que ce ne soit pas transparent d'une page à l'autre.

Le dernier numéro de Censored porte sur le temps. Quelles ont été vos réflexions pour choisir le bon papier ?

La couverture est un rabat de la quatrième de couverture qui vient se mettre sur la première. Au début, on voulait en faire un numéro complètement épistolaire et en faire un cadavre exquis mais il aurait fallu s’y prendre un an à l’avance. Finalement, on doit avoir une petite dizaine de lettres au total. Je les ai présentées comme telles : sur la page de gauche, j'ai scanné plein d'enveloppes que j'ai trouvées et retravaillées. Et sur la page de droite, un papier de couleur. On a mis un peu plus de papier mat que d’habitude à l’intérieur parce qu’on voulait que cela ressemble à du papier à lettres. On a beaucoup hésité entre plein de papiers différents. Au début, je voulais quelque chose de coloré, type buvard. Mais cela coûtait super cher. Surtout, je voulais faire comme si on avait collé des faux timbres au dos de la revue. Si j'imprimais sur du papier directement coloré, mes timbres seraient ressortis roses. Donc au dernier moment, on a changé pour un papier Woodstock qui fait partie de la gamme de Fedrigoni. C'est un papier assez cher mais très beau fait avec du papier recyclé à base de chanvre. On voit bien les résidus. Après, comme on voulait garder l’idée d’un papier passé, un peu jauni, on a quand même teinté l’intérieur avec ce rose buvard. 

La couverture du dernier numéro de Censored sur le temps

L’un des précédents numéros de Censored baptisé « Réponses à la violence » prend la forme d’un rapport administratif. Comment avez-vous procédé ?

Pour « Réponses à la violence », je voulais d’abord un papier bristol mais c’était à nouveau trop onéreux. On est donc parties sur un carton gris, tout ce qu’il y a de plus basique. Ce papier est très économique, ce sont des fibres de papier recyclé collées entre elles. À produire, cela ne coûte vraiment pas grand chose. Le rendu fait un peu dossier des années 1970. C’est la commerciale de notre imprimerie qui nous a dit « Vous savez qu'on a une encocheuse ? C’est une machine qui permet d’assembler des dossiers administratifs. » On a décidé de s’en servir et cela nous a coûté à peu près 400 euros. Un effet maximal pour beaucoup moins d'argent que ce qu'on aurait pensé. Ce qui est chouette, c’est que notre imprimeuse a pris l'habitude de nos concepts. Maintenant, elle nous aide et cherche avec nous.

Couverture du numéro 7 de Censored, « Réponses à la violence »

Pourquoi réaliser des couvertures si compliquées ?

Nos numéros spéciaux sont des caprices que l’on fait à chaque fois. Mais depuis qu’on a commencé, on ne peut plus trop s'en passer. Nos papiers sont au service des concepts que l’on développe dans les numéros. On veut que l’idée développée à l’intérieur se ressente dès la couverture. On s’est fait la réflexion depuis le numéro 5, « Transmission », sur les archives. C’est le moment où on a repensé le projet de façon plus sérieuse. On pense beaucoup au moment où les personnes vont être interpellées par la revue en librairie. Moi, je vais m’intéresser à un livre ou à une revue parce que la couverture m’attire. Si je vois un papier irisé, je vais directement aller le toucher. 

Votre direction artistique semble de plus en plus sobre. Cela fait-il partie de vos réflexions ?

Je trouve que les rayons des librairies sont toujours un peu saturés. Au début, on mettait des grandes photos en pleine page ou des couleurs fluo. À présent, on n’est pas toujours minimalistes, mais on fait en sorte de proposer quelque chose de plus épuré. On ne s’y tient pas toujours. Le numéro 8 sur le thème de l’écologie, c’est une grande photo. Sur les visuels, on essaie de ne pas trop choquer non plus, contrairement à ce que laisse penser le nom Censored. Des gens s'attendent parfois à avoir des trucs super trash, mais en fait non. 

La couverture du numéro 8 de Censored sur le thème de l'écologie

Ces numéros spéciaux fonctionnent-ils aussi bien en précommandes ?

C’est surtout en librairie. Pendant les précommandes, les gens ne se rendent pas forcément compte des papiers qu'on a utilisés, de la découpe, si c'est une vraie ou si c'est juste un effet. En librairie, cela marque les gens. Et puis surtout, ils en prennent soin. Ils vont un peu l'exposer chez eux. J’ai l’impression que cela dure plus longtemps. Maintenant, on fait en sorte que cela fasse partie de notre identité d'avoir à chaque fois un truc qui twiste sur la couverture. 

Avez-vous déjà eu des surprises de dernière minute ?

Justement, sur le numéro 8 ! On a dû changer de couverture trente minutes avant d'envoyer l'impression. Cette grande photo n’était pas du tout prévue. Je travaillais avec une illustratrice et j’avais prévu un papier à paillettes noir. Au dernier moment, j'ai reçu le devis de ce papier et on m'a demandé d'avancer 10 000 euros de papier. Bien sûr, je n’ai pas 10 000 euros de trésorerie ! Donc, j'ai dit, non, je change de papier. Qu'est-ce que vous avez en stock ? Mon imprimeuse m’a proposé un Munken, quelque chose de vraiment basique. Comme le prix du papier avait flambé, je ne pouvais me permettre que cela. Par la suite, quand j'ai expliqué ces changements à l'illustratrice, elle n'a plus voulu mettre son illustration. Ce n’est pas grave, mais il a fallu s’adapter. Les contraintes budgétaires sont présentes en permanence.


Pour aller plus loin

  • Pour vous procurer le dernier numéro de Censored, « IT'S ABOUT TIME! », c'est par ici.
  • Amour au premier regard, ruptures et compromis. Natalie Thiriez nous raconte l’histoire d’une relation fusionelle mais tumultueuse entre l'hebdomadaire Le 1 et son papier.
  • Qui dit impression dit support papier. Quels éléments changent, d'un type de papier à un autre ? Quelles répercussions cela a-t-il ? Nous vous présentons des cas pratiques.
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Médianes, le studio, a accompagné les équipes de Censored en 2022 dans son développement stratégique.
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Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de veille.