
Camélia Kheiredine, Étiquette : « Se poser la question : pourquoi je fais ce métier, pour qui et comment, ça aide à prendre les meilleures décisions. »
Camélia Kheiredine est journaliste indépendante. Elle a imaginé et porté l’émission Étiquette sur Francetv.slash. Elle est invitée de la troisième saison de Chemins, le podcast de Médianes.
Dans cet épisode de Chemins, je reçois Camélia Kheiredine, journaliste indépendante, spécialisée dans la création de formats à destination des jeunes publics. Pendant quatre ans, elle a imaginé et porté Étiquette, une émission diffusée sur France.tv Slash qui déconstruisait les clichés autour d’une identité, d’un métier, ou d’une expérience de vie. Après avoir quitté ce projet en 2022, Camélia a pris une pause pour devenir responsable pédagogique dans les collèges, avant de revenir avec de nouveaux projets sur ARTE. Dans cet épisode, Camélia nous parle des choix qui jalonnent une carrière créative et engagée : comment tracer sa propre route dans des médias traditionnels ? Et que signifie faire le deuil d’un projet qui ne nous appartient pas ?
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- La confiance comme moteur
Camélia Kheiredine a fait ses débuts dans le journalisme via une alternance à France.tv Slash, plateforme numérique de France Télévisions à destination des jeunes publics. Dans cette rédaction en pleine construction, tout restait à inventer et ses supérieur·es lui ont accordé toute confiance et latitude pour imaginer des formats.
« Quand je suis arrivée, Slash n’existait que depuis deux ans. On m’a dit : “Tu connais la cible des 15-30 ans, tu es passionnée par les réseaux sociaux, alors si tu as des idées, si tu as envie de créer des programmes, de les imaginer, c'est le moment.” C’était motivant d’avoir autant de liberté si tôt dans ma carrière. »
Au bout d’un mois, Camélia pitche Étiquette, une émission visant à déconstruire les clichés concernant, par exemple, les féministes, les personnes grosses, les personnes en situation de handicap, les femmes qui portent le voile et à donner la parole aux personnes concernées par les thématiques abordées.
« À l’époque, la France était très en retard par rapport à des formats qui pouvaient déjà exister aux États-Unis ou en Angleterre. Les journalistes prenaient toujours énormément de place en plateau, tout comme les expert·es, et les personnes concernées par le sujet abordé se contentaient de faire de la figuration. »
Camélia Kheiredine finit par créer son propre média au sein d’une structure existante.
« J’ai dit à quel point j’étais motivée, que j’avais déjà tout imaginé, que j’avais une tonne d’épisodes à proposer. Tout s’est ensuite enchaîné très vite : les rendez-vous avec la production, la définition du budget, le casting, la constitution d’une équipe… Tout ça, en étant un petit bébé dans le milieu ! Par la suite, j’ai saisi toutes les opportunités et j’ai passé mon temps à proposer, proposer, proposer. »
Chez Slash, Camélia Kheiredine a également lancé et présenté sur Snapchat l’émission Désorienté·es, destinée à faire découvrir différents métiers aux jeunes ; et Ça Rec, dans laquelle elle sillonnait la France pour donner la parole aux jeunes, toujours.
- Savoir arrêter un format au bon moment
Après deux ans et cinquante épisodes, Étiquette s’arrête. Si le format avait répondu à un besoin au moment de son lancement, continuer risquait d’amoindrir son engagement de départ, son impact et sa pertinence. Lorsque l’émission s’est lancée, elle avait pour objectif de donner la parole à des personnes concernées par des sujets de société sensibles, des discriminations ou des stéréotypes. Avec le temps, les thématiques ont commencé à s’épuiser et les angles sont devenus plus difficiles à renouveler.
« À un moment, je me suis dit : si on continue comme ça, on va devenir un cliché de nous-mêmes. Ce qu’on faisait au début était innovant. Mais si on commence à trop tirer le fil, on va perdre ce qui faisait notre force. »
Un arrêt nécessaire pour préserver l’intégrité du projet et éviter de lasser le public.
Tous les épisodes sont encore disponibles aujourd’hui sur la plateforme.
- Quitter France.tv Slash : entre lassitude et précarité
Au bout de quatre ans, Camélia Kheiredine quitte Slash. Un départ motivé par un sentiment de lassitude et par des conditions de travail dégradées par l’accumulation de contrats précaires (les CDDU, fréquemment rencontrés dans l’audiovisuel et pourtant illégaux pour rémunérer des journalistes).
« Je suis partie aigrie : les conditions de travail m’ont franchement lassée. Au bout de quatre ans, je me suis dit, bon, quand même, les gars, j’incarne, je donne beaucoup de temps et d’énergie à ce projet, j’ai impulsé plein de formats, à un moment, respectez-moi ! Le service public est vraiment bancal sur ces sujets. »
Ce départ a impliqué pour la journaliste de dire adieu à des projets qu’elle avait impulsés, mais qui ne lui appartenaient pas.
« C’était angoissant, parce que je n’avais aucun plan B pour la suite, c’était un saut dans l’inconnu et j’étais triste. J’ai adoré mon travail, la liberté qu’on m’a donnée et le fait de créer une relation avec notre cible. Tous les formats que j’avais proposés et lancés étaient mes petits bébés. C’était une extension de moi, de ma personnalité. Mais il fallait que je m’envole et que j’essaie de me renouveler ailleurs. »
- Une pause pour se réinventer
À son départ, Camélia Kheiredine a pris une pause de six mois. Ce temps d’arrêt lui a permis de digérer les quatre années passées, et de réfléchir à sa place dans le journalisme.
« Je questionnais beaucoup ma place dans ce milieu, mon rapport à ce métier, au métier passion. J’avais besoin de cette pause. Je me suis demandé : est-ce que je veux vraiment être journaliste ? Est-ce que je vais vraiment trouver ma place ? Chez France.tv Slash, j’avais trouvé ma place, mais ailleurs, je ne voyais pas où aller. »
Pour sortir de l'entre-soi journalistique, Camélia Kheiredine a choisi de travailler pendant six mois comme chargée de mission pédagogique, en accompagnant des jeunes décrocheur·ses dans leurs choix d’orientation après la troisième.
« Je me suis dit, ok, le journalisme m’a saoulée mais j’ai une autre passion, ce sont les jeunes publics. Si j’aime aller à la rencontre des jeunes, j’aimerais sûrement aller dans les collèges pour y faire des interventions. Et effectivement, cela a été l’une de mes expériences les plus enrichissantes. Avec cette pause, j’ai réalisé à quel point, nous, journalistes, étions dans un entre-soi, avec des angles qui tournent en rond. Nos sujets manquent souvent de concret. Avec cette pause, je me suis reconnectée à la réalité. Ça m’a donné plein de nouvelles idées, plein d’angles. C’est sur le terrain qu’on trouve le sens de notre métier. »
Camélia Kheiredine insiste sur l’importance d’un journalisme plus accessible, inclusif et authentique.
« Quand je disais aux jeunes que j’étais journaliste, ils·elles ne me croyaient pas : “Mais toi, tu parles comme nous, tu ne peux pas être journaliste !” Ça montre à quel point la profession a été mise sur un piédestal. Il faut casser ce rapport vertical et reconnecter avec les gens. »
- Prendre la parole sur les réseaux sociaux
Depuis ses débuts chez Slash, Camélia Kheiredine partage sur les réseaux sociaux son quotidien de journaliste et promeut ses différents projets. Elle y aborde les coulisses du métier, les conditions de travail des journalistes, et les défis qu’elle rencontre. Si cette visibilité peut sembler être un atout, la journaliste raconte qu’elle est en réalité une arme à double tranchant.
« Sur les réseaux, je suis grave transparente. Ce que je dis, ce sont des faits sur la profession, sur les conditions. Mais je sais que ça ferme des portes, surtout quand tu es une femme racisée, vocale, et issue d’un milieu populaire. »
- Reprendre le contrôle
En parallèle de son travail de chargée de mission pédagogique, Camélia Kheiredine collabore avec ARTE en tant que Cheffe de projet vidéo Twitch. Elle a également sorti son propre podcast, La mort est une amie d'enfance, sur ARTE Radio. Sa passion du journalisme reste intacte, mais elle refuse désormais que celle-ci devienne une source de pression ou de frustration constante.
« Aujourd’hui, je travaille avec ARTE et j’en suis très contente. Mais cette période d’après Slash m’a vraiment marquée. C’était une traversée du désert. J’étais trop mal à l’aise, parce que tout le monde me disait : “Depuis que t’as quitté Slash, on a dû t’appeler de fou !” Mais les gars, c’était le néant. Rien du tout. Maintenant, je ne veux plus que le journalisme soit au centre de ma vie. C’est une passion, mais c’est aussi une profession précaire et exigeante. J’ai appris à prendre du recul et à ne choisir que les projets qui me font vraiment vibrer. Se poser la question : pourquoi je fais ce métier, pour qui et comment, ça aide à prendre les meilleures décisions. »
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