
Coulisses de Médianes — Épisode 2 : Prendre la parole
Depuis nos débuts, nous avons à cœur de mener une mission d'intérêt général. Un engagement qui nous impose de ne pas nous taire.
Un contexte qui se durcit
À nos débuts, et comme l’expliquait Marine le mois dernier, nous sentions déjà que l'écosystème médiatique traversait une période délicate. À vrai dire, on sait que la presse et les médias sont en crise depuis une quarantaine d’années. Une crise ? Plutôt une nouvelle normalité.
Pourtant, cinq ans plus tard, la situation s'est considérablement aggravée. Les dons aux associations ont ralenti en 2024, avec l'une des plus faibles hausses de ces vingt dernières années. Cette tendance touche directement les médias que nous accompagnons, qui pour beaucoup dépendent du soutien de leur communauté. Les budgets se resserrent, les priorités changent, et les médias, même les plus engagés, doivent faire face à une réalité économique toujours plus contraignante. À cela s'ajoutent les menaces sur les aides publiques à la presse et les coupes budgétaires, opérées en toute opacité, qui fragilisent davantage encore un secteur déjà sous tension.
Nos partenaires européens du réseau Sphera vivent des pressions directes qui vont bien au-delà des difficultés économiques. En Pologne, Krytyka Polityczna a vu ses financements américains suspendus du jour au lendemain suite aux décisions de Donald Trump, obligeant la rédaction à faire appel à l'aide d'urgence de ses lecteurs. En Hongrie, 444.hu fait face à un projet de loi qui pourrait tout simplement interdire l'existence de ce média : le gouvernement Orbán propose d'autoriser des sanctions colossales contre les médias recevant des financements « étrangers », y compris européens. Face à cette dérive autoritaire qui menace l'un des derniers bastions de la presse libre hongroise, nous avons lancé une pétition pour mobiliser la solidarité européenne et exiger une réaction ferme des institutions européennes.
Si les médias que nous accompagnons disparaissent ou s'affaiblissent, c'est toute une partie du débat public qui s'appauvrit. Nous ne pouvons pas rester spectateur·ices de cette fragilisation. Nous savons que des solutions existent, mais qu'elles peinent à être mises en œuvre faute de coordination ou de visibilité.
Ce que signifie prendre la parole
Prendre la parole, ce n'est pas seulement publier des analyses ou partager des retours d'expérience. C'est aussi défendre publiquement les conditions nécessaires à l'existence d'un journalisme indépendant et de qualité. Cela passe par notre participation aux débats sur les politiques publiques de soutien aux médias. Par notre engagement dans les discussions européennes sur la régulation des plateformes. Par notre volonté de documenter et d'alerter sur les dérives que nous observons : concentration excessive, dépendance aux algorithmes, précarisation des journalistes. Nous voulons aussi porter haut les réussites que nous observons au quotidien. Montrer que des modèles économiques durables sont possibles, que l'indépendance n'est pas incompatible avec la viabilité, que l'innovation éditoriale peut exister avec l'exigence journalistique.
Nous prenons d’abord la parole pour la défense de la liberté de la presse en Europe. Ce qui arrive à nos partenaires de Sphera n'est pas un phénomène isolé. De la Hongrie à la Pologne, de l'Italie à l'Espagne, nous assistons à une érosion systémique des conditions d'exercice du journalisme indépendant. Nous devons documenter ces dérives, les dénoncer publiquement, et mobiliser la solidarité européenne pour défendre et protéger ces médias et leurs journalistes, ainsi que leurs communautés.
Ensuite, nous nous engageons dans la défense de modèles de financement diversifiés. Face au recul des annonceurs et des financements publics, nous devons accompagner les médias vers plus de résilience économique. Cela passe par l'exploration de nouveaux formats, la mutualisation de ressources, l'innovation dans les relations avec les communautés, et aussi par la recherche de nouvelles sources de financement.
L’indépendance des médias passe aussi par l’abandon d’une forme de dépendance technologique. Les géants du numérique, souvent américains, continuent d'aspirer une part croissante de l'attention et des revenus publicitaires, tandis que les plateformes deviennent des armes de désinformation et de pression politique. Nous devons aider les médias indépendants à reconquérir une partie de cette valeur et à réduire leur dépendance par la coopération, l'innovation technique, la différenciation éditoriale.
La formation et l'accompagnement renforcé des équipes sont enfin des besoins réels. Dans un contexte où les pressions s'intensifient, où les compétences évoluent rapidement, nous devons proposer des ressources adaptées aux réalités des médias. Des formations accessibles, des outils mutualisés, des espaces d'échange et d'entraide, mais aussi des stratégies de protection et de sécurité numérique.
Un engagement collectif
Cette prise de parole, nous ne la concevons pas comme un monologue. Elle se nourrit des échanges avec les médias que nous accompagnons, des débats au sein de nos réseaux, des retours de terrain que nous collectons chaque jour. Nous vous invitons à nous rejoindre dans cette démarche.
Si ces questions vous préoccupent aussi, nous serions ravi·es d'échanger avec vous. N'hésitez pas à m'écrire à [email protected] ou à nous suivre sur nos différents canaux pour continuer la conversation.
— Baptiste
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