Le média du mois : The Creative Independent

Chaque mois, un·e membre de l'équipe vous dresse son analyse d'un média qu'il ou elle apprécie particulièrement. À la loupe pour cette édition, le site The Creative Independent.

Owen Huchon
Owen Huchon
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Carte d'identité du média

Nom : The Creative Independent
Nationalité : Américaine
Année de création : 2016
Fondateur·ices : Cofondé par Brandon Stosuy
Modèle économique : Lancé et financé par Kickstarter
Support : Site web et événements ponctuels
Type de média : Arts
Langue(s) de publication : Anglais

Mercredi 14h30, une partie de l’équipe se réunit pour la conférence de rédaction. « Cling ! » fait l'ordinateur, signifiant aux participant·es de l’appel en visioconférence que quelqu’un a numériquement levé la main. « On a déjà beaucoup parlé de médias papier dans nos Médias du mois » fait remarquer l’orateur depuis sa webcam. Et c’est vrai. Sabir, Surf Sessions, It’s Freezing in LA … Des médias assurément formidables mais tous passés à un moment ou à un autre par la case rotative. On adore le papier (on a même lancé une série d’interviews sur la façon dont les médias choisissent leur papier) mais on adore Internet aussi. Médianes est un média sur Internet ! Alors on a commencé à lister les sites qu’on aimait bien. Ceux qui sont beaux, ceux qui sont intéressants et ceux qui proposent des fonctionnalités originales. Il y en a beaucoup et nous voulons désormais les mettre à l’honneur. Ce changement de cap s'est manifesté le mois dernier sous la plume de notre directrice artistique, Christelle Perrin, qui vous a présenté It’s Nice That.

J’ai désormais la lourde tâche de lui emboîter le pas et de vous présenter une découverte assez récente : The Creative Independent. Un site qui rassemble tout plein de ressources pour les créatifs et créatives dans lequel toutes les formes d’arts sont représentées ainsi que toutes les facettes du processus créatif, de la plus passionnante à la plus angoissante.

Genèse

Le site a été créé en 2016, co-fondé par un ancien de Pitchfork, Brandon Stosuy, qui en est aujourd’hui rédacteur en chef. Mais au risque de vous décevoir, l’histoire du Creative Independent ne commence pas avec une bande de gais lurons décidant un jour de lancer un site contre vents et marées. Il y a en fait Kickstarter, la plateforme de financement participatif. Heureusement (ou pas) cette affiliation est discrète. Je dois l’admettre, je ne l’avais même pas remarquée, bien qu’un logo figure effectivement dans la bannière et que l'implication de la boîte est clairement mentionnée dans la page « About ». Finalement, on comprend aisément le lien entre les deux. D’un côté, une plateforme dont le rôle est de permettre à des créatif·ves de lancer leurs projets et, de l’autre, un site qui rassemble des ressources à destination d’artistes, écrivain·es, musicien·nes, etc. Bref, celles et ceux qui créent. Finalement les deux offres se complètent. Mais fort heureusement il n’y pas de publicité (pour Kickstarter ou pour quoi que ce soit d’ailleurs), pas de codes promo et le site ne mentionne que rarement la plateforme pour financer ses projets (par exemple ici, même si d’autres alternatives sont suggérées). Si je ne m'étais attardé que sur les contenus, peut-être n'aurais-je jamais eu connaissance de ce lien. Les présentations désormais faites, passons au site.

Une histoire de mucus

Attardons-nous un instant sur le logo : une spirale en pixel-art qui résume en réalité l'ambition et les valeurs qui animent la ligne éditoriale du Creative Independent

Le logo de The Creative Studio

D’un côté, la spirale, évoquant le retour aux sources, les premières étapes et une réflexion sur le processus créatif dans son ensemble, plutôt que sur sa finalité. « Nous aimons les spirales parce qu'elles permettent de revenir à une idée centrale au fil du temps, ce que toutes les personnes créatives doivent faire pour créer ce qu'elles façonnent » explique le site. Ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas d’une spirale comme les autres, mais bien celui du plus connu des gastéropodes à coquille devenu leur animal fétiche : l’escargot. « Nous pensons que l'escargot est une bonne mascotte pour TCI, car il est biologiquement contraint de laisser son mucus (processus, chemin) partout. On pourrait dire que notre objectif est de mettre en lumière « le mucus » (souvent caché) des artistes avec lesquel·les nous parlons. On pourrait dire que nous sommes une archive croissante de mucus ». Dont acte.

Au-delà du contenu, on aime à première vue le style qui s’accorde parfaitement avec la philosophie de TCI qui entend mettre à l’honneur toutes les formes d’expressions artistiques. Un mélange entre numérique et physique, son et image, mêlant pixel art, collage et dessin à la main. Et puis il y a des surprises ici où là, des petites perles à découvrir un peu partout. Dans sa page de présentation par exemple, on a droit à des extraits de messages audios de ses lecteur·ices, ou plutôt de ses « Escargots anonymes ». Ou encore cette page qui vous propose une série de GIF d’escargot. 

Des contenus simples, mais pas trop

Je m’excuse par avance pour cet anglicisme mais quand on parle de contenus courts et faciles à consommer, on parle parfois de « snacking ». Ce format, parfois mal vu par sa simplicité il faut le dire, est ici exécuté de façon efficace, cohérente et plutôt maline. Sur la page interview, on se retrouve confronté à un immense mur de cases colorées. D’un coup d'œil, on sait de quoi on va parler et avec qui car chaque interview est titrée avec un format dont rêverait n’importe quel·le responsable SEO : Personne interviewée + son métier + le sujet dont elle va parler. Résultat, on a envie de tout cliquer et il suffit de quelques minutes pour que notre navigateur croule sous les onglets.

Des interviews. Beaucoup d’interviews.

On pourrait trouver que c’est froid, produit à la chaîne (il y a une nouvelle interview par jour), et très formaté. Les titres se ressemblent, il n’y a pas de visuels, les entretiens sont courts… Mais dans cette simplicité s’exprime une authenticité assez sympathique, un côté cru et sincère. On a l’impression d’être dans une pièce remplie de dizaines voire de centaines de personnalités passionnantes dont on peut écouter d’une oreille quelques bribes de conversation. Un temps, on écoute le producteur Kwudi raconter comment il profite de ses limitations dans son travail et puis on se tourne vers la musicienne Laufey expliquant comment elle reste fidèle à elle-même dans son travail créatif. On se sent presque submergé par la panoplie de personnalités de milieux divers venues offrir leurs conseils et expériences. Et c’est super.

Les interviews ne sont qu’une partie de l’iceberg. Vous trouverez sur TCI des dissertations sur le syndrome de l’imposteur, des conseils pour mieux utiliser Instagram en tant qu’artiste ou même des zines à imprimer (encore du papier, navré) sur l’anxiété créative. The Creative Independent héberge notamment des guides sur pléthore de thématiques. Devenir poète·sse à plein temps ne vous a peut-être pas encore traversé l’esprit mais après avoir lu ce guide vous songerez certainement à tout plaquer pour dédier votre vie à explorer votre âme torturée. Vous souhaitez archiver correctement vos œuvres numériques ? TCI a un guide. Vous préférez créer un jeu de société ? TCI a un guide. Vous voulez faire vos impôts ? Non ? TCI a quand même un guide. En somme, TCI a tout ce dont vous auriez besoin et ce dont vous ne pensiez pas avoir besoin. C’est toujours bien écrit et c’est agréable de lire des choses sur des sujets parfois difficiles, angoissants voire déprimants, avec le souci de respecter ses limites, les autres et soi-même. 

Au risque de finir sur une note mélancolique, je me dois de vous exprimer un regret : le site semble tourner au ralenti. Toutes ces belles choses dont je vous ai parlé ont été publiées il y a des années. À ce jour, seules les interviews sont encore publiées de façon régulière. Mais pouvons-nous raisonnablement attendre de la part d’un site qui a fait de l’escargot son égérie qu’il aille à toute vitesse ? Pour y répondre, je conclus cet article avec une citation comme ode à la lenteur, dénichée sur leur site : « Les escargots sont lents. Leur seule méthode de mouvement consiste à contracter et à relâcher la tension de leurs puissants muscles abdominaux, ce qui se révèle être un processus très lent. Nous admirons la lenteur de l'escargot. Nous apprécions la lenteur de l'escargot et nous pensons qu'elle l'aide à mieux naviguer dans son voyage autoproclamé ». Soyez-lent·es et bonne découverte ! 

Pour aller plus loin : 

média du mois

Owen Huchon Twitter

Owen Huchon est journaliste chez Médianes. Il est en charge de la communauté et de la newsletter des 10 liens.