Théo Moy, journaliste à La Croix

Médias et opinions : imaginer une rubrique spécifique, exemple d’À Vif dans La Croix

Margaux Vulliet
Margaux Vulliet

En jan­vi­er 2022, une nou­velle rubrique est apparue sur le site de La Croix : À vif, un espace ouvert à des tri­bunes, dis­tinctes du reste du jour­nal. Théo Moy, jour­nal­iste, est chargé de la dévelop­per. Médi­anes a échangé avec lui sur la con­struc­tion et la réflex­ion édi­to­ri­ale de cette rubrique.

Com­ment avez-vous pen­sé la rubrique À Vif ?

Je travaille aux côtés de la rédactrice en chef Isabelle de Gaulmyn. Nous avons, avec la rédaction, commencé à réfléchir à cette nouvelle rubrique à mon arrivée en septembre dernier. J’ai observé que les rubriques opinions fonctionnent très bien dans d’autres journaux, comme le Figarovox, la rubrique « tribunes et opinions » du Figaro, qui est devenue une véritable marque média. Certain·es le lisent sans même lire le reste du journal. En ce qui concerne À Vif, il s’agit avant tout d’une véritable ambition éditoriale : ouvrir le débat en publiant des textes et tribunes sur des sujets portant sur la religion, l’actualité ou encore la démocratie. Donner la parole à d’autres acteur·ices de la société que celles et ceux que nous trouvons dans le journal, loin des polémiques et pour un échange apaisé. Même si les textes publiés dans À Vif sont en cohérence avec les opinions de La Croix, l’objectif est de s’ouvrir à d’autres points de vue.

Qu’est-ce qui a motivé la con­struc­tion de cette rubrique ?

Nous avons établi un constat spécifique au lectorat de La Croix : le monde catholique est en recomposition, les communautés se sont séparées, ont du mal à se parler et sont de plus en plus marquées idéologiquement. En cela, l’enjeu pour La Croix n’est pas de s’adresser uniquement aux catholiques progressistes. Cette nouvelle rubrique permet aussi d’ouvrir la voie et de donner la parole à d’autres courants d’opinions. Concrètement, À Vif a une rubrique dédiée sur le site avec environ huit contenus par semaine et depuis le mois de mai, nous avons trois pages dans le journal tous les lundis.

Vous pub­liez 80 % de tri­bunes, mais égale­ment des entre­tiens. Quelle est la ligne édi­to­ri­ale de la rubrique ?

Nous publions des tribunes, des billets, des entretiens et des éditos. La plupart concernent des sujets de l’Église mais il y a aussi des sujets de société et d’actualité. À chaque fois que nous devons choisir des textes, nous sommes sur une ligne de crête entre ce qu’on peut publier et ce qui ne correspond pas à la ligne de La Croix. Par exemple, sur des sujets bioéthiques : nous n’allons pas publier une tribune pro GPA alors que La Croix est plutôt critique à cet égard. Mais on a par exemple diffusé une tribune signée par une dizaine d’eurodéputé·es écologistes sur l’inflation décarbonée alors que la rédaction ne traite pas forcément ce sujet.

L’idée est d’avoir une cohérence éditoriale entre le journal et la rubrique À Vif. Finalement ce sont parfois plutôt des textes d’éclairage avec une valeur d’expertise que des tribunes ou même des débats (NDLR : comme cet échange entre un historien et un politiste sur la question : les catholiques se radicalisent-ils par la droite ?)

Au-delà de l’éditorial, quelle est son util­ité pour le média ?

La rubrique À Vif, en plus d’apporter différents points de vue, permet trois choses. Renforcer le lien avec le lectorat : nous recevons des retours de lecteur·ices, leurs avis sur les plumes qui signent ces textes, parfois même ils et elles nous conseillent des personnalités. Ensuite, nous avons un compte Twitter spécifique à À Vif, cela sert aussi à engranger du flux sur le site internet, notamment via les réseaux sociaux. Par exemple, des sujets sur le nucléaire fonctionnent très bien. Enfin, mon travail de titraille est aussi très important car il y a un gros enjeu concernant l’audience et le référencement des articles.

Juste­ment, quel est votre rôle en tant que respon­s­able de cette rubrique et à quoi faut-il être attentif ?

En tant que responsable, je suis rattaché au service religion mais je navigue entre plusieurs services de la rédaction. Mon travail consiste à trier les textes que l’on nous envoie. Nous avons des plumes régulières notamment sur les sujets « religion », mais je propose aussi à des personnes dont l’éclairage me semble intéressant d’écrire pour nous. Mon rôle est de sélectionner les textes, de les titrer, de les relire, de les éditer, parfois de réécrire certaines parties et cela prend du temps. Je peux aussi récupérer des entretiens réalisés par des journalistes d’autres services car ils me paraissent pertinents pour la rubrique. Je fais aussi un travail de vérification : à qui donne-t-on la parole ? Ma plus grande crainte serait d’accepter un texte d’une personne pas fiable et sur laquelle il plane une incertitude quant à la fameuse question : d’où parle-t-elle ? Mais je suis avant tout attentif aux lecteur·ices. Le but est d’être le plus pédagogique possible.

Vous avez établi une charte dédiée à la rubrique. En quoi est-elle importante ?

Cela sert à être très clair sur notre positionnement et sur notre feuille de route. Elle est autant utile à moi qu’à celles et ceux qui vont nous proposer un texte. C’est aussi un travail de transparence à l’égard de l’audience. Concrètement dans cette charte, il y a cinq points importants : les tribunes sont signées avec la vraie identité de l’auteur, ne doivent ni contenir d’attaques personnelles, discriminatoires, ni attaquer la vie privée. Elles ne doivent pas donner lieu à des injures, à des incitations à la violence. Il est primordial qu’elles ne reprennent pas de fausses informations, ni relayent celles dont on ignore la source.

Com­ment, con­crète­ment, séparez-vous visuelle­ment la rubrique du reste du média pour que les lecteurs et lec­tri­ces com­pren­nent bien la différence ?

Jusqu’en mai dernier, les tribunes étaient intégrées à la partie « débats » au début du journal. Nous avons eu des réunions avec différents services du journal pour construire la nouvelle rubrique. Nous avons réfléchi à ce que nous voulions en faire et à ce que nous voulions qu’elle apporte. Avec les graphistes, nous avons tout de suite misé sur les guillemets pour que ce soit visible et que cela se distingue bien des autres parties du journal. Par ailleurs, la rubrique arrive à la fin, il est par conséquent plus facile pour le lectorat de comprendre sa place dans l’économie globale du journal. Dans la mise en page, la photo apparaît en gros tout comme le chapô qui présente la personne qui signe le texte. Sur le site, la police de la rubrique est même différente, donc bien distincte des autres.


Pour aller plus loin

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Margaux Vulliet Twitter

Journaliste médias et tech, Margaux a effectué son alternance chez Médianes. Après un an au service Tech&Co de BFMTV, elle est actuellement aux États-Unis pour explorer les initiatives des médias.