Frédéric Desiles, Alternatives Économiques : « Les supports passent au second plan, ce qui compte, c’est le projet éditorial »

Frédéric Desiles est directeur stratégique et commercial du mensuel Alternatives Economiques. Il est l’invité du sixième épisode de la deuxième saison de Chemins, le podcast de Médianes.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Dans ce sixième et dernier épisode de la deuxième saison de Chemins, nous recevons Frédéric Desiles, directeur stratégique et commercial d’Alternatives Économiques, média lancé il y a 40 ans pour rendre accessibles les questions économiques et sociales. Magazine papier et site web, Alter Eco a dû évoluer afin de poursuivre son développement. Comment prendre en compte les nouveaux usages de ses publics ? Comment acquérir et fidéliser une nouvelle audience ? Comment se lance-t-on sur TikTok ?

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Les points clés

  • Alternatives Économiques est souvent identifié comme étant le journal que lisent les lycéen·nes spécialisé·es en sciences économiques et sociales. Néanmoins, ce constat est de moins en moins vrai.

 « On arrive à une période de changement. Comme tous les médias, on a connu la révolution numérique. Cela a bousculé tout le monde et encore plus les périodiques parce que la transition est beaucoup plus compliquée. On a longtemps été sur un public lycéen assez large mais cela commence à se réduire année après année. Pendant longtemps, ce public était notre premier lectorat. Il nous faut nous adapter. »

 « Les personnes qui paient pour s’abonner sont bien souvent des gens au haut niveau d’éducation et au pouvoir d’achat substantiel. Mais selon Google Analytics, la moitié des personnes qui souscrivent un abonnement ont entre 18 et 35 ans, la plus grosse tranche étant 25-35 ans. »

  • Taux de conversion, taux d’abonnement, taux de churnAlternatives Économiques scrute des indicateurs clés de performance afin de s’assurer de la fidélité de ses abonné·es.

 « On doute toujours, alors je me demande comment faire pour éviter de trop douter. Depuis plusieurs années, on met au cœur de notre offre un produit numérique de manière assez déterminée, ce qui n’est pas forcément naturel. Rappelons que la transition numérique est plus souvent subie par les médias que voulue. Nous, on se demande souvent si les lecteur·ices vont nous suivre donc je mesure tout ce que je peux pour vérifier que nos intuitions sont les bonnes. »

  • Pour Frédéric Desiles, la concurrence est partout.

 « Les trois quarts des personnes qui se désabonnent disent la même chose : elles n’ont pas le temps de nous lire. Quand elles disent cela, c’est une manière polie de dire qu’elles ont fait un arbitrage sur leur temps libre et qu’elles préfèrent passer ces moments à lire des articles du Monde ou à regarder des séries sur Netflix. »

  • Financièrement indépendant, Alternatives Economiques est édité par une société coopérative (Scop), dans laquelle les salarié·es sont associé·es et majoritaires au capital. Les autres associé·es sont ses lecteur·ices, à travers l’Association des lecteurs et la Société civile des lecteurs (sic) qui accueille les associé·es extérieur·es ami·es du journal.
La répartition du capital d'Alternatives Économiques

 « Le capital et le pouvoir sont aux mains des salarié·es. Le conseil d’administration de la coopérative qui donne les grandes orientations stratégiques est élu par les salarié·es. Un·e salarié·e, c’est une voix. C’est très fort, aucun système ne garantit mieux l’indépendance que celui-ci. On en fait un argument commercial pour convaincre les lecteur·ices de venir nous lire. »

 « On est une quarantaine d’équivalents à temps plein, une bonne moitié est composée par la rédaction, le secrétariat de rédaction et la direction artistique. Après, l’équipe marketing et communication. On a également un service client en interne, des fonctions de comptabilité, gestion et ressources humaines et un service publicité et diversification. »

  • Alternatives Économiques a développé une stratégie de l’abonnement unique. Le média s’est rendu compte que sur la totalité de ses productions, seuls 30% des contenus atterrissaient dans le journal papier. Si un abonnement est vendu, le lecteur ou la lectrice doit pouvoir lire la totalité des contenus proposés. De ce fait, le magazine papier devient une option. 
Les options d'abonnement à Alternatives Économiques

 « Quand on a une grille de lecture axée sur les supports, on se met à parler à nos lecteur·ices et potentiel·les abonné·es en ces termes aussi. Ce n’est pas une vision très convaincante. On vend des abonnements donc on essaie de convaincre les gens à s’informer avec nous. Les supports passent au second plan, ce qui compte, c’est le projet éditorial. Qu’écrit-on, quand, pourquoi, comment ? »

 « Depuis que nous avons adopté l’approche de l’abonnement unique, notre taux de conversion a augmenté de 20%. Le montant moyen de l’abonnement a également augmenté. On a plus d’abonné·es. En 2020, on a fait le meilleur résultat financier de la coopérative avec un million d’euros de résultat net. En 2021, cela a un peu baissé. Et en 2022, on sera tout juste à l’équilibre, c’est une année compliquée pour tous les éditeurs de presse. »

  • Alternatives Économiques compte 30 000 abonné·es. 20 000 ont souscrit l’abonnement unique. Dans ces 20 000, le tiers a choisi de conserver l’abonnement papier. Le reste est composé d’abonné·es historiques, abonné·es uniquement au magazine.

 « Plus d’une fois sur deux, une personne qui s’abonne ne va pas choisir l’option papier. On est sur un équilibre 60-40. »

  • Le magazine reprend 30% des contenus publiés sur le web. D’où le refus d’Alternatives Économiques de proposer une liseuse sur leur application, malgré la demande d’une partie des lecteur·ices.

 « Un magazine en liseuse sur l’application, cela n’a pas de sens. Tout est déjà là, sur le site. Et cela peut dérouter un nouvel utilisateur·ice qui va se dire : je ne comprends pas, on me propose un magazine en plus qui a une périodicité mensuelle alors que le site publie tous les jours. Est-ce que je manque des trucs si je ne vais pas feuilleter sur la liseuse ? D’autant que notre offre papier est à seulement un euro de plus par mois, donc les personnes attachées au papier peuvent facilement y retourner. »

« Pour moi, c’est une hérésie de feuilleter un magazine papier sur son téléphone et je suis bien content qu’on ne propose pas cette option. Si on avait décidé de construire notre produit en fonction des lecteur·ices qui gueulent, aujourd’hui, on n'aurait pas de site internet et on s’abonnerait par chèque. »

  • Ce qui rapporte des abonnements au média, c’est avant tout le contenu.
Le dossier sur la réforme des retraites d'Alternatives Économiques

« Quand on a écrit sur la réforme des retraites, on a eu un pic d’abonnements. C’est de l’actualité subie mais on peut aussi créer ses propres coups. Dernièrement, on a sorti un article qui détricote la pensée de Jean-Marc Jancovici qui a très bien marché. On n’est pas une équipe marketing du gros coup d’éclat, on fait un travail minutieux pour qu’un maximum de personnes arrivent sur notre site et se transforment en lecteur·ices identifiées grâce au canal e-mail de notre paywall puis en abonné·es. »

  • Depuis un peu plus d’un an, le média a ouvert un compte TikTok, incarné par le journaliste Rudy Pupin. Aujourd’hui, Alternatives Économiques compte plus de 100 000 abonné·es sur la plateforme. 

« Étant donné que notre public de lycéen·nes décroît, on a un fort enjeu de notoriété auprès d’elles et eux. On s’est demandé·es si on pouvait se permettre de ne pas y aller. On a finalement décidé d’y aller à fond et de recruter un journaliste pour animer le compte. Il y a ce truc du premier arrivé, premier servi, alors on n’a pas traîné. Et TikTok sera bientôt notre premier réseau social. On espère que d’ici deux-trois ans, on aura une proportion d’abonné·es étudiant·es plus importante. »

Le compte TikTok d'Alternatives Économiques

Pour aller plus loin

  • Retrouvez tous les épisodes de la saison 2 de notre podcast Chemins consacrée à l’accélération d’un projet média, avec Cécile Sourd (Mediapart), Jean-Christophe Boulanger (Contexte), Lauren Boudard (Climax), Frédéric Desiles (Alternatives Économiques), Emmanuelle Josse (La Déferlante) et Valentin Levetti (Stupid Economics).
  • Au Web2day 2023, festival de l’innovation pour lequel nous avons contribué à la création et l’animation d’une journée spéciale médias. Marie-Laure Gardaz, Cheffe de projets marketing et communication à Alternatives Économiques est revenue sur la stratégie TikTok du média.
  • Pour fidéliser et acquérir une nouvelle audience, avez-vous pensé aux parrainages ?

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Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de veille.