La presse hyperlocale se serre les coudes
Installés sur des zones géographiques réduites, des médias pratiquent un journalisme dit « hyperlocal », au plus proche du terrain. Certains font désormais le choix de mutualiser leurs efforts, pour des raisons pratiques, économiques ou journalistiques.
Il est 11 heures à Bagnolet, à l’Est de Paris, lorsque les membres de l’Hyperlocal Média Club commencent à s’installer dans les locaux d’un espace de travail loué pour l’occasion. Tasse de café entre les mains, les sujets fusent déjà autour de la table de réunion : transport, alimentation ou politique locale. Tous·tes ont créé un média local à Paris ou ses alentours et ont fait le choix de se rassembler, d’échanger et de partager leurs expériences. La structure n’en est qu’à ses balbutiements, ne dispose pas encore de statut et commence à peine à s’organiser. « En fait, c'est la première fois qu’on se retrouve comme ça, admet d’un sourire Pierre Villetard. Avant, on se retrouvait dans un bar autour d’un verre. C’était sympa, mais là, au moins, ça fait un peu plus pro ». Consultant dans le domaine des régies publicitaires, il a également cofondé Bonjour Pantin, un média sur l’actualité et les bons plans de la ville. Avec Pauline Pellissier, fondatrice de Mon Petit 20e, ils occupent à deux le rôle de porte-paroles pour ce jeune collectif de sept membres, dont pour l’instant seuls Paris Lights Up et Mon Petit 20e ont obtenu le statut d’entreprise de presse. Pour la plupart, ils et elles travaillent seul·es sur le développement de leurs médias, axés sur des sujets « lifestyle » (alimentation, bons plans, éducations, événements), et ont pour source de revenu principal la publicité. Fondé l’année dernière, le collectif commence désormais à se faire connaître auprès d’annonceurs et d’institutions locales.
Même si ce genre d’initiative reste rare en France, elles connaissent déjà un succès outre-Atlantique. Dans le New Jersey, en 2020, plusieurs médias locaux ont fait le choix de mettre en place un réseau afin de « répondre aux besoins en matière d'informations pour les communautés mal desservies ». Depuis 2022, dans le Delaware, un collectif de médias s’attelle désormais à mutualiser leurs efforts afin d’aborder des sujets « polarisants » « en armant la communauté de données, d'informations et d'idées non partisanes et indépendantes ». L’année dernière, la ville de Minneapolis a également vu naître un regroupement de six médias : Twin Cities Media Group. L’un de ses membres, Charlie Rybak est le fondateur de Southwest Voices, un média en ligne qu’il a fondé dans l'objectif de combler le vide laissé par la fermeture du journal local, Southwest Journal, contraint de cesser son activité en 2020 au terme d'une année bouleversée par le Covid-19. « Au début, on rencontrait juste d’autres fondateurs et fondatrices de médias, se remémore Charlie. À travers ces échanges, on s’est rendu·es compte que beaucoup de gens faisaient face aux mêmes problématiques. On a alors décidé de s'asseoir autour d'une table et d’en parler ensemble ».
Se réapproprier la publicité
Lors de ces échanges, un sujet ressort plus que les autres : celui de la publicité. Désormais, une partie de cette activité est déléguée à une employée, embauchée par le collectif, qui se charge des relations entre médias et annonceurs. Le collectif met à disposition des annonceurs un « package », proposé à partir de 2500 dollars. La somme étant partagée équitablement entre les membres, chaque média met en place l’équivalent de 500 dollars de publicité sur son site ou dans sa newsletter. Un système qui nécessite une certaine organisation mais qui fait ses preuves, assure Charlie, qui affirme que leurs revenus ont augmenté depuis sa mise en place.
Au-delà du simple financement de leurs activités, l'initiative lancée par ces médias locaux a également pour ambition de contourner des entités comme Google et Facebook. Comme le pointe une étude de la London School of Economics and Political Science, « L’information hyperlocale : après la hype », si la publicité locale promettait « un retour financier très important pour les sites journalistiques locaux », la réalité est tout autre. Selon son autrice, Carina Tenor, « la plupart de ces recettes locales sont allées aux géants du numérique que sont Facebook et Google ». Un constat que partage Jessica Armbruster, du média Rocket, dans un billet de blog annonçant sa collaboration avec Twin Cities Media Group : « En tant que chef·fes d'entreprise, on connaît bien ce sentiment que l'on éprouve après avoir acheté des publicités sur Facebook et Google, les deux mégas entreprises qui ont englouti les budgets publicitaires des rédactions locales au cours des dix dernières années. On se demande : "Est-ce que je viens de jeter mon argent par les fenêtres ? "Est-ce que je viens de jeter mon argent durement gagné dans un espèce de trou noir numérique ?” ».
Du côté de l’Hyperlocal Média Club, la question de la publicité n’est pas encore tranchée, mais elle occupe une partie de la réflexion sur le rôle et l’avenir du collectif. Pierre Villetard projette la mise en place d’un système semblable à une régie publicitaire avec « un·e interlocuteur·ice qui va faire le lien avec l’annonceur et gérer plusieurs dispositifs. Pour l’instant, c’est en cours de développement, car chaque média a des maturités différentes sur la partie publicité et a besoin de se reconnaître dans l’annonceur ».
Basée sur le modèle de l'information gratuite en ligne, la publicité occupe une place importante dans le financement de leur activité, que ce soit sous la forme de bannière… voire de publireportage.
Autour de la table, tout le monde s’accorde à dire que cet aspect commercial est nécessaire à la pérennité de leurs médias. Si certain·es disposent d’une expérience professionnelle dans la communication et abordent avec enthousiasme cette partie de leur activité, d’autres espèrent y consacrer moins de temps à l’avenir. Pauline Pellissier et Kathia Barillot (Le Marais Mood) font partie de celles et ceux ayant eu une expérience en journalisme avant de lancer leur projet. Pour Pauline, « mon vrai problème en tant que journaliste, ayant fait une école de journalisme et pas une école de commerce, est que d’un coup je dois être à la fois la commerciale de mon média et la rédac' cheffe de mon média ». Simon Thollot, fondateur de Paris Lights Up, approuve. Absent lors de la réunion et contacté par téléphone, il admet d’un rire qu’il ne s’agit pas « de la partie du métier qui [l]’intéresse le plus [...] c’est beaucoup de temps pour pas forcément beaucoup de résultats. Avoir une régie publicitaire commune pourrait être intéressant ».
Imaginer du journalisme collaboratif
Les membres de l’Hyperlocal Média Club revendiquent une certaine richesse dans les parcours de chacun·e et voient dans cette diversité l’opportunité de partager des compétences ou de l’expérience. Pour l'heure, la rédaction collaborative d’articles n’est pas au cœur du projet. Pour le collectif, la structure reste avant tout une identité propre à leurs relations avec les collectivités locales et les annonceurs, même si les membres n’écartent pas la possibilité de créer une page commune sur Instagram sur laquelle ils et elles pourraient partager leurs sujets. « Nous, on n’a pas vu ça comme un média », souligne Raphaële Bortolin, fondatrice des Pépites du 19ème. Néanmoins, certains sujets ont pu faire l’objet d’un traitement commun lorsqu’ils avaient le potentiel d’intéresser plusieurs lectorats. « On l’a fait sur le comparatif des supermarchés, se remémore Pauline, c’était l’idée de Pierre, au début de l'inflation ».
Au-delà de contenus communs, l’Hyperlocal Média Club pourrait être amené à travailler avec de plus grandes rédactions, précise Pierre Villetard : « On est en discussion avec France Bleu Paris pour avoir un rendez-vous hebdomadaire sur une pastille d’actu hyperlocale : un jour le 16e, un jour le 19e, un jour le Marais, etc ».
Financer de nouveaux projets
Si pour l’instant la question de la stabilité financière représente également un sujet central pour Twin Cities Media Group, le journalisme collaboratif reste la prochaine étape pour Charlie. « Si on s’occupe des finances en premier, alors on pourra développer de nouveaux projets journalistiques parce qu'on aura mis en place un certain nombre de ressources supplémentaires qui pourront financer le temps à consacrer là-dessus ».
Interrogé sur de potentielles collaborations avec d’autres grands médias, il se montre enthousiaste : « On aimerait avoir plus de partenaires à l’avenir pour gagner en puissance et en ressources, pour aider plus de médias… Tant que l’on continuera de faire ainsi, on aura de plus en plus d’opportunités. J’ai vu ce que fait la BBC et je trouve ça très excitant ! ». Depuis 2017, le groupe audiovisuel britannique a lancé une initiative, baptisée Local News Initiative, visant selon lui à « soutenir l'information de service public, soutenir la démocratie locale et améliorer les compétences en matière de journalisme ». 150 organisations ont rejoint le dispositif qui met par exemple à disposition des journalistes locaux des formations sur le data-journalisme ou des vidéos produites en région par la BBC. Un modèle qui séduit Charlie : « C’est le futur [...] Le journalisme collaboratif va nous permettre de rendre nos médias plus résilients. »
NDLR : Médianes, le studio, a accompagné des projets de l’incubateur Mediastart, dont Mon Petit 20e a été lauréat. Sa fondatrice, Pauline Pellissier, a également été contributrice du numéro de Pays dédié à Belleville, revue dont une partie de l’équipe de Médianes est cofondatrice.
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