Papier pixel, la revue de presse de la toile à l’imprimé — Mars 2024

Je suis journaliste chez Médianes, j’aime les revues, les fanzines et toutes les choses bizarres que les gens impriment, mais j’aime aussi regarder ce qui se fait de drôle et de moins drôle sur Internet. Bienvenue dans ma revue de presse moitié papier, moitié pixel.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Comment les médias beaux-bizarres se sont emparés de la question de l’IVG ; les YouTubeurs français dans la sauce côté parité ; des réflexions autour des médias qui traitent de santé mentale ; une revue invendable : c’est au sommaire du Papier pixel du mois de mars.

Tour d'horizon

Ce mois-ci dans les médias, on a beaucoup parlé de l’Interruption volontaire de grossesse (IVG), avec l’inscription de la liberté d’y avoir recours au sein de la Constitution. 

Le magazine féministe La Déferlante y a consacré le thème de son dernier numéro, avec un dossier spécial visant à commémorer les combats militants, « qui, dans les années 1970, ont préparé l’opinion, le terrain législatif et permis aux femmes résidant en France d’interrompre une grossesse sans craindre ni l’opprobre, ni la prison, ni la mort ». 

Dans ce dossier, on apprend qu’une Française sur quatre doit changer de département pour avorter car entre 2007 et 2017, la France hexagonale « a perdu 43 centres pratiquant des avortements, sur un total de 624 ». On apprend que le film Annie Colère, qui raconte comment le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception (MLAC) a pratiqué pendant des années des IVG illégaux, fait figure d’exception. Car des représentations de l’avortement dans les arts visuels, on en voit finalement très peu, note la journaliste Nora Bouazzouni. Quand c’est le cas, comme pour Annie Colère, l’action se déroule dans le passé. 

Sous la plume d’Élodie Hervé, on apprend justement qu’en Pologne, c’est toujours Annie Colère, car avec le durcissement de la législation concernant l’accès à l’IVG, les avortements sont pratiqués par des militant·es féministes : « d’après les chiffres communiqués par les associations, 100 000 avortements seraient pris en charge par les militant·es chaque année en Pologne, en dehors des circuits officiels ». Certaines parlent de guerre contre les femmes et les personnes LGBTQIA+. 

La revue met également en avant des témoignages, comme celui de Laurane, 22 ans, qui a avorté pour la première fois en février 2022. « Le lendemain, [elle est] retournée travailler. » Son récit nous fait penser à celui de la journaliste Laury Caplat, lue dans une lettre du média épistolaire La Disparition, pour que la honte autour de l’avortement disparaisse.

Dans cette lettre, Laury explique : « Tu le sais peut-être, tout change quand on entre dans le bureau du médecin. [...] On laisse derrière soi la vie passée, et l’avenir prend l’aspect d’une vieille chambre d’hôpital froide et vide. Si seule. Était-ce ma faute si j’étais là, devant lui, les yeux béants, les mains tremblantes ? Penses-tu que c’était ma faute ? À cet instant, moi oui. »

Cette lettre, c’est une enquête. Pour l’écrire, Laury Caplat a rencontré plusieurs femmes qui, comme elle, ont avorté à l’hôpital de Pertuis, près de Marseille. Ensemble, elles se sont demandé si cela aurait été pareil d’avorter à Paris ou ailleurs. Auraient-elles ressenti la même honte ? « Pas de réponse définitive, mais une série de témoignages bouleversants qui racontent tous une histoire de violence et d’humiliation », précise La Disparition. Et même Annie Ernaux valide.

En fouillant dans mes archives, je suis également retombée sur cette couverture du New York Magazine du 23 mai 2022. On sort des médias indépendants, mais l’initiative est intéressante. Face à la mise en péril du droit à l’avortement aux États-Unis [suite à l’annulation de l'arrêt Roe v. Wade, laissant les États américains libres d’interdire l’IVG NDLR.], la revue s’est muée en guide d’utilité publique pour aider les personnes devant recourir à une IVG. Le média a notamment levé le paywall de son site pour ses articles à ce sujet. Dans ses pages, les journalistes ont répondu à des questions simples : où trouver une clinique ? Vers qui puis-je me tourner ? Nécessaire et salutaire.

Notons enfin, pour clôturer cette revue de presse, le début d’une nouvelle série du côté du média en ligne Les Jours. Le journaliste Pierre Bafoil y révèle qu’une famille catholique traditionaliste, les Philippe-Sentis, « bat le pavé numérique de la désinformation anti-IVG depuis plus de quinze ans, à grand renfort de clics et d’euros. » Cette famille est à l’origine de la page Facebook « IVG, vous hésitez ? Venez en parler », 107 000 abonné·es. Y sont distillés des témoignages culpabilisants, mis en avant à grands coups de sponsorisation (près de 150 000 euros dépensés) de façon à atteindre les fils d’actualité de  « femmes âgées de 18 à 34 ans ». Si jamais vous manquiez d’arguments pour quitter Meta…

C'est dans le radar

Quelques sujets qui ont retenu mon attention et dont je vous parlais dans les précédentes newsletters Stratégie de Médianes. Par ici pour ne pas manquer les prochaines.

Claire Roussel, sur Usbek&Rica ★ Encore un média féministe ? Joie !

Nous n’avons jamais eu autant de podcasts, de revues et de pages Instagram féministes. Et c'est une bonne nouvelle, peut-être n'y en a-t-il même pas assez. Notons que les médias pour qui le féminisme est un kaléidoscope d’où naissent des sujets culturels, sociaux et politiques jouissent d’un beau succès. D’autant plus lorsque leur santé financière dépend de la mobilisation de leur communauté.

Lapeint, sur YouTube ★ YouTube au masculin

Pourquoi les vidéastes les plus suivis de YouTube invitent-ils beaucoup plus d’hommes que de femmes sur leurs chaînes ? Dans cette vidéo, l’illustratrice et YouTubeuse Lapeint fait les comptes. Dans le top 10 des chaînes YouTube les plus suivies – détenues à 100% par des hommes — seuls 16% des personnes invitées en 2023 étaient des femmes. Un boys’ club, vous dites ?

→ Pour prolonger la réflexion sur l’invisibilisation des femmes sur YouTube, je vous invite à lire cette interview de Lapeint réalisée par la journaliste indépendante Manon Boquen pour Télérama.

Lola Landekic, sur It’s Nice That ★ En haut de l’affiche

Coup de cœur de notre graphiste Maëlle Ledu pour cette série d’entretiens aux côtés des graphistes à l’origine des affiches des plus grands films de l’année passée. Du choix de la typographie à celui des couleurs en passant par la photographie, toute la réflexion graphique derrière les affiches de Pauvres Créatures ou Saltburn y est détaillée. Une mine d’or pour s’inspirer et comprendre comment le design affecte les choix du public.

Léna Dormeau, sur Manifesto XXI ★ Jamais douce

Cette critique du traitement médiatique et des nouveaux médias autour de la santé mentale interroge la forme répétitive des récits centrés sur les témoignages personnels de souffrance psychique. L’autrice souligne notamment que ces formats ne permettent pas d’aborder les enjeux politiques sous-jacents, ni de faire entendre la vraie folie, « jamais douce » et « durement réprimée ».

Et en dessert ?

Dernièrement, j’ai repéré…

Ce papier du journaliste indépendant Vincent Manilève sur les relations tendues entre influenceur·ses et journalistes.

★ La revue Invendable, une compilation de tous les sujets qu’une équipe de journalistes pigistes n’a jamais réussi à vendre.

★ Cet article de la journaliste indépendante Manon Boquen sur la fin des Internettes, une association de défense de la création féminine sur le Web.

★ Cette campagne pour sauver les Éditions Daronnes, qui proposent depuis 2021 des livres politiquement engagés et féministes.

★ Cette page Instagram qui recense les meilleurs flans.

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Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de veille.