Lancer et développer son média à l’heure de l’urgence écologique
Le samedi 28 mai, Médianes a organisé une table ronde sur le thème : lancer et développer son média à l’heure de l’urgence écologique. Quels éléments faut-il prendre en compte ? Nous en avons discuté avec Dan Geiselhart et Lauren Boudard de Climax et Thomas Firh des Others. Retour sur notre événement à La REcyclerie, avec quatre idées à appliquer dans son média.
Certains médias abordent les questions environnementales dans des rubriques dédiées ; d’autres envisagent de traiter l’information au prisme de l’écologie. Une nuance importante, et pour cause : faire de l’écologie une thématique n’est pas un engagement suffisant pour celles et ceux qui la conçoivent comme une priorité éditoriale. S’il est évident que l’écologie est une cause essentielle, encore faut-il pouvoir l’aborder sur le plan éditorial, technique et stratégique. Et cela n’est pas toujours simple. À travers les échanges avec nos invité·es, nous avons retenu quelques conseils à suivre et outils à mettre en place pour lancer ou développement son média avec écologie.
Climax, l’écologie au cœur de la proposition éditoriale
Dan et Lauren sont les fondateur·ices de la newsletter Climax, qui a vu le jour en 2021, et compte plus de 2 000 abonné·es payant·es. Pour se démarquer, Dan et Lauren ont choisi de donner le ton : dénoncer l’inaction politique en matière d’écologie en passant par un humour sarcastique. Nous l’avions d’ailleurs évoqué avec eux dans un article de la série « tester son projet ». Les deux journalistes ont déjà l’expérience de TechTrash, une lettre d’information sur les sujets tech qui rassemble 30 000 abonné·es. Le lien entre les deux ? « Le fil rouge vient d’un constat : l’hégémonie du discours techno-enthousiaste », précise Lauren. Mais parler de l’urgence climatique reste un défi.
Pour lancer Climax, les journalistes se sont posé·es trois questions. La première : comment les médias existants en parlent-ils ? Il semble qu’un bon point de départ serait de partir de sa propre expérience en tant que consommateur·rice de l’information. « Il y a souvent un angle très anxiogène et une grande complexité, et en tant que lecteur·ices, nous n’avions pas envie de lire les articles dans leur intégralité ».
Deuxième question : comment bien parler de l’écologie ? « Il y a mille façons de parler d’écologie. Parler des petits gestes ne nous touche pas. Le faire par le prisme des héroïnes et des héros qui sauvent le monde, non plus ». En réponse, Climax a choisi de parler de la politique écologique avec un ton grinçant, une manière d’alerter autrement et de dénoncer les inactions.
Enfin : quel est le canal le plus approprié ? Le format newsletter leur a semblé le plus pertinent puisque « c’est un format libre, léger, qui nous permet de nous émanciper des grandes plateformes et de créer un vrai échange avec notre lectorat ». La newsletter permet aussi d’avoir un lien privilégié avec sa communauté. Pour Climax, la plupart des lecteur·ices viennent de TechTrash sans être forcément au fait des enjeux écologiques. De plus, le mail donne la possibilité d’un échange construit entre Dan, Lauren et leur communauté car les lecteur·ices prennent le temps de leur faire des retours écrits.
Les Others : prendre le tournant, naturellement
Thomas Firh, est le cofondateur du média Les Others. Un média d’inspiration outdoor qui parle de randonnée, de vélo, d’escalade, et de l’amour de la nature. À son lancement en 2012, c’était un blog. Aujourd’hui, c’est une revue papier semestrielle, des articles en ligne, le podcast Les Baladeurs, un compte Instagram aux 185 000 abonné·es et un studio de création. Dernièrement, il y a eu le projet Recto Verso dont nous vous avions déjà parlé : une carte méthode pour organiser ses voyages de manière autonome en France. La campagne de crowdfunding ayant fait naître Recto Verso a rencontré un franc succès : au total ce sont 10 000 préventes qui ont été vendues, alors que l’objectif initial était fixé à 1 000. Justement, l’idée avec Recto Verso était de désengorger les espaces naturels. Plus globalement, l’équipe des Others a à cœur d’inciter sa communauté à voyager autrement, de manière plus responsable et dans le respect de l’environnement. Thomas Firh a d’ailleurs expliqué sa démarche dans un manifeste.
Justement : la notion de communauté et de partage est un pilier de la proposition éditoriale du média. Thomas distingue d’ailleurs l’audience de la communauté : « une audience, tu lui donnes des éléments, elle s’intègre à un modèle descendant. Une communauté co-construit le projet avec toi ». Et pour cause, les médias indépendants comme Les Others dépendent de leurs lecteur·rices pour se financer : être à leur écoute n’est pas une option et les impliquer concrètement dans le processus éditorial, une riche idée.
Pour veiller à une certaine cohérence éditoriale et stratégique, Thomas met un point d’honneur à appliquer au quotidien dans la gestion de son média, les valeurs défendues par Les Others : « On fait le choix d’avancer moins vite, d’avoir d’autres ambitions que la croissance ou la création d’une grosse équipe. » Et parce que travailler sur un magazine implique de travailler avec des matières premières, des choix s’imposent pour qu’il y ait une harmonie entre le fond et la forme. « On n’a jamais mis un magazine à la poubelle, poursuite Thomas. On n’est jamais passé·es par la distribution classique ; on choisit des papiers fabriqués en France et des encres responsables et on travaille actuellement à une charte des valeurs, pour nous, mais qu’on publiera, pour essayer de donner l’exemple ». Affaire à suivre, mais une chose est sûre : on a hâte.
Quatre pistes pour lancer ou développer son média avec l’écologie
Nous avons pris également des exemples de médias qui n’étaient pas présents à notre table ronde.
Établir ou s’associer à une charte
Le média sur l’écologie Vert s’est associé avec des journalistes, des scientifiques et des citoyen·nes pour établir une charte qui porte sur des sujets liés à l’environnement et à destination des médias. Loup Espargilière, le fondateur de Vert, est passé dans l’émission « Club indé » d’Arrêt sur images le 25 mai dernier et a détaillé les contours de ce projet. L’objectif de la charte est « de réconcilier citoyens et journalistes autour de l’information sur le climat et de donner un meilleur traitement de l’actualité sur l’écologie », précise Loup sur le plateau de l’émission. Cette charte entend toucher les grands médias et celles et ceux qui ne sont pas en lien direct avec l’écologie car « ce sont des sujets éminemment transversaux ».
La charte est présentée sous forme de 12 principes à suivre. Parmi ceux-ci on retrouve précisément : traiter le climat, le vivant et la justice sociale de manière transversale, faire davantage de pédagogie, assurer la transparence sur les sources utilisées et les expert·es interrogé·es, s’interroger sur le lexique et les images, révéler les stratégies produites qui sèment le doute dans l’esprit du public et faites pour retarder l’action (greenwashing), informer sur les réponses à apporter à la crise, promouvoir le droit à la formation des journalistes tout au long de leur carrière. L’objectif est d’établir un texte qui va durer dans le temps. Cette charte a vocation à être signée par de nombreux médias ou sociétés de journalistes « pour faire un effet boule de neige et taper dans des rédactions plus grandes ».
Climax collabore à l’élaboration de cette charte. S’allier pour agir à une plus grande échelle, c’est aussi l’idée de cette charte comme l’a expliqué Lauren Boudard lors de notre table ronde. : « on travaille en ce moment avec eux pour créer un guide, une charte. L’idée c’est de créer une base commune qui puisse dicter des bonnes pratiques à adopter en tant que média. Les réunions entre petits médias sont indispensables pour pouvoir porter les sujets aux plus grands ».
Sélectionner la publicité et les partenaires
Lors de notre table ronde, Climax précisait qu’« un média sur le climat peut difficilement reposer sur la publicité » alors ils ont fait le choix de rendre leur newsletter payante et de compter sur leur communauté pour financer sa conception.
De leur côté, Les Others, tirent un tiers de leurs revenus des activités de son studio. Une des conditions pour poursuivre ce modèle est de rester vigilant sur le choix des annonceurs en n’acceptant aucune mission de la part de marques peu soucieuses de l’environnement. En 2017, Les Others ont rejoint le collectif 1 % for the planet, qui aide les entreprises à contribuer à un meilleur impact environnemental. 1 % du chiffre d’affaires annuel des Others est de ce fait reversé à des associations qui luttent pour l’environnement.
Média papier : privilégier la précommande
En juin, Climax lance un fanzine de 116 pages. Quid de l’impact écologique ? Pour anticiper et ne pas imprimer plus qu’il ne le faut, Dan et Lauren sont passé·es par une campagne de financement participatif. Le fonctionnement des pré-commandes permet à l’équipe de Climax d’avoir une idée précise du nombre d’exemplaires à tirer. Ne pas distribuer en kiosque permet également d’éviter la destruction d’invendus. Au-delà de limiter les impressions, le mode de pré-commande permet d’évaluer l’intérêt des publics pour un projet donner.
Les Others, ont également fait des préventes pour le projet Recto Verso, imprimé en France. Pour le magazine, malgré l’augmentation du prix du papier, l’équipe conserve des encres et des papiers responsables.
Former et sensibiliser la communauté
Les Others, a partagé Le Code de l’Aventure Responsable dans lequel ils donnent quelques conseils simple à suivre pour voyager en respectant la nature. « Ce sont des actions basiques mais parfois il convient de les rappeler. Cela va être s’intéresser à la destination et à ses habitant·es, rechercher des informations sur les réglementations en vigueur, prévoir le bon matériel et adapter les moyens de transport utilisés, laisser l’endroit comme il était à l’arrivée, ne pas déranger la faune et la flore, compenser les émissions de CO2, ne pas partager les lieux exacts sur les réseaux sociaux surtout si l’on a une grosse communauté », a énuméré Thomas Firh lors de notre table ronde.
Dans ses premières newsletters, Vert partageait des recettes maison pour faire soi-même ses produits d’entretien et de beauté. Ils ont également récemment publié « les gestes de premiers secours pour le climat » qui consiste à établir des conseils simples quotidiens à destination des citoyens pour réduire l’empreinte carbone : cesser de prendre l’avion, végétaliser son alimentation et manger local, ou encore acheter d’occasion.
N.B. : nous vous avions annoncé que l’événement serait proposé sur notre site en version audio. Cependant, nous avons rencontré des problèmes à l’enregistrement et nous ne sommes pas en mesure de vous le proposer. Nous nous en excusons. Vous pouvez retrouver notre fil Twitter réalisé durant l’événement.
N.D.L.R. : Médianes, le studio a accompagné l’équipe de Climax dans le cadre du lancement de son fanzine et Vert dans sa campagne de dons au printemps 2022, et Les Others dans une recherche de financements en 2021.
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Pour aller plus loin :
Le détail de l’évènement est disponible en fil Twitter.
Retrouvez tous les épisodes de la série « Tester son projet » où nous interrogions, entre autres, les fondateur·ices de Climax et des Others.
Se former aux questions écologiques avec des cours la BBC, à destination des journalistes.
La newsletter de Médianes
La newsletter de Médianes est dédiée au partage de notre veille, et à l’analyse des dernières tendances dans les médias. Elle est envoyée un jeudi sur deux à 7h00.