Présentez vos papiers — Le 1

Amour au premier regard, ruptures et compromis. Natalie Thiriez nous raconte l’histoire d’une relation fusionnelle mais tumultueuse entre Le 1 et son papier.

Owen Huchon
Owen Huchon

Natalie Thiriez est Directrice artistique pour l’hebdomadaire Le 1 qu’elle a cofondé en 2014 avec Éric Fottorino, Henry Hermand et Laurent Greilsamer. Souhaitant proposer un véritable « objet de presse », Le 1 se présente sous une grande feuille de papier pliée en 4 sur laquelle écrivain·es, artistes, chercheur·euses et journalistes décortiquent un grand sujet chaque semaine. Un format original qui appelle à couvrir et à consommer l’actualité différemment. 

Bonjour Le 1 ! Présentez vos papiers.

Pour trouver notre format, nous avons travaillé avec un studio qui s'appelait Be-pôles à l'époque, qui s'appelle désormais Saint-Lazare. Antoine Ricardou, un de ses dirigeants, a voulu nous faire « écouter » des papiers. Nous sommes donc allé·es dans leur studio et Antoine nous a fait écouter les feuilles. C'était une véritable expérience sonore. À un moment, il sort un dernier papier et il le déplie. Là, de manière assez étonnante et sans qu'on se dise un mot, Éric Fottorino, Laurent Greilsamer, Antoine Ricardou et moi-même nous nous regardons et nous savons, à cet instant, que nous avons trouvé ce que l’on cherchait.

Le premier numéro du 1, publié le 9 avril 2014

Éric [Fottorino] a alors suggéré que l’on fasse un pli de plus pour que le premier dépliage constitue plus quelque chose de plus intime. Une fois notre format trouvé, il fallait désormais trouver un papier permettant une bonne prise en main. Nous voulions un grammage suffisant pour faire tenir le tout mais sans être trop lourd. Il faut pouvoir le plier correctement en évitant que le pli ne soit trop laid.

La texture et la teinte du papier étaient également importantes. On a alors cherché plusieurs papiers. Le Cyclus était le premier qu'on a utilisé. Tout nous plaisait. En plus, il était fabriqué à base de papier recyclé et les prix étaient corrects. 

Utilisez-vous le même papier depuis ?

On a dû changer, même plusieurs fois. À un moment, il y a eu une grande crise du papier dans un contexte dans lequel il était déjà difficile de s’en procurer. Les prix avaient déjà énormément augmenté. Et puis à un moment, ce papier qu'on aimait tant a tout simplement disparu parce que la société qui le fabriquait [Arjowiggins, NDLR] a cessé ses activités. Curieusement, beaucoup de papiers recyclables ont disparu au moment de cette crise. On a donc perdu notre beau papier dont les gens nous demandaient souvent le nom. C’était d’ailleurs un papier qui vieillissait plutôt bien. Quand on regarde les premiers exemplaires du 1, ils ne s'abîment pas et le papier ne jaunit pas. 

Cette durabilité faisait partie de vos critères ?

Pour nous, c’était très important. Sauf à l'exposer en pleine lumière sans protection, ce papier ne bouge pas. Au bureau, nous conservons les premiers numéros du 1 dans des boîtes en cartons. En les sortant, on constate qu’ils ont conservé leurs couleurs d’origine. 

On veut vraiment un objet de qualité. Il faut aussi regarder la manière dont les images et les photos vont être reproduites. On traite nos images et les couleurs en fonction des caractéristiques de nos papiers. On a par exemple eu par le passé un papier qui était plutôt bien, mais qui était un plus blanc, même un peu trop blanc à mon goût (rires) et il a fallu ajuster. Ça a été assez dur, en fait, quand notre beau papier a disparu.

Outre sa durabilité, cherchiez-vous d’autres caractéristiques essentielles ?

Pour moi, l'expérience du papier doit être assez sensuelle. Le papier doit avoir une texture. Je n’aime pas les papiers lisses. D'ailleurs, pour nos autres titres [Légende et Zadig, NDLR], nos papiers ne sont pas lisses. Ils présentent un peu de texture. On teste tout un ensemble de critères avec Anne-Sophie Legrand, qui s'occupe de la fabrication chez nous. Elle va voir les papetiers pour nous ramener plusieurs propositions. D’une certaine manière, c'est un peu comme quand on goûte des vins. Ça peut être assez subjectif finalement mais pour moi, un papier ne doit pas être mou. Il doit avoir un petit côté énergique. Ça peut paraître étrange de dire cela ainsi, mais c'est ce que je ressens quand je choisis un papier. Évidemment, cela dépend de ce que l’on veut fabriquer. Parfois, il y a des papiers fins qui sont très bien pour certains types de supports.

Avez-vous facilement trouvé un imprimeur qui pouvait répondre à vos attentes et produire le résultat que vous recherchiez ?

Forcément ce format limitait quelque peu nos choix. Mais finalement, on a trouvé assez rapidement chez Jean-Paul Maury (Maury Imprimeur). Quand Le 1 est imprimé, il sort de la machine en étant déjà plié. Même si on sort un « deux en un », les deux exemplaires sortent de la machine directement encartés. Si jamais on avait un problème et qu'on devait changer d'imprimeur, on serait obligé·es de revoir un peu notre format. Il faut trouver quelqu'un capable de faire le bon pliage et ce n'est pas évident. 

En plus du 1 « classique », nous produisons également Le 1 XL et d’autres hors-séries. Là, on n'utilise pas le même papier (Lettura) tout simplement parce qu'il n'existe pas dans ce format-là. Pour les XL, on est donc sur de l’Amber Graphic, qui est le même papier qu'on utilise pour Légende et pour Zadig. On utilise également ce papier pour les XS, notamment Le 1 des libraires, qui est plus petit. Sur ces formats, nous devons réaliser un pliage de plus, ce qui nous oblige à passer de 90 grammes à 80 grammes.

Pour le format XL, comme pour le numéro sur Miyazaki, on propose une grande affiche à la fin. On imprime ces grands formats en « offset » [processus d’impression similaire à la lithographie, NDLR], et non pas en « roto » [rotatives, NDLR] comme Le 1. Il faut donc des papiers qui soient disponibles pour l’impression en rotative ou offset ainsi que dans les différents tailles dont nous avons besoin.

L’illustration était donc un sujet essentiel dans la conception du 1 ?

On a beaucoup travaillé sur ce point-là. C'est-à-dire que ce que nous travaillons par exemple avec les photograveur·ses ce qui n'est quand même pas courant dans la presse parce que cela a un coût. À chaque fois, on essaye d’optimiser le rendu à l’impression. C'est un travail de finesse qui exige de l'expérience. Pour le papier « offset » par exemple, c'est un papier qui « boit ». On booste les couleurs pour retrouver celles d'origine. 

Illustration publiée dans le numéro du 11 mars 2021 : « Louise Michel, l'égérie de la Commune »

En 2014, le numéro était vendu à 2,80€. Les tarifs ont progressivement atteint les 3,50€. À quoi est due cette augmentation ?

Il y a le papier, l'augmentation du coût de la vie aussi et, plus globalement, l'augmentation des frais. À cause de cette hausse du prix du papier, l'État devait aider la presse. Mais il nous a fallu anticiper parce que l'argent n'a toujours pas été versé. La seule solution qu'on a eue a été d’augmenter notre prix.  Si on ne l’avait pas fait, on serait morts. C’est complètement aberrant.

[Par e-mail, Nathalie Thiriez nous précisera qu’au début du journal, la tonne de papier leur coûtait 600 euros, contre 1 300 euros aujourd’hui, NDLR].

Le format du 1 influence-t-il la manière dont vous traitez vos sujets ? 

On utilise trois formats avec Le 1. Un premier format A4, plutôt dans l'intime. On y retrouve le texte d'écrivain, la poésie, ainsi que l’édito. On ouvre le journal et on retrouve alors le second format plutôt « news ». On a le grand entretien, les repères et généralement un autre papier comme un « Zoom », un « Parlons philo » ou autre chose. On déplie encore et on a le troisième format, celui du poster, qui va constituer la « surprise ». Ça peut être plusieurs articles ou des grandes infographies. Ce format nous offre plein de possibilités. C’est aussi un espace de liberté pour nous qui le faisons sachant que le reste est tout de même assez régulier. Le public a besoin à la fois de repères relativement fixes dans un journal, mais il aime bien être surpris. Nous pensons que c'est important de continuer à surprendre.

Une grande carte illustrée, publiée dans le numéro du 20 septembre 2023 : « Qui convoite l'Afrique ? »

Quand on est sur son téléphone ou sur son ordinateur, on a des alertes dans tous les sens. Quand on est dans un magazine, quel qu'il soit, on est moins distrait par ce qui se passe autour. Avec la lecture sur papier on retient mieux que la lecture numérique. On fait d'ailleurs parfois cette expérience : on installe une grande feuille de papier et on pose un téléphone dessus. On voit tout de suite, d’un regard, l’espace de liberté qu'on ne peut pas avoir sur un téléphone. Même s’il y a d'autres types de libertés qu'on peut avoir sur le numérique, on aime bien l'idée « d’ouvrir » les idées. Avec ce dépliage, on retrouve cette idée d’ouverture.

Ne perdez vous pas cette notion de « dépliage » avec votre offre numérique ou votre application, lancée en 2022 ?

Les abonnements numériques restent à la marge pour nous [Les abonnements à l’offre 100% numérique du 1 représentent moins de 10% de leurs abonné·es NDLR]. Les gens sont vraiment attachés à l'expérience papier du 1. Dans un certain nombre de cas, pour des personnes qui vivent à l'étranger par exemple, cela peut effectivement être plus facile d’utiliser l'application. Quand il y a eu les événements en Israël, c'est arrivé un samedi et nous avons bouclé le vendredi. On se retrouve avec un sujet sur Disney qui n'a pas été notre meilleure vente en kiosque en raison du décalage par rapport à l'actualité. Mais on a pu, grâce au numérique, demander à Sylvain Cypel [journaliste, contributeur régulier pour Le 1], qui connaît extrêmement bien Israël, de nous faire une lettre quotidienne. Le numérique nous offre de la souplesse.

À l’origine, quand on a fait notre application, on avait le souhait de l’alimenter de manière quotidienne. Finalement, ce n'est pas ce qu'attendent les lecteurs. Le 1, c'est une feuille, un sujet, une heure de lecture. 


Pour aller plus loin

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NDLR : Owen Huchon, qui s’est chargé de la réalisation de cet entretien, a réalisé un stage de 5 mois au sein de la rédaction du 1 durant l’année 2021.
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Owen Huchon Twitter

Owen Huchon est journaliste chez Médianes. Il est en charge de la communauté.