
Lénaïg Bredoux (Mediapart) : « Changer les choses, c’est parfois difficile et ça prend du temps »
D’abord journaliste au service politique, Lénaïg Bredoux est, depuis 2020, responsable éditoriale aux questions de genre chez Mediapart. Ou gender editor, c’est selon. Le média d’enquête a mis en place des politiques concrètes, et même si les rédactions prennent conscience de l’évolution à venir, le changement reste lent.
Mediapart vous a nommé gender editor en octobre 2020. Comment votre média travaille au quotidien sur le traitement des questions de genre ?
Nous avons volontairement gardé le terme français, car nous accordons de l’importance à « responsable éditoriale ». Notre mission est directement liée à notre ligne éditoriale et à la manière dont nous produisons nos contenus journalistiques. Mon travail est transversal, je suis toujours entièrement journaliste au sein de la rédaction, mais je suis aussi en lien avec les autres services comme les RH. Concrètement, nous agissons sur trois niveaux : il y a de la coordination dans la production de nos contenus, de l’idée de l’article jusqu’à la relecture. Ensuite, nous sommes attentifs à nos pratiques journalistiques en veillant à utiliser un langage inclusif, aux mots que l’on utilise, à la parité dans les personnes que l’on cite comme les expert·es ou même sur les photos. Nous nous organisons également en interne, car le travail ne doit pas se faire uniquement dans les articles.
La parité entre les journalistes est un premier pas, mais comment ça se passe en conférence de rédaction ?
Il y a plusieurs années chez Mediapart, nous avons mené une petite enquête en interne pour mesurer la répartition du temps de parole en conférence de rédaction. Même si le chiffre est approximatif, nous en avons conclu que 80 % du temps les hommes prenaient la parole. Aujourd’hui nos conférences de rédaction sont souvent animées par des femmes, et nous avons nommé des « vigies » chargées de veiller à ce que personne ne se coupe la parole, que l’on ne parle pas trop fort, que certain·es ne prennent pas la parole juste pour redire ce qui a déjà été dit. La vérité des chiffres ne suffit pas, il ne faut pas que du quantitatif, c’est surtout la manière dont vous agissez ensuite qui compte.
À votre arrivée, quelles étaient les priorités ?
C’était la continuité de ce qui a déjà été commencé à Mediapart. Cette mission de gender editor nous permet d’aller plus loin et d’accélérer le processus. Le journal a toujours porté les engagements d’assurer la parité, d’enquêter sur des sujets comme les violences sexistes et sexuelles, d’être sensible aux questions de genre, donc nous connaissons l’importance de porter ce sujet dans nos rédactions et nos articles. C’est un travail au long cours qui émerge de nos discussions.
L’idée est donc de tendre vers la parité dans les personnes citées et les expert·es, mais si une pointure dans un domaine est un homme, comment agissez-vous ?
L’objectif est d’être représentatif donc si un expert très compétent est un homme on ne va pas s’interdire de l’interroger. Ce n’est pas faire de la parité pour la parité. Cependant si on prend le temps, on se rend compte que le milieu de la recherche est très féminin, c’est un travail de long cours pour renouveler notre carnet d’adresses et faire évoluer les habitudes. Dans la recherche comme en politique, les femmes ont toujours un sentiment d’illégitimité. Par exemple, l’étude du CSA sortie en 2020 sur la représentation des femmes dans les médias durant le Covid a eu comme un effet de loupe. Nous avons une responsabilité en tant que média puisqu’il y a des conséquences directes sur l’opinion publique.
Justement, le public accorde-t-il vraiment de l’importance à des politiques plus inclusives ?
Je ne ferais pas une généralité en disant que tous les lecteurs de Mediapart sont en accord avec notre approche. Il y en a qui n’apprécient pas l’usage du point médian dans nos articles par exemple. En tant que média, on se doit de traiter toutes les problématiques qui traversent notre société donc c’est notre devoir envers le public.
Y a‑t-il des médias ou des pratiques dont vous vous inspirez ?
Je lis plein de choses dont je m’inspire. Aux États-Unis, certains médias sont sûrement plus avancés que nous sur les réflexions à mener dans les rédactions, même si les Américain·es ne sont pas toujours en avance sur tout.
Mais c’est très stimulant de me poser des questions auxquelles je n’avais jamais réfléchi. En France, on éditorialise beaucoup plus l’information, on est dans le commentaire permanent. À contrario, je pense au travail de l’AFP qui agit beaucoup sur ces questions de manière remarquable. Au-delà des aspects géographiques, il y a une question générationnelle. Je le vois dans les écoles de journalisme, dernièrement j’ai eu l’impression qu’on avait presque changé de monde, dans le bon sens j’entends. On aborde des sujets que l’on évoquaient pas il y a dix ou quinze ans dans les amphis : la non-binarité ou l’intersectionnalité. Les garçons posent des questions sur la parité, et s’y intéressent. C’est important, car c’est essentiel de questionner nos biais et nos pratiques journalistiques.
Est-ce que vous sentez que les choses changent ou c’est un chemin encore long ?
Changer les choses c’est parfois difficile et ça prend du temps. Les grands médias ont les moyens éditoriaux et humains, mais n’agissent pas suffisamment, mais on voit que les titres de presse s’emparent de ces questions et qu’elles font la Une : Libération avec PPDA, Envoyé Spécial sur Nicolas Hulot… C’est une préoccupation à avoir en permanence.
De notre côté, nous devons agir en interne notamment lors des recrutements ; embaucher des personnes qui sont à l’affût sur ces sujets est un plus. À Mediapart nous travaillons très régulièrement avec des pigistes qui connaissent très bien les questions de genre.
On voit qu’il y a tout de même une prise de conscience dans le monde des médias, je pense par exemple au refus de certaines rédactions de, finalement, participer aux Assises du journalisme, car Nicolas Hulot était invité. Je vois aussi des comptes Instagram se créer comme Préparez-vous à la bagarre.
Aller plus loin
Lenaïg Bredoux a lancé une newsletter sur l’actualité des questions de genre, des violences sexistes et sexuelles, des mobilisations féministes et LGBT+, et la façon dont Mediapart couvre ces sujets.
La newsletter de Médianes
La newsletter de Médianes est dédiée au partage de notre veille, et à l’analyse des dernières tendances dans les médias. Elle est envoyée un jeudi sur deux à 7h00.