Substack, c’était une bonne idée ?
On a longtemps présenté le service de newsletters Substack comme l’eldorado des journalistes indépendant·es. Quel bilan dresse-t-on de l’utilisation de la plateforme ?
Le moment n’a jamais été mieux choisi pour lancer sa newsletter. Les journalistes en quête d’indépendance se multiplient, les publics expriment leur défiance envers les médias de masse et des outils permettent à présent de tirer des revenus de ses écrits indépendants. Parmi ceux-ci, la plateforme californienne Substack, qui permet de créer des newsletters sur abonnement. Kessel, un service du même type se lance à la conquête du marché français. Pour les journalistes, s’agit-il de mannes financières ou de miroirs aux alouettes ? On vous partage les principaux éléments à retenir de cette étude sur Substack menée par Shira Zilberstein pour le Tow Center for Digital Journalism et à lire dans la Columbia Journalism Review.
L’indépendance reste l’argument clé
Du fait de son absence de publicité et de la liberté totale qu’elle offre à ses utilisateur·ices, Substack est vue par les journalistes comme une alternative aux pressions liées aux grandes entreprises de presse pour produire des contenus. « [Ma newsletter] est entièrement financée par l’abonnement, explique un journaliste politique. En demandant à mes lecteur·ices de me soutenir, je me sens obligé de produire du contenu de qualité… pas un piège à clics conçu pour rendre un annonceur heureux. » Au-delà de ces considérations éthiques, l’indépendance permet également aux pigistes de gagner en qualité de vie. Entre les nombreuses relances, les paiements parfois dérisoires et le travail dans l’urgence, les newsletters indépendantes offrent aux journalistes la possibilité de garder la main sur leur rythme de travail.
La plateforme permet de se faire un nom
Parmi les personnes interrogées, nombreuses sont celles qui expliquent s’être lancées sur Substack afin d’être identifiées comme expertes sur un domaine de niche. Objectif ? Susciter l’intérêt des entreprises de presse et décrocher un contrat. Il s’agit en général de jeunes diplômé·es et de journalistes souhaitant ajouter de nouvelles cordes à leur arc. Les newsletters indépendantes sont ainsi perçues à la fois comme un outil d’apprentissage et comme une ressource pour montrer sa capacité à écrire sur tel sujet, à faire preuve d’esprit critique et à proposer des angles originaux pour l’aborder. Si la newsletter supprime le passage — parfois redouté — de la relecture dans les rédactions, plusieurs journalistes interrogé·es affirment cependant tenir à respecter les chartes et règles d’éthique professionnelle pour éviter de confondre leurs newsletters avec des écrits perçus comme trop personnels.
Entre journalisme et influence, des frontières floues
Tweets d’auto-promo, coups de gueule, obsession des chiffres… Souvent, le numérique incite les journalistes à avoir recours aux mêmes stratégies et habitudes que celles des entrepreneur·euses et des influenceur·euses pour trouver et fidéliser son audience. Justement, journalistes salarié·es et indépendant·es n’hésitent pas à lancer leur propre newsletter afin de porter une parole plus libre. « Mon écriture est beaucoup plus honnête sur Substack, où la critique est possible, que dans un article classique », explique un journaliste spécialisé sur les questions de genre et de politique. Le fait de bénéficier de cet espace personnel permet de créer un lien avec une audience fidèle. Seule ombre au tableau ? Le risque de brouiller les frontières entre analyse et opinion, et entre journalisme et influence.
Les Twittos s’en sortent mieux que les autres
Un autre groupe important de journalistes fait de Substack sa bouée de sauvetage suite à la perte d’un emploi. Mais ces personnes estiment que la production de contenus via ce service n’est pas viable sur le long terme. « Si vous lancez une newsletter sans avoir une base de lecteur·ices préexistantes ou un nombre important de followers actifs sur Twitter, cela risque d’être délicat », note une pigiste qui a choisi de quitter la plateforme. Pour vivre correctement de ses newsletters, mieux vaut avoir plusieurs milliers d’inscrit·es, nous apprend le rapport. Et la fatigue du public liée à la multiplication des abonnements ne joue pas en la faveur de ces auteur·es pour augmenter leur base d’abonné·es. Au fond, ces journalistes précaires considèrent que Substack profite surtout à leurs consœurs et confrères salarié·e qui bénéficient déjà de l’aura d’une marque ou d’un nom.
Quelques données à garder en tête
- Substack comptait 2 686 newsletters actives en 2021, au moment où le Tow Center a mené son étude.
- La tech représentait alors 18,3 % des thèmes des newsletters présentes sur la plateforme, suivie de près par la culture et la politique.
- Les journalistes représentaient 20 % des rédacteur·ices de contenus sur Substack, derrière les auteur·es et les blogueur·ses (39,4 %).
- Dans leurs hyperliens, les newsletters redirigent principalement vers YouTube (77 %), Twitter (73 %) et le New York Times (59 %).
Pour aller plus loin
- Plutôt que de créer une newsletter en son nom propre, et si vous réfléchissiez à une marque média pour celle-ci, à l’image de Vert ou TechTrash ? Quelques idées et bonnes pratiques pour une newsletter bien pensée.
- Pour rester à jour sur l'actualité, trouver des recommandations littéraires ou tester de nouveaux outils de travail, les newsletters sont nos meilleures alliées. Voici le top 50 de l'équipe de Médianes.
- Ce que l’on sait de Kessel, la nouvelle plateforme de newsletters sur abonnements lancée par Adrien Labastire, cofondateur de la société de productions de vidéos Golden Moustache.
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