Valentin Levetti, Stupid Economics : « Puisque notre audience finance notre média, elle doit savoir ce que l’on fait de son argent »
Valentin Levetti est le cofondateur des chaînes YouTube et Twitch de vulgarisation économique Stupid Economics, incarnées par Arnaud Gantier. Il est l’invité du deuxième épisode de la deuxième saison de Chemins, le podcast de Médianes.
Dans ce deuxième épisode de la deuxième saison du podcast Chemins, nous recevons Valentin Levetti, cofondateur des chaînes YouTube et Twitch Stupid Economics. Depuis 7 ans, le média rend accessible l’économie à ses plus de 273 000 abonné·es sur YouTube et 13 000 abonné·es sur Twitch. Anti publicité et anti sponsorisation, le média est aujourd’hui financé par le soutien mensuel de son public. Comment faire accélérer un média indépendant sur YouTube ? Comment faire de la transparence un atout dans son modèle ?
Les points clés
- 2023 sera l’année où Stupid Economics atteindra l’équilibre. Le média n’avait, à l’origine, aucune ambition économique. Quelles ont été ses trois grandes étapes ?
« La première étape a été le moment où nos vidéos ont commencé à faire des vues. On a alors mesuré l’engouement autour de notre travail gratuit de vulgarisation. La deuxième a été la publication d’une vidéo sur le Canal de Suez. La vidéo a fait 50 000 vues, ce qui était énorme pour nous à l’époque. Des médias ont repris nos informations, la vidéo a fait scandale en Égypte, le gouvernement égyptien y a même répondu. On s’est alors aperçus que YouTube pouvait avoir un impact et une forte diffusion. Avec nos vidéos, on peut atteindre des gens qu’on aurait pas forcément touchés via les canaux classiques de la presse. On décide alors de s’y mettre à fond. Puis, en 2018, le CNC propose une subvention pour les créateur·ices web. On y participe et on remporte la somme maximale de 50 000 euros, ce qui nous permet de croître et de financer une saison entière de Stupid Economics. »
- Stupid Economics est un média gratuit financé par le soutien de son public. L’abonnement est optionnel et libre : chacun·e peut choisir le montant qu’il ou elle souhaite donner mensuellement ou de manière ponctuelle.
« On incite beaucoup les gens à faire des petits dons de 1 ou 2 euros mensuels. Notre seul marketing, c’est de se dire que si 1% des abonné·es financent la chaîne à hauteur de 1 euro par mois, cela restera gratuit pour les 99 autres. On pense que le public se saisit mal des questions économiques parce qu’il est mal informé et que ces sujets sont très mal proposés. Faire un média payant sur l’économie, cela rendrait tout cela encore moins accessible. »
- Le soutien moyen est de 2,70 euros par mois. Ces soutiens représentent 3600 euros par mois, ce qui représente environ 1300 personnes.
« Nous en sommes très contents. On préfère des soutiens bas mais qui se poursuivent dans le temps que des très hauts dons ponctuels qui ne nous laissent aucune sûreté pour la suite. »
- Stupid Economics a récemment dû basculer sur la plateforme de financement KissKissBankBank avec la fermeture soudaine de Utip - plateforme que le média utilisait jusqu’ici. Un vrai krach boursier. Pourtant, le média n’a subi aucune perte.
« Les gens ont fait le transfert en l’espace d’à peine quinze jours. On a toujours peur qu’au sein des personnes qui nous financent, certaines oublient qu’elles nous donnent un euro par mois. C’est là qu’on se rend compte de l’appétence pour le travail que l’on fait : ces abonné·es se mobilisent et sont toujours présent·es. On est même obligés de faire des e-mails en leur disant de ne pas augmenter leur soutien étant donné que l’urgence crée un marketing malgré nous où les gens pensent qu’on va perdre de l’argent avec la fermeture de Utip. On a une vraie stabilité, c’est extrêmement rassurant. »
- Sur l’intégralité de l’année, YouTube verse moins de 3000 euros à Stupid Economics pour les publicités placées automatiquement par la plateforme en début de vidéos, soit à peu près 6% du chiffre d’affaires du média.
« On ne décide jamais de quelle publicité sera mise en avant en pré-roll de nos vidéos. On a donc songé à supprimer ces publicités. Mais quand on choisit de ne pas monétiser ses vidéos, YouTube nous met moins en avant. Comme il n’y a pas de conflit d’intérêt entre notre contenu et la publicité qui passe, on préfère garder cette source de revenus comme un bonus de fin d’année. C’est la seule publicité qu’on accepte. »
- Le contenu de Stupid Economics ne sera en revanche jamais sponsorisé.
« On refuse, en tant que journalistes, de prendre la parole pour mettre en avant une marque. Et si ce n’est pas le journaliste qui le dit, cela créé un autre problème. Toute l’analogie peut être faite sur le média. C’est un principe de base : il doit y avoir une séparation très clair entre la rédaction et la partie publicitaire. Dans notre cas, c’est impossible. Et de toute façon, nous n’avons aucune envie de vendre des produits à notre audience. »
- Depuis sa création il y a sept ans, le média publie en chaque fin d’année son bilan comptable, son bilan prévisionnel de l’année suivante, ainsi qu'une vidéo explicative sur sa chaîne.
« Cela fait partie de notre vision : puisque notre audience finance notre média, elle doit savoir ce que l’on fait de son argent. Et cela permet d’éclaircir un problème qui est de savoir combien cela coûte de faire des vidéos sur YouTube. Quelles sont les dépenses ? À quoi ressemble la comptabilité d’un·e créateur·ice de contenu ? Un logiciel de montage, des licences pour la musique et les images utilisées, des frais juridiques,... Cela nous permet de faire cette démonstration auprès de notre public. »
- La page KissKissBankBank de Stupid Economics précise que tout travail bénévole est inacceptable et que l’enjeu consiste à pérenniser l’équipe. Dans le même temps, des enquêtes font ressortir cette question du bénévolat et du management au sein des médias indépendants.
« La fin ne justifie jamais les moyens. Les seules personnes qui peuvent prendre des risques sur un média doivent être actionnaires et le faire en pleine connaissance de cause. Par contre, toutes les personnes qui sont subalternes — journalistes, technicien·nes, monteur·ses — doivent être rémunérées et bénéficier de conventions collectives. Une entreprise repose sur ses ressources humaines. Il faut en prendre soin. »
Pour aller plus loin
- Retrouvez tous les épisodes de la saison 2 de notre podcast Chemins consacrée à l’accélération d’un projet média, avec Cécile Sourd (Mediapart), Jean-Christophe Boulanger (Contexte), Lauren Boudard (Climax), Frédéric Desiles (Alternatives Économiques), Emmanuelle Josse (La Déferlante) et Valentin Levetti (Stupid Economics).
- Marsactu, Contexte, The Markup, consultez notre article sur les enjeux de transparence dans les médias et sur l'importance de reconnaître ses erreurs avec les cas du Monde, Arrêt sur images et le New York Times.
- Pour apprendre à créer votre projet média en cinq étapes, consultez nos fiches pratiques.
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