Alexandre Coing, Le Fooding : « Le travail en binôme est un soulagement et un enrichissement »

Alexandre Coing est co-directeur du Fooding. Il est invité de la troisième saison de Chemins, le podcast de Médianes.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Dans cet épisode de Chemins, je reçois Alexandre Coing, co-directeur du Fooding depuis 2022. Ce média, lancé en 2000 comme une alternative aux guides gastronomiques traditionnels, a fait bouger les lignes en popularisant la bistronomie et en intégrant la nourriture dans la pop culture. Son ton décalé et accessible a séduit les amateur·rices de gastronomie comme un public plus large. Pourtant, Le Fooding a connu plusieurs tournants : le rachat par Michelin, souvent perçu comme un contre-pied à son esprit initial, et le départ d’Alexandre Cammas, son fondateur historique, en 2022. Comment reprendre la direction d’un média que l’on a pas fondé ? Comment garder l’âme du Fooding tout en évoluant au sein d’un grand groupe comme Michelin ?

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  • Une évolution rapide

En 2014, Alexandre Coing rejoint Le Fooding en tant que stagiaire. L’équipe n’est alors composée que de huit personnes. Cette immersion rapide dans un média en pleine croissance lui permet de toucher à plusieurs aspects du métier.

« C’était un stage de six mois où je suis passé par deux missions différentes : trois mois à l’éditorial, à vérifier les chroniques des restaurants, et trois mois au pôle partenariat, qui générait des revenus via les sponsors et annonceurs. On était une toute petite équipe à l’époque, cela m’a permis de toucher à tout et d’apprendre énormément en peu de temps. »

Ce cadre restreint devient une sorte d’école et permet une immersion rapide dans les rouages du média. Un an après son arrivée, Alexandre Coing devient responsable des partenariats. Son rôle : développer des collaborations avec des marques tout en veillant à ce que ces associations restent en phase avec l’ADN du média. Ces partenariats prennent différentes formes : événements, contenus sponsorisés (clairement identifiés comme tels), guides personnalisés… et sont produits par les journalistes de l’équipe.

« Ce qui m’a plu, c’était de penser les opérations partenariales et publicitaires comme des médias à part entière, avec des histoires qui ont du sens, de l’impact et de l’originalité.  »

Le calendrier des événements du Fooding

Dans le même temps, Alexandre Coing prend des responsabilités supplémentaires : gestion des ressources humaines, comptabilité et finances.

« Alexandre Cammas et Marine Bidaud, les cofondateur·ices, voulaient travailler sur l’entrée possible d’un·e investisseur·se ou une revente. J’ai été rapidement intégré dans ce projet : je sortais d’école de commerce, je pouvais travailler sur des tableaux Excel et des business plans. En 2019, mon titre change officiellement et je deviens directeur des opérations. »

  • Prendre du recul pour mieux revenir

Après six années à évoluer rapidement au sein du Fooding, Alexandre Coing décide en 2020 de faire une pause professionnelle. 

« Je n’avais pas pris de vacances depuis le bac, je bossais tous les étés, j’avais tout le temps un stage, puis Le Fooding directement en sortie d’école. J’avais besoin de m’aérer le corps et l’esprit. D’où l’idée de partir faire un tour d’Europe à vélo. Le Covid a finalement avorté le projet, mais cette période m’a permis de souffler, de réfléchir à ce que j’avais envie de garder ou pas dans mon travail. 

Enregistrement du podcast Chemins avec Alexandre Coing

Cette pause marque une remise en question profonde. Il ne sait pas s’il reviendra au Fooding, mais après plusieurs mois de réflexion, la décision s’impose d’elle-même.

« Je suis parti en janvier 2020 et en fin d’année, j'ai repris les discussions avec Le Fooding pour leur dire que finalement, j'avais bien envie de revenir et que l'histoire n'était pas finie. Et ils pensaient un petit peu la même chose, donc c'était une bonne nouvelle. »

  • Une transformation profonde après le Covid

Quand Alexandre Coing revient, Le Fooding est fragilisé par la pandémie.

« Le Fooding fait deux choses. Il parle des restaurants : ils sont fermés. Il fait des événements : c'est interdit. »

Un article du Monde sur les difficultés traversées par le Fooding en 2020

Dans le même temps, le média se restructure : ses fondateur·ices quittent l’aventure et Michelin rachète 100 % des parts, une évolution qui suscite des interrogations sur l’indépendance du Fooding.

Michelin recrute alors Sophie Alexandre, directrice générale de transition, pour accompagner la transformation du média.

« Sa direction, qui a duré un an, nous a permis de mettre en place une nouvelle gouvernance, une nouvelle répartition des rôles, de nouveaux recrutements. Elle nous a permis d’accoucher d’une organisation pérenne, durable et moins pyramidale dans le management. Nous nous sommes aussi demandé·es à quoi ressemblerait le nouveau Fooding : comment emmener une marque qui a été ultra prescriptrice pendant vingt ans dans un nouvel environnement ? À quoi ressembleront les vingt prochaines années ? »

Sur la question du rachat, Alexandre Coing se veut rassurant.

« Ce rachat a créé de la défiance : comment rester pertinent et impertinent quand on est dans un groupe beaucoup plus gros et traditionnel que soi ? J’y réponds en expliquant que l'indépendance éditoriale est totale. On n’est pas dans les mêmes locaux que Michelin, et on gère Le Fooding de façon complètement autonome. La seule chose qui a changé, c’est le lien capitalistique, mais c’est tout. »

  • Une organisation en binôme

Après le départ de Sophie Alexandre, Alexandre Coing et Christine Doublet prennent la co-direction générale du Fooding, un modèle hérité des fondateur·ices qui repose sur la complémentarité et la collaboration.

« Je trouve extrêmement sain d’avoir un modèle où on ne prend pas les décisions en solo. Il y a un enjeu de complémentarité, d'échange et d'œuvre collective. On partage les responsabilités, les idées, la charge, l’incarnation. Cette organisation est un soulagement et un enrichissement. »

  • Demain : aller plus loin dans l’engagement

Depuis son rachat, Le Fooding a renforcé son positionnement progressiste, en s’emparant de sujets comme l’inclusivité, l’écoresponsabilité et la lutte contre les violences dans la gastronomie.

« On voit de plus en plus que la gastronomie est un sujet qui polarise. Il y a clairement une réappropriation d’une partie des valeurs que pourrait porter l’alimentation par l’extrême droite. Plusieurs courants utilisent des traditions culinaires pour servir un agenda globalement assez raciste. De notre côté, je crois qu'on a poussé les curseurs de l'engagement un peu plus loin. »

Concrètement, cela se traduit par une évolution du contenu et une diversification des thématiques abordées.

Un article de la rubrique Magazine du Fooding

« Dans nos palmarès, on visibilise les femmes, on parle du sans-alcool, des endroits en dehors de Paris. On a également densifié une partie qu'on appelle magazine, qui va au-delà de la chronique de restaurant. On cherche à aller plus loin dans l'analyse et dans notre revendication d'engagement progressiste. Ce n'est pas une révolution, parce que cela existait déjà, mais c’est une évolution notoire parce qu’on la rend plus visible. »

Autre enjeu : s’éloigner d’une vision trop parisienne de la gastronomie.

« Sur les quatre dernières années, les trois quarts des restaurants qui reçoivent des prix sont en dehors de Paris. »

Depuis 2023, le guide est également présent en Belgique

Enfin, Le Fooding mise sur une diversification de ses activités.

« On s’ouvre à d’autres savoir-faire et métiers. On a lancé une maison d'édition cette année. On a énormément digitalisé. On a lancé une nouvelle appli, un nouveau site, un nouveau format de newsletter, plein de nouveaux formats sur les réseaux sociaux. Et chaque canal est pensé comme un média à part entière. Cette ouverture nous fait gagner en légitimité et en crédibilité. »

Pour aller plus loin

  • Dans le premier épisode de la deuxième saison de notre podcast Chemins, nous recevons Cécile Sourd, directrice générale du journal en ligne indépendant spécialisé dans l’enquête Mediapart. Fort de ses 220 000 abonné·es numériques payants et 139 collaborateur·ices, le média a fêté en 2023 ses quinze ans et passé un cap avec le départ d’Edwy Plenel, figure historique de la rédaction. Comment gérer cette transition ? 
  • Le management est souvent considéré comme le point noir des médias, principalement en raison du manque de formation pour les personnes qui se retrouvent à diriger des équipes journalistiques. Pourtant, plusieurs situations peuvent amener des journalistes à occuper des postes de direction et à encadrer des équipes. Notre guide pour prendre soin de ses ressources humaines.
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Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de stratégie.