Lauren Boudard, Climax : « Avec le papier, on nous prend plus au sérieux »

Lauren Boudard est co-fondatrice de la newsletter TechTrash et de Climax, une newsletter d’actualités sur le changement climatique lancée en 2021, devenue fanzine l’année suivante. Elle est l’invitée du cinquième épisode de la deuxième saison de Chemins, le podcast de Médianes.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Dans ce cinquième épisode de la deuxième saison de Chemins, nous recevons Lauren Boudard, co-fondatrice de la piquante newsletter TechTrash et de Climax, une newsletter d’actualités sur le changement climatique lancée en mai 2021. Un an plus tard, Climax est passée des boîtes mail aux boîtes à lettres avec un fanzine « plus chaud que le climat ». Est-il vraiment plus simple de rentabiliser un produit papier plutôt qu’une newsletter ? Comment engager sa communauté ?

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Les points clés

La newsletter et les trois premiers numéros du fanzine
  • Climax dispense également des formations auprès d’entreprises. Un levier économique qui n’empêche pas le média de conserver son ton engagé et anti-greenwashing. 

 « On a une radicalité dans le fanzine et les contenus que l’on diffuse dans la newsletter. Cette radicalité, on la garde durant les formations. C’est ce qui fait notre différence, c’est ce qui fait que les gens nous suivent. »

  • Le média vient d’être choisi par le Fonds pour une presse libre — une aide à la presse dont les seules ressources proviennent de dons de citoyennes et citoyens sensibles aux combats pour la liberté et le pluralisme de l’information — qui soutient cette année dix médias indépendants pour des montants s’échelonnant de 12 000 à 45 000 euros. 

 « Cette enveloppe nous permettra de développer le volet Enquêtes de Climax. Aujourd’hui, nous avons un journaliste, Nicolas Beublet qui est en alternance et on aimerait pérenniser son poste pour qu’il puisse développer les reportages et enquêtes. L’argument a convaincu le FPL, nous en sommes très heureux·ses. »

  • Climax a d’abord été lancé sous la forme d’une newsletter payante. Un an plus tard, les fondateur·ices ont choisi de transformer cette newsletter en fanzine.

 « Au départ, la newsletter payante, c’était parce qu’on croyait — et on croit toujours — énormément au modèle Substack qui se développe aux États-Unis. Mais notre proposition éditoriale ne collait pas. Dans la newsletter payante, deux chemins fonctionnent : soit on s’abonne parce qu’on sait qu’on va en retenir quelque chose d’utile dans notre quotidien, soit on s’abonne dans le but de soutenir une personne spécifique. C’est toutes les démarches de journalistes américain·es qui quittent leurs rédactions pour monter leur petit empire médiatique en solo. Nous, on avait un projet collectif qui se prêtait plus à une newsletter gratuite en complément d’un format papier. »

Capture d'écran d'une édition de la newsletter de Climax
  • Lorsque la newsletter Climax est devenue fanzine, celle-ci comptait 1000 abonné·es payant·es. L’équipe a simplement annoncé la transition vers un modèle papier et les abonné·es pré-existant·es ont naturellement suivi le mouvement. Aujourd’hui Climax, imprime et vend 3000 fanzines.

 « L’idée, c’est de croître petit à petit. On est à l’inverse de la logique du "scale" et de l’hyper-croissance. On chérit ce petit média parce qu’on chérit notre radicalité. Comme on est exclusivement en diffusion en librairie et sur notre site, on est contraint·es à une diffusion plus faible. »

  • À chaque nouvelle sortie, l’équipe prévend son numéro via une campagne de financement participatif. Une question de sécurité financière. Aujourd’hui, le fanzine est tout juste rentable mais repose sur un équilibre fragile compte tenu du coût du papier.

 « Les préventes nous permettent à la fois d’avoir les fonds suffisants pour lancer l’impression et de jauger le nombre d’exemplaires à tirer. Notre objectif reste tout de même d’avoir une visibilité sur deux ou trois numéros à l’avance. »

La dernière campagne de préventes de Climax sur KissKissBankBank
  • Les contenus du fanzine et de la newsletter — devenue gratuite — communiquent entre eux.

 « On a une rubrique de la newsletter qui s’appelle "L’argument bidon" et dans laquelle on déconstruit les prêt à penser qui nous empêchent d’agir. Dans la newsletter, c’est un format très ramassé mais on retrouve aussi ce type de contenu dans le fanzine sur des papiers plus longs qui servent à outiller les lecteurs et lectrices pour répondre à ces ritournelles que l’on entend au quotidien. Des ponts se créent mais les formats restent différents : la newsletter fait de l’actu, le fanzine des formats plus longs, avec des archives notamment. »

  • Le passage de la newsletter au fanzine a permis à l’équipe de Climax de gagner en légitimité et de développer une équipe de journalistes pigistes.

 « On a eu beaucoup de retours de nos lecteur·ices et de nos confrères et consœurs qui nous prennent plus au sérieux grâce au format papier. Il y a encore des préjugés autour de la newsletter où les gens se disent qu’on écrit ça entre midi et deux avec un regard assez peu professionnalisant. Cela nous a donc fait passer un échelon supérieur, cela a fait grandir l’intérêt autour de notre proposition, d’autant qu’il existe peu de média papier sur l’écologie. »

 « À part l’envie, je ne pense pas qu’il existe de conditions particulières pour lancer un fanzine. Ce qui a changé, c’est la structuration de l’équipe. Nous nous sommes entouré·es d’autres plumes que celles de la rédaction de Climax. Un vrai challenge : on a développé un ton spécifique, comment permettre à d’autres personnes de s’en emparer ? »

  • Chaque sortie d’un nouveau numéro est l’occasion d’organiser une soirée et de développer une logique événementielle. L’équipe souhaiterait à présent développer ces événements en dehors de Paris. De quoi créer une communauté autour du fanzine tout en augmentant sa  « découvrabilité ». 

 « On veut développer de l’éco-joyeuseté. C’est important pour nous d’avoir un sentiment d’accomplissement, de se rendre compte qu’on ne fait pas tout ça dans notre coin. C’est l’occasion de rencontrer la communauté, d’organiser des jeux comme des blind test climatiques, des Petit Bac géants. On a lancé également un cycle de conférences sur la notion d’utopie pour se projeter vers des horizons désirables. Cela s’inscrit dans notre proposition éditoriale. L’écologie, ce n’est pas que des courbes et des chiffres. C’est aussi des imaginaires dans lesquels on veut se projeter. »

Pour aller plus loin

  • Retrouvez tous les épisodes de la saison 2 de notre podcast Chemins consacrée à l’accélération d’un projet média, avec Cécile Sourd (Mediapart), Jean-Christophe Boulanger (Contexte), Lauren Boudard (Climax), Frédéric Desiles (Alternatives Économiques), Emmanuelle Josse (La Déferlante) et Valentin Levetti (Stupid Economics).
  • Le fanzine, une belle option pour se différencier des pub­li­ca­tions clas­siques, sans gom­mer son identité.
  • Au-delà du ministère de la Culture, la notion d'aides à la presse recouvre de nombreux dispositifs, et autant de subtilités. Suivez le guide.

NDLR : Médianes, le studio, accompagne l'équipe de Climax dans ses développements stratégiques depuis 2022.

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Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de veille.