Le journalisme de solutions, pour changer de perspective

Depuis quelques années, un journalisme dit « de solutions » se fait une place dans les rédactions avec la promesse d’offrir de nouvelles perspectives dans les médias et de façonner un journalisme plus vertueux.

Mathilde Carlier
Mathilde Carlier

Au printemps 2023, Médianes et Revue Far Ouest organisaient le Festival Imprimé, événement consacré au journalisme engagé. Parmi la programmation, le Club de la Presse de Bordeaux proposait un atelier participatif consacré au journalisme de solutions, animé par le journaliste Pierre Leibovici. L’occasion d’interroger cette pratique et ses enjeux.

Pierre Leibovici, journaliste pour le site d’investigation Disclose, est aussi ambassadeur en France du Solutions Journalism Accelerator, un programme porté par le European Journalism Centre consacré au journalisme de solutions. C’est de ce sujet dont il était question lors de la session d’échange au Club de la Presse de Bordeaux, le 30 mars dernier. Dans la salle, une vingtaine de participant·es ont répondu présent·es : journalistes, pigistes et étudiant·es. Après s’être présenté, l’animateur propose un tour de table pour que chacun·e donne un mot illustrant pour elles et eux l’état actuel du monde de l’information. Inquiétude, agitation, mécontentement, besoin de changement… le constat n’est pas glorieux.

Une transition parfaite qui permet au journaliste d’introduire le sujet : « Il y a cette idée qu’on raconte toujours les mêmes histoires déprimantes et, qu’en tant que journalistes, on adopte un prisme négatif de l’actualité ». Il semble que cette tendance au biais de négativité tienne en partie d’une habitude prise dans la profession mais reflète aussi l’idée que les journalistes sont là pour « révéler ce qui ne va pas ».

Retrouver de la nuance

Pourtant, révéler ce qui est cassé ne permet pas de le réparer, souligne Pierre Leibovici. L’occasion de s’interroger plus largement sur le rôle des journalistes : montrer ce qui fait défaut ? Apporter des réponses ? C’est en tout cas ce que le journalisme de solutions propose : retrouver de la nuance en se focalisant sur les réponses aux problèmes de société, plutôt que de rester sur une simple exposition des maux existants, au risque de miner le moral des lecteur·rices sans faire avancer le débat.

Le principe repose ainsi sur le fait de « se focaliser sur les réponses aux problèmes de société, en apportant des preuves que celles-ci fonctionnent et peuvent être appliquées ailleurs. »

Quelques exemples concrets nous permettent de mettre le doigt sur les spécificités de la démarche. Par exemple, un article du Monde consacré à la Maison des livreurs, initiative mise en place à Bordeaux, suit un déroulé précis : après avoir exposé les problèmes auxquels cette initiative entend répondre, l’article explique son fonctionnement, ses limites, puis donne des clés pour que d’autres villes puissent s’en saisir à leur tour.

Quatre critères fondamentaux

Comme le rappelle Pierre Leibovici, la solution est ici au cœur de la narration et ne tient pas en une simple ligne à la fin d’un papier. Pour comprendre ce qu’est le journalisme de solutions, il est en effet aussi intéressant d’identifier ce qu’il n’est pas. Alors que se multiplient les articles dits de « bonnes nouvelles » ou les portraits de héros/héroïnes, avec un caractère souvent anecdotique, le journalisme de solutions propose une approche plus globale.

Pour bien faire la différence, quatre critères permettent de reconnaître un article de solutions rigoureux :

  • Se concentrer sur la réponse à un problème bien identifié ;
  • Fournir des preuves de l’efficacité de la solution présentée — souvent par des chiffres ou des données scientifiques ;
  • Apporter un éclairage nouveau, qui permet de tirer des leçons et/ou de reproduire la solution ailleurs ;
  • Faire preuve « d’honnêteté intellectuelle » en pointant les limites et les faiblesses de cette réponse.

Une réponse aux enjeux actuels

Si le journalisme de solution prend de l’ampleur dans le monde des médias, c’est qu’on lui prête de nombreuses vertus. Dans un contexte où le monde de l’information traverse de nombreuses crises, où la défiance vis-à-vis des médias et la fatigue informationnelle gagnent du terrain, il semble nécessaire pour les journalistes de reconnecter avec leur audience.

Le journalisme de solutions peut y aider. Des études d’impact sur le sujet montrent en effet que cette pratique a tendance à renforcer la qualité perçue d’un article et la confiance des lecteur·rices.

Le journalisme de solutions se présente alors comme une clé potentielle face aux enjeux que traverse l’écosystème médiatique, permettant d’offrir une vision plus complète de la société, de tisser un lien de confiance entre les audiences et leurs médias et d’assurer la pérennité de ces derniers. Comme le souligne Pierre Leibovici, si le rôle des journalistes est de raconter la société, alors il faut aussi montrer ce qui fonctionne correctement.

« On se voit comme des chiens de garde dont le seul rôle est de révéler les méfaits, avec cette idée que c’est ensuite à la société de s’emparer des sujets et que notre rôle est fait. Mais ça ne se passe pas réellement comme ça dans les faits, et si des solutions potentielles ne sont pas présentées, il y a peu de chances que les choses évoluent », ajoute le journaliste.

Bien Urbains, la newsletter des citadin·es optimistes

Certains médias choisissent ainsi de mettre le journalisme de solutions au cœur de leur proposition éditoriale. C’est le cas de Bien Urbains, une newsletter qui s’intéresse aux initiatives collectives permettant de rendre la ville plus conviviale, plus ludique et plus verte. Les cofondatrices Delphine Tayac et Marine Mugnier, également membres du Collectif Antidotes spécialisé dans le journalisme de solutions, étaient présentes lors de l’atelier pour partager leur expérience.

Pour elles, choisir cette approche pour traiter des problématiques urbaines permet d’apporter un nouvel angle sur certains sujets et ainsi de se démarquer dans la ligne éditoriale de leur newsletter. Au quotidien, appliquer les quatre grands principes du journalisme de solution présentés plus haut leur permet de mettre en lumière des solutions qui émergent dans les villes et de regarder les questions urbaines autrement. Alors que Bien Urbains entend recréer du lien et de la proximité avec les lecteur·ices, cette démarche se couple bien avec l’approche du journalisme de solutions, d’après les deux journalistes.

La pratique nécessite néanmoins de prendre quelques précautions, au risque de mettre en lumière de fausses solutions :

  • Ne pas chercher un héros ou une héroïne : il est important de veiller à traiter d’une activité et non d’une personne ou d’une organisation en particulier ;
  • S’assurer d’utiliser des chiffres pour étayer et montrer les résultats ;
  • Enfin, rester journaliste : il est nécessaire de rester critique et d’éviter de se montrer excessivement enthousiaste vis-à-vis d’une initiative par exemple.

Finalement, comme le rappelle Pierre Leibovici pour conclure la session d’échange au Club de la Presse, le journalisme de solutions peut s’appliquer à n’importe quel format et tous les sujets peuvent être abordés avec un angle de solution. Plus qu’une rubrique anecdotique à ajouter à son média, le journalisme de solutions semble ainsi être une grille de lecture dont tous les journalistes peuvent s’emparer, avec l’envie de faire bouger les choses et de renouer avec leurs lecteur·rices.


Pour aller plus loin

NDLR : Médianes, le studio, a accompagné l’équipe de Bien Urbains dans son développement stratégique en janvier 2021.

ÉvénementsFestival ImpriméStratégie

Mathilde Carlier

Mathilde Carlier est chargée de communication et de projets chez Médianes.