
Louise Katz et Nathanaël Simon : « Quand La Grenouille à Grande Bouche s’est arrêtée, on a décidé de tout assumer »
Louise Katz et Nathanaël Simon sont les cofondateur·ices de la revue-restaurant La Grenouille à Grande Bouche, arrêtée en 2022, et du média d’information vivante Les 3 Ours. Tous·tes deux sont invité·es de la troisième saison de Chemins, le podcast de Médianes.
Dans cet épisode de la troisième saison de notre podcast Chemins, nous recevons Louise Katz et Nathanaël Simon. Tous·tes deux sont cofondateur·ices de La Grenouille à Grande Bouche, un projet hybride alliant revue culinaire et restaurant participatif. Lancé en 2019, le projet n’a pas survécu à la pandémie et a pris fin en 2022. Pourtant, quasiment un an plus tard, les journalistes repartent avec Les 3 Ours, un média d’information vivante cofondé avec Julie Lallouët-Geffroy. Dans cet épisode de Chemins, Louise Katz et Nathanaël Simon partagent leur expérience : comment rebondir après un échec, préserver un esprit collectif et se réinventer à travers de nouveaux modèles hybrides ?
- Le lancement de La Grenouille à Grande Bouche : une aventure culinaire et éditoriale
En 2019, Louise Katz et Nathanaël Simon, accompagné·es de Fanny Amand, lancent La Grenouille à Grande Bouche. Ce projet hybride comprenait un restaurant participatif et une revue culinaire abordant la gastronomie sous un angle social et culturel.
« Au départ, La Grenouille à Grande Bouche, ce n’était pas censé être une revue. Le projet initial tournait autour de la relation entre l’écriture et la nourriture. Mais l’idée de la revue s’est imposée comme une manière de permettre aux gens de participer autrement, comme ils et elles le faisaient déjà au restaurant. » – Louise Katz
La revue était participative : « Une partie des chroniques était écrite avec des bénévoles. On avait une interview participative, où chacun·e pouvait contribuer à poser des questions. C’était très collectif. » – Nathanaël Simon
- Un projet bouleversé par la pandémie
Le restaurant ouvre ses portes en janvier 2020, quelques semaines avant le début de la pandémie. Les confinements, couvre-feux et télétravail perturbent rapidement le fonctionnement. En mars 2022, le projet s’arrête.
« On a vécu la fin comme un deuil. Quelqu’un qui accompagnait les fins d’entreprise m’a dit : “Préparez-vous à traverser toutes les phases du deuil.” Et c’est vrai. On est passé·es par la colère, la tristesse, l’acceptation. » – Nathanaël Simon
« Il y avait une vraie lourdeur. Entre le Covid, un deuil familial, une petite fille à gérer et l’entreprise en crise, c’était beaucoup trop. La fermeture a aussi été un soulagement. » – Louise Katz
- Un modèle économique fragile
La Grenouille à Grande Bouche reposait sur un modèle où le restaurant apportait des revenus réguliers pour financer la revue, qui générait des flux de trésorerie plus irréguliers. Ce système a montré ses limites face aux aléas extérieurs.
« On n’y connaissait rien à la presse. On était journalistes, mais on n’avait aucune idée de comment distribuer une revue. Au début, on appelait nous-mêmes toutes les librairies une par une avec une forme de candeur, convaincu·es qu’on allait nous accueillir à bras ouverts immédiatement. Quand les difficultés se sont accumulées, on a eu l’impression de courir en permanence après un train qui avait déjà démarré très vite. » – Nathanaël Simon
« On avait cette naïveté incroyable. On pensait : si le produit est beau, les gens viendront. Mais vendre 4 000 exemplaires d’une revue, c’est énorme. On l’a réalisé beaucoup trop tard. » – Louise Katz
- La gestion émotionnelle d’une fin brutale
La fin de La Grenouille à Grande Bouche a été marquée par une série d’étapes administratives et émotionnelles intenses, vécues dans un laps de temps très court.
« On a eu une première alerte en janvier 2022 : on n’était pas sûrs de pouvoir payer les salaires du mois suivant. À partir de là, tout s’est enchaîné très vite. Le 10 février, on a constaté la cessation de paiements, et le 23 février, nous étions devant le tribunal de commerce. (...) C’est brutal. Une fois que la décision est prise, les choses s’accélèrent. En avril, tout était fini : les locaux vidés, le matériel vendu aux enchères. C’est à ce moment-là que j’ai ressenti toute la violence de ce qu’on venait de vivre » – Nathanaël Simon
La fin du projet a nécessité une gestion délicate envers les salarié·es, les bénévoles, les sociétaires et les lecteur·ices.
« C’était difficile d’annoncer la fin. On a commencé par préparer les équipes : “La situation est compliquée, on cherche des solutions, mais il n’y en aura peut-être pas.” Ensuite, il fallait appeler chaque pigiste, chaque prestataire, expliquer pourquoi ils et elles ne seraient pas payé·es. C’est comme un décès : il y a des annonces à faire, des papiers à remplir, des appels difficiles à passer. (...) On a tout fait pour recaser nos alternants, y compris en passant des coups de fil à d’autres entreprises ou médias. L’idée, c’était de ne laisser personne sur le carreau » – Louise Katz
« On a choisi de tout assumer. On a communiqué sur notre fermeture, donné des interviews pour expliquer pourquoi c’était fini. On a envoyé une newsletter spéciale à nos abonné·es. C’était éprouvant, mais les gens ont compris. Certain·es prestataires étaient en colère, mais beaucoup ont été bienveillant·es. » – Nathanaël Simon
- La renaissance avec Les 3 Ours
En 2023, Louise Katz et Nathanaël Simon, rejoint·es par Julie Lallouët-Geffroy, lancent Les 3 Ours. Le projet propose des spectacles journalistiques, appelés des « presstacles ». (NDLR : l’équipe a depuis adopté le nom de « journal intime ») en Bretagne. Ces représentations combinent mise en scène théâtrale et narration journalistique pour proposer un format d’information vivante.
« Cette fois, on prend le temps. On est dans une année zéro. On teste, on réfléchit, on apprend le fonctionnement du spectacle vivant. Par exemple, on découvre qu’il faut un plan de feu, un·e régisseur·se... C’est nouveau pour nous, mais on s’entoure des bonnes personnes. » – Nathanaël Simon
Leur premier spectacle, présenté le 24 janvier 2025, sera suivi de trois à quatre représentations jusqu’en juin.
« On ne s’est pas précipités. On a d’abord étudié l’économie du spectacle vivant, appris les bases : billetterie, programmation, lumière. C’est une toute autre manière de penser par rapport à l’édition. On veut que chaque étape soit bien faite. On bidouille beaucoup moins. On ne travaille pas avec des gens qui découvrent leur métier, parce qu’on sait qu’on ne peut pas tous être débutant·es en même temps. » – Louise Katz
- L’importance de l’entourage
Dans les moments difficiles, Louise et Nathanaël ont pris conscience de l’importance de s’appuyer sur leur réseau et leur entourage, que ce soit pour surmonter des crises ou pour reconstruire après un échec.

« Quand on a annoncé la fin de La Grenouille, on a reçu un soutien énorme. François-Régis Gaudry, notre parrain, m’a appelé deux secondes après mon mail pour me demander : “Ça va ? Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?” Il a même pris l’une de nos alternantes dans son équipe par la suite. Ce genre de gestes te porte, même dans les pires moments. » – Nathanaël Simon
« Notre équipe et nos ami·es ont aussi été incroyables. Après la fermeture, ils·elles ont organisé une soirée d’adieu. Ils·elles avaient peint un mur entier avec les couvertures de nos revues. On ne l’a pas vécu seul·es, et c’était profondément réconfortant. » – Louise Katz
Pour aller plus loin
- La Grenouille à Grande Bouche était structurée en coopérative, et plus précisément en SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif). Ce modèle d’entreprise met en avant une gouvernance collective et démocratique, où différents types de membres (salarié·es, bénévoles, usager·ères, partenaires publics/privés) peuvent participer au capital et aux décisions stratégiques. Dans le secteur des médias, d’autres entreprises ont opté pour une forme voisine : les SCOP (Sociétés Coopératives et Participatives), où ce sont les salarié·es qui détiennent la majorité du capital (au moins 51 %) et participent activement à la prise de décision. En France, Alternatives Économiques, Rue89 Lyon, Le Crestois ou encore Fracas ont adopté ce modèle. Que permet-il ?
- Des démarches juridiques à la comptabilité, en passant par l’élaboration du plan d'affaires (business plan), Augustin Naepels, directeur général des Jours, détaille les étapes incontournables pour lancer son média, en mettant l’accent sur la gestion.
- Quels sont les critères d'attribution des aides à la presse ? Quelles sont les subventions publiques que vous pouvez solliciter pour votre projet média ? Réponses dans cette fiche pratique.
- Clubs des lecteur·ices, sociétés des ami·es… Il existe plusieurs manières de réunir ses lecteurs·ices et de les faire participer à la construction de son média.
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