Offrir des articles : faire découvrir son média grâce à ses abonné·es

Arrêt sur images, Les Jours, Mediapart… de plus en plus de médias proposent à leurs abonné·es d’offrir des articles à leurs proches. Focus sur une stratégie marketing qui permet de faire découvrir ses contenus et de transformer ses abonné·es en ambassadeur·ices, au-delà des algorithmes.

Agathe Kupfer
Agathe Kupfer

Vous avez sûrement toutes et tous déjà reçu ou envoyé ce message : « Quelqu’un a accès à cet article ? » Vous espérez qu’une personne possédant un abonnement pourra vous transmettre un lien pour le lire. Plus que dépanner des ami·es de temps à autre, offrir des articles est un avantage proposé par certains médias sur abonnement, peu importe le type de paywall. Pour les médias qui ont fait le choix d’un hard paywall, cette fonctionnalité peut être un enjeu important de leur découvrabilité. Mise en place et gérée par les médias eux-mêmes, cette stratégie ne dépend pas de la communication par les réseaux sociaux, et ne souffre donc pas (ou moins) de la chute de trafic en provenance de ces derniers. Les abonné·es deviennent alors leur meilleur relais. L’article partagé peut faire suite à la demande d’un·e curieux·se mais aussi à la volonté d’un·e abonné·e de partager un article qui lui a particulièrement plu.

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Différents types de paywall, quelques définitions

- Paywall : méthode employée sur un site web pour limiter ou bloquer l’accès à son contenu pour les non-abonné·es.
- Hard paywall : stratégie la plus stricte qui bloque tout le contenu
- Metered paywall : les lecteur·ices ont accès un certain nombre d’articles avant d’être bloqué·es.
- Freemium paywall : le site propose des articles disponibles gratuitement et d’autres réservés aux abonné·es.
- Paywall dynamique : il s’adapte au profil de chaque lecteur·ice (engagement, localisation…) et restreint plus ou moins son accès en fonction.

Les modalités pour offrir des articles de médias sont parfois différentes. Certains, comme le New York Times proposent à leurs abonné·es dix articles à envoyer par mois. Pour d’autres, pas de limite de partage pour l’abonné·e comme pour le destinataire. C’est ce que propose Mediapart depuis 2009. Le mode de distribution de l’article varie lui aussi d’un média à l’autre. Il peut être accessible via un lien que l’on peut envoyer directement dans le cas du New York Times ou alors il est reçu par mail pour ceux de Mediapart. L’envoi par mail permet notamment « d’avoir plus de contrôle sur la manière dont les contenus circulent pour éviter les captures d’écran et les PDF », explique Sophie Roncetto, responsable marketing et communication à Arrêt sur images qui propose la même fonctionnalité tout en limitant l’envoi à un article par semaine. 

Capture d’écran d'écran de la fonctionnalité « offrir un article » du New York Times

Une fonctionnalité appréciée et utilisée 

La possibilité pour les abonné·es d’offrir des articles est un argument marketing que les médias n'hésitent pas à mettre en avant. « On utilise cet argumentaire dans notre communication sur les avantages de l’abonnement, on montre aux abonné·es qu’on les écoute et qu'ils et elles ont un “pouvoir” sur ce qui est mis en accès gratuit », explique Sophie Roncetto. Selon elle, la fonctionnalité est particulièrement appréciée des abonné·es les plus fidèles d’Arrêt sur images. Cet avantage plaît aussi à la communauté de Mediapart. Clara Cerdan, responsable du pôle CRM (gestion de la relation client) affirme que « parmi nos abonné·es actifs à ce jour, 50% a déjà utilisé au moins une fois cette fonctionnalité, et en 2023, 60 000 articles ont été offerts par mois en moyenne ».

Capture d’écran de la fonctionnalité « offrir un article » de Mediapart

Si cette fonctionnalité est un avantage pour les abonné·es, elle permet aussi aux médias sur abonnement de faire connaître leurs contenus. La question de leur accessibilité pour les non-abonné·es se pose. « On cherche toujours à combiner à la fois un paywall assez strict pour que les gens s’abonnent et nous lisent et ce qu’on appelle au sens large la découvrabilité de nos contenus, d’autant qu’elle chute beaucoup ces dernières années via les réseaux sociaux », estime Augustin Naepels, directeur financier et cofondateur du site Les Jours. 

« Pour avoir envie de s’abonner, il faut être familier avec le média »

Les algorithmes des réseaux sociaux et leurs évolutions ne permettent pas à certains médias de présenter leurs contenus au plus grand nombre. Bien que suivis sur les plateformes, notamment par des non-abonné·es, les articles qu’ils partagent ne sont pas toujours vus par leur communauté. Un problème qui n’encourage par l’abonnement puisque « pour avoir envie de s’abonner, il faut être familier avec le média et l’avoir découvert », affirme Augustin Naepels. 

Les dirigeants des différentes plateformes américaines ont fait savoir ces derniers mois, plus ou moins explicitement, qu’ils n’avaient plus d’intérêt à mettre en avant les médias d’information sur leurs réseaux. Le trafic généré par les médias via les réseaux sociaux chute, selon une étude publiée en octobre par Similarweb, une entreprise américaine qui exploite et analyse des données.

Partager des articles gratuitement semble être une solution pour se faire connaître sans dépendre des grandes plateformes. Dans un questionnaire envoyé aux nouvelles personnes abonnées suite à leur souscription, « elles sont 12% à déclarer que c’est la réception d’un article offert – entre autres, plusieurs facteurs peuvent être cochés – qui leur a donné envie de s’abonner », explique Clara Cerdan pour Mediapart. Constat similaire du côté d'Arrêt sur images. Lors de leur précédente campagne de dons « beaucoup de donateur·ices nous ont expliqué faire un don afin que l'on puisse proposer des contenus gratuits car ils et elles nous avaient découverts grâce à cela (toutes les semaines, le média met en accès gratuit deux articles sur son site NDLR) », ajoute Sophie Roncetto.

« Un article offert est gage d’une lecture de qualité »

Au-delà de permettre à des non-abonné·es de lire des contenus, cette fonctionnalité leur permet d’avoir accès à ce que le média fait de mieux selon celles et ceux qui paient chaque mois pour accéder à son contenu. « Un article offert est gage d’une lecture de qualité et a plus de chance d’être lu sous un angle positif, car on fait confiance à nos proches pour connaître nos goûts et nos centres d’intérêts », explique Clara Cerdan, à Mediapart. « Si l’idée est de pouvoir en débattre ensuite, on s’engage à lire l’article pour faire des retours au proche qui nous l’a transmis », estime-t-elle. Ce constat se vérifie par les chiffres : « La moitié des 60 000 articles offerts par mois sont cliqués, et les visites depuis ce type de mail sont de bien meilleure qualité, en termes de temps passé et de pages vues, que d’autres sources de visite », ajoute-t-elle.

Le lien entre ces médias et les abonné·es s’en trouve aussi renforcé puisque ces dernier·es se sentent mis·es à contribution. « Pendant un moment, les abonné·es ne voyaient plus l’icône “offrir un article” sur les pages de nos articles et plusieurs nous ont écrit des mails en panique », se souvient Sophie Roncetto qui estime que l’option est appréciée même si Arrêt sur images n’a, pour le moment, pas de données exhaustives à ce sujet. 

Sonder sa communauté 

Depuis 2018, le média indépendant spécialisé dans la critique média a mis en place une stratégie complémentaire pour permettre aux non-abonné·es de découvrir leurs contenus. Les « jeudis gratuits » consistent à proposer aux abonné·es de voter chaque semaine pour leurs articles préférés. Les deux qui auront reçu le plus de votes seront ensuite disponibles en ligne gratuitement et à vie. Aujourd’hui, environ 20 000 articles sont disponibles en accès libre sur le site. Une stratégie similaire a été établie par Les Jours depuis le mois d’août. Chaque semaine, sur ses réseaux sociaux, le média propose à sa communauté (qui comprend des abonné·es mais pas seulement) de voter pour un papier qui sera envoyé dans son intégralité à des non-abonné·es. Pour recevoir l’article, il suffit d’être abonné·e à la newsletter « découverte » du média, une newsletter gratuite pensée pour présenter le travail réalisé par Les Jours

Capture d’écran de la newsletter découverte des Jours

Ces stratégies sont des tests et des pistes de réflexion pour Les Jours et Arrêt sur images qui cherchent à allier accessibilité des contenus sans décourager l’abonnement. « On va sans doute faire évoluer la newsletter “découverte” pour offrir une porte d’entrée aux Jours assez éditorialisée qui donne envie de nous lire, toujours dans l’idée de donner à voir ce qu’on sait faire à des gens qui ne nous connaissent pas  », explique Augustin Naepels (les cofondateur·ices des Jours ont annoncé leur nouvelle newsletter début février NDLR).

Du côté d’Arrêt sur images, « pas mal d’abonné·es aimeraient que le média passe en tout gratuit, c’est une réflexion qu’on a en interne, mais pour l’instant on a pas encore sauté le pas car cela nous semble risqué », explique Sophie Roncetto qui estime que les options pour offrir des articles sont un bon compromis. « Il n’y a pas de recette miracle sur ce genre de dispositif, tout le monde tâtonne, essaye, admet Augustin Naepels, l’article gratuit n’est pas la seule modalité pour cela et je ne sais pas si c’est la meilleure mais nous on teste autant que possible. »

Pour aller plus loin

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Médianes, le studio, accompagne l’équipe d’Arrêt sur images depuis 2022 sur sa stratégie marketing, et a débuté, en février 2024, une mission de design (newsletter) avec l’équipe des Jours.

Cet article a été édité le 19 février pour mettre à jour l'autrice d'une citation.

Agathe Kupfer Twitter

Agathe Kupfer est journaliste indépendante. Pour Médianes, elle analyse les stratégies marketing et éditoriale des médias.