Bilan et vœux pour l’année 2024
Touchée, mais pas coulée, la presse navigue en eaux troubles. Malgré les défis qui s’imposent, elle persévère dans une période qui constitue l’occasion de réaffirmer ses principes. En cette fin d’année, nous tenions donc à mettre en valeur les enjeux sur lesquels il nous tient à cœur d'agir.
2023 a été une année de grands défis pour la presse et ses acteur·ices. Tour à tour, divers épisodes plus ou moins médiatisés ont menacé sa liberté, mis à mal son indépendance et fragilisé les conditions de travail des journalistes. Vieille disquette, direz-vous ? 2023 n’a-t-elle finalement pas été une année comme les autres ? On pourrait difficilement vous affirmer le contraire. Mais les récents événements nous laissent entendre que ces derniers mois ont constitué une bascule. Les violents conflits à travers le monde, l’essor de l’intelligence artificielle, les conditions économiques difficiles ainsi que la mainmise de milliardaires peu scrupuleux sur les médias ont contraint des rédactions à réagir, s’adapter, et défendre leurs principes. Le tableau dépeint ici semble morose, mais de ces défis sont nés des sursauts et des prises de conscience qui ont traversé les rangs de la presse, mais également, et surtout, nos publics. Certes, d’autres défis planent à l’horizon. Les textes effritant la sécurité des journalistes et leurs sources ont pointé le bout de leur nez. La locomotive Bolloré ne donne aucun signe de ralentissement, laissant sur son passage des retombées de suie nauséabondes. Nous nous inquiétons également de la généralisation de discours de haine, qui s’invitent sur les plateaux et dans les journaux, finissant par percoler dans la société.
Mais ces menaces ne peuvent nous anonchalir, au contraire. Profitons justement des bourrasques pour avancer car, à l’horizon, se dessinent des raisons d’espérer. 2023 aura été l’année qui a vu naître l’AJAR, l’Association des journalistes antiracistes et racisé·es. Elle aura été l’année de la mobilisation historique de la rédaction du JDD, opposée aux lubies d’un milliardaire. Cette année, la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique fête son premier anniversaire, comptant aujourd’hui 2000 journalistes et médias signataires. Ces derniers mois, des États Généraux en tout genre ont foisonné, comme ceux initiés par le Fonds pour une Presse Libre ou par l’Élysée, constituant une démarche salutaire malgré des méthodes et ambitions plus ou moins prometteuses. Notons également le cas d’Olivier Dubois, journaliste enlevé au Sahel et libéré cette année au bout de 711 jours de détention. Oui, l’année 2023 a également été l’année des succès et des réjouissances.
La période passée et à venir constitue donc une opportunité pour la presse de se mobiliser, de réaffirmer les valeurs qui nous animent et de renforcer les garde-fous qui se dressent face à nos défis communs. En somme, défendre ce qui définit une presse libre et indépendante à laquelle nous sommes fermement attaché·es.
Réjouissons-nous de la grande diversité de médias qui ne cessent de se développer, tant dans leurs approches éditoriales que dans leurs modèles économiques. Au cours de l’année qui vient, nous espérons pouvoir, à notre échelle, favoriser cette diversité et accompagner ses acteurs et ses actrices. Pour ce faire, nous avons identifié une série de volets sur lesquels nous voulons travailler, avec tous et toutes, dans les mois à venir.
Poursuivre le travail entamé sur une meilleure couverture de l’urgence climatique
Durant l’année, La Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique a continué de recevoir des signatures et a encouragé l’élaboration de projets éditoriaux visant à répondre à ces impératifs. En 2023, d’autres initiatives, comme Itinéraire.bis sur les voyages, ont vu le jour et des rédactions comme The Guardian ont évalué leur impact sur l’environnement en vue de le réduire.
Promouvoir la diversité et l’inclusivité
L’entre-soi est un vice dont la presse peine à se défaire. Selon un sondage du SNJ-CGT, 44% des journalistes interrogé·es affirment avoir fait l’objet de discriminations liées à leur sexe, genre, origine, religion ou encore à leur âge. Les politiques de diversité employées dans les grands médias peinent à se montrer réellement efficaces et se cantonnent trop souvent à des contrats courts et précaires. Il faut le reconnaître, sur ce sujet, la presse indépendante est loin de faire office d’exemple parfait. Heureusement, des structures existent pour accompagner et conseiller, telles que l’AJAR, Prenons la Une ou l’AJL.
Défendre une meilleure protection des journalistes et de leurs sources
Cette année, le traitement du travail d’Ariane Lavrilleux sur les armes françaises en Égypte a été la preuve que la protection des journalistes et de leurs sources n’est pas acquise. Récemment, le European Media Freedom Act a fait son chemin dans les institutions européennes malgré des signaux alarmants et dont les clauses, aux versants liberticides, auraient pu faciliter la surveillance des journalistes et de leurs sources. Nous nous alarmons de ces dérives et espérons que les États Généraux pourront contribuer à renforcer nos garde-corps.
Appliquer un management sain
Nous lisons trop souvent les témoignages de journalistes lessivé·es par leurs conditions de travail, confronté·es à des contrats précaires, voire illégaux, ou victimes de harcèlement et de discrimination dans leurs lieux de travail. La presse indépendante et engagée est, encore une fois, loin d’être exempte des vices qu’elle entend souvent dénoncer, elle-même victime d’un certain « syndrome du patron de gauche ». Construire une entreprise de presse est loin d’être une mince affaire. Toutefois, cette réalité ne peut faire office de prétexte, et ce, malgré toute la passion et la volonté de réussir. L’instauration de bonnes conditions de travail est toute aussi importante que sa viabilité économique et la qualité de son offre éditoriale. Un environnement de travail sain constitue un socle essentiel sans lequel un projet s’effondrera. Il fera également la différence dans les instants décisifs. Dans l’année à venir, nous voulons poursuivre le travail entamé sur le sujet et interroger davantage de rédactions sur leurs pratiques comme nous avons pu le faire précédemment avec Mediapart ou Contexte.
Plus de transparence et d’indépendance
Le public y est sensible et nous le constatons à chaque fois qu’il est appelé à apporter son soutien au gré des campagnes de financement. Nous le voyons aussi lors des festivals, des rencontres et des conférences. C’est pour cette raison que nous recommandons, même si cela n’est pas toujours aisé, de lever le voile sur les sujets internes et de faire preuve de transparence à l’égard d’un public qui ne demande qu’une chose : en être. Nous voulons également permettre à celles et ceux qui n’ont pas pu rentrer dans les schémas traditionnels de construire leur propre projet éditorial, doté d’un modèle économique solide et indépendant afin que d’autres histoires puissent voir la lumière.
Les chantiers sont nombreux, et les douze mois de 2024 ne pourront suffire à y répondre. D’autres défis surviendront et nous nous retrouverons probablement, à la fin de l’année, avec de nouveaux vœux et de nouvelles envies. Il faut bien se rendre à l’évidence, dans les thématiques énumérées plus tôt, certaines nous dépassent et concernent la société dans son ensemble. Nous pouvons toutefois apporter notre pierre à l’édifice. Pour ce faire, continuons de mutualiser nos efforts, partager nos pratiques, nos ressources et nos méthodes car nous avons tant à apprendre les un·es des autres.
Meilleurs vœux.
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