Photo d'un éléveur réalisée dans le cadre du reportage, prise dans la commune de Soual à environ 10 kilomètres de Castres - Crédits : Frédéric Scheiber 2023

Financer son reportage : l’exemple de Mediacités

Ne pouvant compter uniquement sur les abonnements pour financer un reportage photo onéreux sur l'autoroute A69, Mediacités propose à ses lecteur·ices de participer à sa réalisation grâce à leurs dons. Une initiative nouvelle pour le média, riche en enseignements malgré un résultat modeste.

Owen Huchon
Owen Huchon

Depuis septembre, l'équipe de Mediacités Toulouse a élu domicile dans un local du nord de la ville, réinvesti par diverses entreprises et associations, allant du réparateur de vélo au collectif de journalistes. « En fait, c’est une ancienne cornichonnerie, précise Gael Cérez, le rédacteur en chef, s’installant dans l’un des canapés du bureau, c’est sympa et puis le loyer n'est pas très cher ». Sur l’un des murs, une grande carte de la ville et de sa proche banlieue. Bientôt, peut-être, faudra t-il y ajouter l’A69. Le projet d’autoroute, né au début des années 2000, constitue un sujet central pour le média.

Gael Cérez, rédacteur en chef de Mediacités Toulouse, installé dans son bureau au nord de la ville - Crédits : Owen Huchon

« C’est un sujet que l’on suit depuis que Mediacités existe, assure Gael Cérez. Il y a eu un certain intérêt de la presse nationale pour le sujet d’un coup, après Sainte-Soline. Alors on a essayé de trouver un angle différent, en regardant ce que l’A69 va faire disparaître ». Alors que germe l’idée de réaliser un reportage photo sur le sujet, la question du financement s’impose rapidement. Budget estimé : environ 3000 euros pour un premier volet, 5000 euros pour un travail complet. Un investissement significatif pour le média, dont le budget mensuel pour ses piges ne s'élève qu’à 1500 euros brut, mais qui permettra de rémunérer trois journalistes, dont deux photographes, mobilisé·es sur plusieurs semaines. Afin de concrétiser le projet, Gael Cérez imagine et propose une campagne de dons, dont le premier palier, fixé à 1500 euros, permettrait la publication en accès libre d’une première série de photos. L’opération, lancée depuis fin juin et dont la date de clôture n’est pas encore fixée, a permis de récolter un peu moins de 3000 euros. Le 10 juillet, une première série d'une dizaine de photos est publiée sur le site internet de Mediacités, accessible gratuitement en échange d’une adresse mail.

Capture d'écran de la page de dons de Mediacités sur son site internet

Frédéric Scheiber, photographe indépendant, est l'un des journalistes ayant participé à la production de ce reportage. Ayant précédemment travaillé pour plusieurs médias dont l'AFP dans la région, le projet d'autoroute est un sujet qu'il a déjà eu l'occasion de traiter et qu'il connaît.

Favorable à la campagne de dons en cours, il espère qu'elle pourra aider à montrer les difficultés auxquelles la presse se retrouve confrontée et les coûts qu’engendre ce travail : « On voit tout gratuitement, on lit et on scrolle (...) Je me dis que c'est bien parce que ça permet de financer le journalisme, mais c'est aussi un peu triste d'en arriver là ».

Un numéro d'équilibriste

Initialement, la campagne affichait un objectif final de 10 000 euros. « Rétrospectivement, c’était un peu trop ambitieux » admet Gael Cérez d’un rire nerveux, qui ne conteste en tout cas pas l’aspect expérimental de cette opération : « C’était un ballon d’essai pour nous ». Le média a dû jongler avec d’autres campagnes de dons, conclues ou à venir. En 2022, à la recherche de nouveaux·elles abonné·es, le média menait une campagne accompagnée du hashtag #JeSauveMediacités. À l’origine de plusieurs enquêtes, Mediacités doit également se tourner vers ses soutiens lorsque le site se retrouve confronté à des procès en diffamation, comme ce fut par exemple le cas du côté de Lyon. « On va lancer une autre campagne en septembre, rappelle Gael Cérez, on va essayer d'atteindre la même cible et il faut laisser les gens respirer un peu ».

Mediacités, dont le financement repose principalement sur des abonnements couplés à des dons, s’interroge en tout cas sur les limites de ce modèle économique. « C’est une remarque qui a été faite par les membres de notre Société des ami·es : si on est déjà abonné·es, pourquoi payer encore ? (...) Il y a sûrement une limite, mais on ne sait pas encore où elle se situe » explique le rédacteur en chef, précisant qu’il était important de présenter le projet comme un produit à part. Car ce type de démarche, surtout si elle vient à se répéter, peut avoir l’inconvénient de donner l’image d’un média incomplet, dont les articles seraient disponibles à la carte, ce que Mediacités préfèrerait justement éviter. « Ce projet là on l’a vraiment conçu et présenté comme un projet annexe à notre offre », précise-t-il, assurant que les sociétaires et les abonné·es continuent de participer à leurs campagnes, dont le reportage photo sur l’A69, malgré leurs investissements passés.

Le média s’est également retrouvé confronté à des défis techniques et administratifs, comme des difficultés d'accès à l’espace de donation pour les lecteur·ices non-abonné·es et une transition au sein de l’équipe marketing qui a pu quelque peu ralentir la campagne. « On sait qu’une campagne de dons, faut la marteler tous les jours, mais là, on était clairement pas dans cette optique » conclut Gael Cérez.

Des enseignements

« Sur les dons, on n’a pas encore fait le point mais on n’arrive pas d’emblée à 3000 euros, ni à 5000, admet-il, mais ce n’est qu’un semi-échec ou une semi-réussite, c’est plein d’enseignements (...) si on avait fait moins de 1500 euros ça aurait été vraiment décevant ». Cet engouement timide peut s'expliquer selon lui par une opération de communication modeste, menée à moindre coût. Mis à part la participation à une soirée à Toulouse aux côtés d’Extinction Rebellion dans le cadre de la promotion de la campagne, l’équipe a envoyé quelques mails à ses abonné·es, posté des messages sur les réseaux sociaux et transmis un communiqué de presse. 

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Mais de son propre aveu, le choix de la photo comme support peut également expliquer un début de campagne lent, « Ça se ressent dans les audiences de l’article. Nos lecteur·ices ne sont pas attaché·es à ça. Mais ça n’empêche pas qu’il fallait le faire » admet-il. Pour l’instant, l’organisation d’une démarche similaire à l’avenir reste encore en suspens et nécessiterait quelques ajustements :  « C’est pas non plus rayé de la carte, mais si c’était à refaire on ferait un truc plus musclé ». 

« Moi j'aimerais bien continuer, assure de son côté Frédéric Scheiber, parce que c'est un bon sujet et que les témoignages sont intéressants ». Il l’assure, un reportage de ce genre financé par les lecteur·ices, au plus proche du terrain, est certes cher pour les médias indépendants mais permet de renforcer le lien avec le public. Un nouvel appel aux dons dépendra également de l’évolution de leur nombre d'abonné·es. À ce jour, Mediacités est encore en dessous de son objectif, fixé à 8000 abonné·es. 

NDRL : Lors de la réalisation des interviews, Mediacités avait rassemblé 1810 euros au total. À la publication de cet article, le montant récolté s’élève à 2870 euros.


Pour aller plus loin

Cet article est le premier d'une série sur le financement participatif. En attendant la publication de nouveaux articles et de fiches pratiques sur le sujet, vous pouvez consulter

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Owen Huchon Twitter

Owen Huchon est journaliste chez Médianes. Il est en charge de la communauté.