Mais que fait la police ?

Quelles questions se poser pour choisir ses polices ? Sous forme de guide pratique, trois grands axes peuvent vous guider parmi le foisonnement d'offres de polices.

Christelle Perrin
Christelle Perrin

En lançant un projet, lui créer une identité visuelle est une priorité qui inclut généralement la recherche de polices. Il n’y a pas de recette unique pour les choisir, chaque projet ayant ses spécificités, et il est très utile d'être épaulé par un ou une graphiste. Cela dit, voici quelques notions pour vous aider à mettre le pied à l'étrier. Et au fait, qu'est-ce que la typographie ?

1. Adapter la police à l’esprit du projet

Les typographies sont dessinées par des individus, c’est un processus long et méticuleux qui a des objectifs clairs : créer une police universelle ou à l'inverse inhabituelle, réconfortante ou dérangeante, amicale ou agressive, dynamique ou calme… ces impulsions infusent dans le tracé des caractères, qui, ensemble, forment un esprit, une ambiance.

Ainsi, il est important de savoir quelles sont les valeurs de votre projet et dans quel univers vous souhaitez l’inscrire, pour adapter au mieux la police.

Dans les grandes lignes, on peut admettre que des polices à empattement (serif) s’orienteraient vers la littérature, la tradition, la qualité voire le luxe. Les polices sans empattement (sans-serif) seraient plus modernes, plus dynamiques, plus familières et accueillantes. Les polices monospace rappeleraient les machines à écrire. Passées en couleurs vives, (la couleur va aussi avoir son rôle, on pourra y revenir) ces dernières évoqueraient un univers numérique performant voire mystérieux. Quant aux cursives et à plus forte raison les manuscrites, elles traduiraient l’authenticité du tracé manuel, la proximité. Tout cela au conditionnel, car vous et moi pourrions trouver des myriades de contre-exemples — je vous sers ici d'épaisses généralités. Pour aller plus loin, j'ai préparé un glossaire illustré de ces termes techniques.

On pourra difficilement tout exprimer par une typo, mais sa cohérence avec le projet est un excellent début. On peut également équilibrer en choisissant une seconde police — on en utilisera souvent deux, voire trois, pour différents usages (titres, textes, annexes). Gardons enfin à l’esprit que les textes n’évoluent pas seuls : la direction artistique comprend les couleurs, les formes, les photos, les illustrations, la composition qui les accueilleront, et qui, unis, formeront l'identité visuelle du projet.

Des exemples

Pour La Disparition, un média épistolaire chroniquant avec un œil engagé les disparitions ayant cours dans le monde, nous cherchions des polices se raccrochant à l’esprit des polices de machine à écrire, tout en étant plus contemporaines et plus affirmées. J'ai choisi trois polices : la monospace Space Mono pour les corps de texte, la Sprat pour les titres — une serif anguleuse, combative, avec du piquant. Le logo, quant à lui, est construit avec l’Outward, une police très architecturale, pouvant composer un bloc solide et créer un effet tampon.

Photo présentant les lettres du média La Dispartion, où on voit l'ensemble des polices évoquées dans le corps de l'article.
Les lettres de La Disparition

Avec Ville Hybride, média mettant en perspective les villes en train de s’inventer, j'ai choisi un duo de polices sans serif. La principale est un brin industriel et vulnérable par la finesse de certains traits. Elle est complétée d’un H architectural rappelant le mélange des influences.

Logo du média Ville Hybride en noir sur fond blanc, où on voit les polices décrites dans le texte.

S’affranchir et créer de nouveaux codes

Il est possible de prendre le contrepied, en choisissant une police allant à l’encontre des codes et habitudes du milieu pour se différencier. Par exemple, si les polices monospace (héritées de la machine à écrire) sont généralement vues comme ayant trait à des univers technologiques, de programmation informatique, on a vu récemment des acteur·ices de la tech utiliser des fontes historiquement attachés au domaine littéraire.

C’est dans cette veine que j’ai défendu l’utilisation d’une police de titrage avec empattements, la Redaction, pour la nouvelle direction artistique de Datylon, outil de création de graphiques.

Graphique morphé avec, dessus, un texte en typo serif, l'ensemble en bleu éléctrique.

L’enjeu du livre du Ticket, consacré à un domaine marketing pointu, était de proposer une identité accueillante, qui donne envie de lire, et dont le sérieux indique un contenu profond et argumenté. J’ai proposé un mélange d’une linéale géométrique et ronde avec la DM Sans, et d’une police à empattement structurée avec l’IBM Plex Serif. Nous avons souhaité sortir des imaginaires très tech généralement associés à ce type de production.

Le livre Roadbook, édité par Le Ticket, publié en 2023.

2. Adaptater la police à l'usage

Lisibilité

La lisibilité va dépendre certes du choix de la police, mais aussi d’autres éléments — interlignage, justification, contraste, etc.

Avec les évolutions des définitions d'écran, il n'est plus aussi vrai que les polices serif sont moins lisibles sur écran. On peut faire des tests imprimés pour les textes ayant vocation a être lus sur papier, et faire des tests sur différents types d’écran (taille et résolution) pour les contenus devant être lus sur écran : une même fonte ne rendra pas de manière tout à fait identique sur écran et sur papier.

Police de titre, police de paragraphe

Certaines polices sont formidables en grande taille, pour des textes courts (les fameuses Display qu’on croise parfois) mais bien moins performantes pour des paragraphes longs, en petite taille — et à l’inverse, des polices qui sont agréables et lisibles pour les paragraphes de textes peuvent se révéler ennuyeuses au mieux en grande taille sur des titres (on voit parfois des variantes labellisées Text à cet usage). De manière générale, les polices pour les textes longs et petits sont moins contrastées, moins caractérielles que leurs cousines de titrages qui peuvent se permettre davantage de flamboyance.

3. Adaptater la police aux besoins matériels

Licence, coût, exhaustivité

Il est primordial, avant de s’engager avec une ou plusieurs polices, de s’assurer qu’elles pourront bien répondre aux besoins sur le long terme, qu’elle soit payante ou non. Notamment : a-t-elle tous les niveaux de graisses nécessaires ? A-t-elle des caractères italiques ? A-t-elle certains caractères spéciaux ou alphabets utiles ? Est-elle compatible avec l’outil sur lequel on travaille ?

Si la police est payante : quel est son coût ? La licence est généralement payée une seule fois, et va dépendre du nombre d’ordinateurs sur lesquels il faut l’installer, des pages vues sur un site internet, etc. Il vaut mieux bien lire les détails indiqués sur les sites des fonderies — qui expriment d’ailleurs souvent leurs pris hors taxe — pour éviter les déconvenues.

Spécificités de la newsletter

Le mail est un vieil outil qui n’a que peu évolué techniquement depuis son lancement, et chaque client mail (Gmail, Spark, Yahoo, Apple Mail, Outlook…) a ses règles propres en matière de chargement de polices spéciales. Une police spéciale peut s’afficher chez une personne et pas une autre. Ainsi, de manière générale, pour s’assurer que rien ne bouge dans tous les services de mail, qu’on soit sous MacOS, Linux, ou Windows, sur mobile ou ordinateur, mieux vaut se cantonner aux polices système, qui sont globalement les suivantes : Arial, Times New Roman, Georgia, Courier New, Verdana, Tahoma, Trebuchet MS, Impact.

4. Où chercher des polices ?

Oublions les sites génériques comme DaFont qui, s'ils possèdent quelques bonnes références, proposent surtout des polices incomplètes et bancales. Les agrégateurs les plus connus et commodes sont :

  • Google fonts : gratuit et libre. Des polices souvent très courantes et peu identitaires.
  • Adobe fonts : inclus dans les abonnements payants à Adobe. Des polices plus rares, quelques bijoux et beaucoup de choses très chaotiques.

Il existe des fonderies indépendantes ou agrégateurs de polices gratuites, voire libres. Certaines polices peuvent être retrouvées dans différentes collections. Les polices libres et gratuites sont généralement offertes par des typographes ou fonderies ou commandées et rendues gratuites par des organismes culturels. Attention, les options de graisse et d'italiques sont souvent limitées.

  • Collletttivo : polices libres.
  • Design-research.be/by-womxn/ : collection de fontes dessinées exclusivement par des femmes.
  • Use and modify : polices qui peuvent toutes être librement modifiées.
  • Velvetyne : fonderie française proposant des polices au caractère souvent bien trempé.
  • Typotheque genderfluid : centralise des typographies inclusives (= comporte des ligatures, des caractères fusionnés, qui permettent de fusionner les accords masculins et féminins sans utilisation du point médian).
  • Noir Blanc Rouge : dans cette fonderie, une sélection est mise à disposition librement.
  • Hanken : ici aussi, une partie des travaux est gratuite.
  • Typographie francaise : fontes à l’unité et répertoire de la scène typographique française. Voir notamment Ressources en libre accès, qui récapitule de nombreuses polices en libre accès, en bas de page. (NB : parfois les hyperliens ne marchent pas, mais les ressources sont toujours accessibles via un petit moteur de recherche).
  • Future fonts : polices en cours d’élaboration ou nouvellement terminées, généralement à un coût bas ou nul.
  • Lucas Descroix ou Florian Karsten par exemple : il est possible d’aller chercher le travail d’un ou une typographe en particulier.
  • Ça peut aussi valoir le coup d’aller regarder du côté des écoles de typographie, comme en Suisse l'Écal ou en France L'Atenier national de recherche typographique de Nancy

Quelques fonderies payantes parmi mes préférées : ohnotype | vj-type | blazetype | goodtypefoundry | thedesignersfoundry | tightype | colophon-foundry | sharptype | 205.tf | intervaltype | black-foundry

NB : des versions d’essai de polices payantes sont souvent disponibles pour vérifier que la police fonctionne bien dans son projet. Toutefois, ce sont des versions limitées n’embarquant généralement pas d’accents ou de caractères spéciaux. L’usage de polices d’essai est limité précisément aux essais, et les visuels produits avec ne doivent pas être publiés sans avoir acheté la licence.

Re-NB : des travaux de certaines de ces fonderies peuvent être retrouvés sur Google fonts ou Adobe fonts.

Il est aussi possible de demander un travail de lettrage ou de typographie sur mesure à des typographes. Je vous invite à vous rapprocher d'elles et eux pour en savoir plus.

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Christelle Perrin Twitter

Christelle est la directrice artistique associée de Médianes. Elle est charge de la direction artistique des projets accompagnés, et de Médianes.