« Ne cherchez pas un modèle économique, cherchez une première vente »

Léry Jicquel est le fondateur du Concentré Vélo, une newsletter sur l’actualité de la culture cyclable. Il nous décrit les différents leviers de financement de sa newsletter, de la sponsorisation au job board en passant par un catalogue de Noël. Au cœur de sa stratégie ? Une vision « produit ».

Marine Slavitch
Marine Slavitch
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Ce qu'il faut retenir : en partant des problèmes de vos lecteur·ices et en leur proposant, via votre média, des solutions adaptées, vous rendez un service concret. Vous pouvez de fait monétiser ces produits éditoriaux, directement ou indirectement, et vous rendre indispensable. La clé ? Tester, tester, tester en prenant en compte les usages de votre communauté. 

Bonjour Léry, pouvez-vous nous raconter le lancement de votre newsletter ?

Comme beaucoup de jeunes médias, tout a commencé pendant le Covid. Avant, j’écrivais des articles chaque semaine sur mon blog Velook avec pour seul objectif d’aider les gens à trouver un vélo d’occasion. J’avais tout le temps quelque chose à partager, je n’ai jamais expérimenté le syndrome de la page blanche. À cette époque, il y avait un site qui s’appelait Actuvélo qui formait une sorte de veille sur le thème du vélo. Certains serveurs d’OVH ont brûlé il y a deux ans et de nombreux sites, dont celui-ci, ont disparu. Il n’a jamais été ressuscité et je trouvais cela dommage.

Dans le même temps, je me suis beaucoup investi au sein de la communauté No-Code France qui compte aujourd’hui plus de 8000 membres [NDLR : le No Code permet de créer des solutions numériques sans avoir à renseigner de lignes de code]. Je voyais passer énormément d’outils comme Substack et Revue qui permettent de lancer une newsletter très rapidement sans avoir à réfléchir au design, aux couleurs et à la manière de disposer les informations. En bref, tu écris et tu lances. C’était une époque où j’expérimentais tous les mois quelque chose sur le vélo. Comme je consomme énormément d’actualités liées à ce secteur, je me suis dit que j’allais en faire une revue de presse.

L’objectif a-t-il toujours été de la monétiser ?

Absolument pas. À l’origine, je suis Product Manager. Dans mon activité professionnelle, je m’attache à résoudre des problèmes pour mes clients. Et je suis tellement focalisé là-dessus que le reste du temps, j’adore « faire pour faire ». J’ai donc lancé cette newsletter avec une base de 200 contacts en adoptant l’approche produit dont je suis familier [NDLR : apporter une solution à un problème, via un produit éditorial]. J'ai donc demandé à mes abonné·es de me livrer leurs retours et analysé mes chiffres pour améliorer mon produit, la newsletter. Au fil du temps et à force de faire, je me suis rendu compte que ce que je faisais dans le Product Management avait tout à fait sa place dans le cadre de la création d’un média avec un modèle économique.

Un extrait de l'édition 76 du Concentré Vélo - 15/12/2022

Il y a une vraie demande sur le sujet que vous traitez. Pourquoi conserver la gratuité du Concentré Vélo ?

Aujourd’hui, Le Concentré Vélo compte 3900 abonné·es avec un taux d’ouverture de 60%. Ce dernier indicateur est le seul qui compte. Si je rendais ma newsletter payante, qui continuerait à la lire ? Peut-être 5% de mes lecteurs et lectrices. En bref, cela ne m’intéresse pas. Je ne veux pas être un média pour une élite. Je pense que rien n’est gratuit, mais ma cause, c’est d’aider celles et ceux qui font avancer le secteur du vélo. Si je réserve ma newsletter à des abonné·es qui ont les moyens de payer, mon impact se réduira forcément. Toute la difficulté réside dans la recherche de cet équilibre.

Comment avez-vous trouvé cet équilibre sur le modèle économique ?

J’ai mis en place un bandeau qui précise que la newsletter est sponsorisée par Fifteen, une entreprise qui aide les collectivités à déployer des services vélo en location courte et longue durée. C’est le leader européen du secteur. Le deuxième levier de sponsorisation, c’est le podcast, toujours avec Fifteen qui m’accompagne depuis la première saison. J’ai une page web dédiée qui résume mes différentes offres de sponsorisation mais clairement, mon audience ne passe pas par là. L’acquisition des sponsors, c’est à moi d’aller la chercher de façon très directe.

Le bandeau sponsorisation du Concentré Vélo
« J’essaie de faire de mon média un produit utile et utilisable  »

Ensuite, j’ai une partie agence. Mon média a un double public de particulier·es et de professionnel·les. Comme ces dernier·es l’utilisent pour leur veille, j’essaie d’en profiter pour apporter de la valeur aux entreprises qui ont besoin de trouver leurs clients. Concrètement, j’essaie de faire de mon média un produit utile et utilisable. Mon agence a la même doctrine : je ne ferai jamais de bandeau de pub sur Twitter même si j’en ai les compétences. En revanche, aucun problème pour concevoir un livre blanc ou mettre en place un chatbot pour aider les gens à comprendre les services que vous proposez.

À côté de cela, j’essaie d’expérimenter de nouveaux leviers de financement. Le dernier, c’était mon catalogue de Noël. Je me suis demandé comment faire en sorte de proposer une plateforme d'achat à mes abonné·es. Comme beaucoup d’entreprises me suivent, je me suis dit que leurs produits pourraient être alignés avec les envies des particulier·es qui font partie de mon audience. J’ai donc créé un catalogue de Noël en m’appuyant sur des outils sans lignes de code.

Le catalogue de Noël du Concentré Vélo

Concrètement, quelles ont été les étapes de réalisation du catalogue de Noël ?

J’ai commencé par créer un formulaire de test que j’ai envoyé à cinq entreprises et associations issues de mon réseau. J’ai précisé que le prix pour déposer une annonce était libre, car je n’avais aucune idée du modèle économique de ce type de projet. Chacun pourrait participer selon ses moyens et sa perception de la valeur que l'opération pourrait apporter. Sur les cinq personnes, deux ont répondu tout de suite en payant directement. C’était suffisant pour me dire que le projet pourrait intéresser d’autres marques. J’ai donc rendu le formulaire public et j’ai fait de ce catalogue de Noël une marketplace avec des couleurs un peu kitchs. Effectivement, cela a pris : les professionnel·les ont commencé à déposer des bons de réduction, à proposer des vélos d’occasion, du matériel d’équipement. Au total, 30 entreprises ont participé avec des dons qui s’étalent de 5 à 250 euros.

Ce double public vous permet également de diffuser des offres d’emplois. Comment fonctionne ce levier ?

Pendant trois mois, j’ai beaucoup échangé avec des entrepreneur·ses du secteur du vélo dans le but de les aider à trouver leurs client·es. Mais à la fin de ces rendez-vous, on me demandait toujours : « d’ailleurs, tu ne connaîtrais pas un·e responsable marketing, un·e mécanicien·ne, un·e chargé·e de com’ qui connaît le vélo ? ». Grâce à ma newsletter, je connais du monde et j’avais souvent quelqu’un à leur conseiller. Dans le même temps, des gens me contactaient sur LinkedIn parce qu’ils étaient en reconversion pour travailler dans le secteur du vélo. En fait, tout était sous mes yeux. Il y a un problème, il est « impactant » et j’ai l’avantage d’avoir une audience très engagée sur le secteur du vélo qui mélange des acteur·ices qui travaillent dans ce secteur et des passionné·es. J’ai commencé par réaliser une dizaine d’entretiens avec des potentiel·les candidat·es et recruteur·ses afin de comprendre leur fonctionnement, comme pour une recherche utilisateur·ices. J’ai ensuite mis en ligne une page d’offres d’emplois et je reçois toutes les semaines entre cinq et douze offres d’emplois qui vont du stage au CDI, de la fabrication de vélo à la vente en passant par le tourisme à vélo. J’en ai même fait une rubrique dédiée au sein de ma newsletter. Ce levier m’apporte autant que le sponsoring de la newsletter. On crée un autre produit avec d’autres enjeux.

Le Job Vélo, plateforme d'offres d'emploi du Concentré Vélo

Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui peinent à trouver le modèle économique de leur newsletter ?

Ne cherchez pas un modèle économique, cherchez une première vente. Votre modèle va se construire lorsque vous aurez appris de votre marché, en allant parler aux gens. Allez dans votre liste d’abonné·es et repérez celles et ceux qui entreprennent dans le secteur sur lequel vous vous exprimez. Ces personnes vous suivent déjà et vous connaissent. Proposez-leur de sponsoriser une édition au tarif de leur choix. N’hésitez pas à toquer à la porte des boîtes qui ont la même taille que la vôtre. Il y a moins de systèmes de validation interne dans ces entreprises, ce qui permet de s’adresser directement à celui ou celle qui va décider.

Pour aller plus loin

  • L'approche produit, qu'est-ce que c'est ? La News Product Alliance propose la définition suivante d'un produit dans son glossaire : "Une solution tangible à un problème existant qui apporte de la valeur aux gens. Elle peut être technique, comme une application, un système ou un outil, ou se situer à l'intersection des besoins et des objectifs qui font progresser une stratégie commerciale, comme l'adhésion."
  • Éditorial + design + marketing + tech : chez Médianes, nous défendons une vision «produit» des médias et sommes persuadé·es que les projets éditoriaux doivent s’imaginer au croisement du journalisme, du design, du marketing et de la technique
  • Cet entretien est le premier de notre série sur les newsletters indépendantes. Retrouvez les entretiens avec Jean Abbiateci, du média par newsletters Bulletin, Léa Lejeune, fondatrice la newsletter féministe Plan Cash et celui de François de Monès, cofondateur du média épistolaire et politique La Disparition.
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Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de veille.