Je suis allée à la soirée des ancien·nes du JDD au Théâtre du Châtelet

Journal de bord d’un événement étonnamment festif et inclusif.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Les ancien·nes du Journal du Dimanche (JDD) ont loué le théâtre du Châtelet, à Paris, ce lundi 9 octobre 2023 pour défendre la liberté de la presse et alerter sur l’urgence démocratique. Baptisée « La Nuit de l’indépendance », la soirée a réuni des musicien·nes, des humoristes, des comédien·nes, des auteur·ices et des journalistes dans un spectacle de près de deux heures et demie. On vous résume.

19h40 : fume avant que la vie ne te fume

À l’extérieur du Théâtre du Châtelet, une poignée de journalistes réseautent et fument quelques cigarettes. On nous a annoncé un spectacle de deux heures, mieux vaut prendre ses dispositions.

20h20 : parterre de stars

On entre dans le Théâtre. Je dis à mon copain qu’il y a Arnaud Montebourg, il me dit non aucun rapport ça c’est Fabien Roussel et en bas là regarde c’est Alexis Corbière et tout à l’heure j’ai vu Olivier Faure et Cécile Duflot. Le mec qui place les gens nous demande si on a une pastille qui brille sur notre billet. Non. Dans ce cas c’est placement libre. On s’assied à côté d’une camarade de StreetPress. Une amie pigiste nous rejoint. Plus haut, des collègues de La Vie, Télérama, Radio France, Libération. On remarque que sur certains sièges, il y a des noms, comme aux César. Sauf que là, c’est marqué « Raphaëlle Bacqué », « Jean Massiet », « Julia Cagé ». 

20h35 : introduction

Les lumières s’éteignent et Olivier Py, le Directeur du Théâtre du Châtelet apparaît sur scène. Il est très remonté contre les fake news, il dit le mot clé « confiance » à trois reprises et il trouve que c’est terrible que les jeunes s’informent sur les réseaux sociaux. Sursaut. Un homme sort de nulle part sur un balcon et se met à hurler, jouant le rôle d’un crieur de journaux et appelant à protéger l’indépendance de la presse.

20h50 : kamoulox

À partir de ce moment, Flavien Berger a chanté deux trucs très jolis qui parlaient de la fin et des lendemains. Clara Ysé aussi, sur le thème de la résilience. La comédienne Lison Daniel est venue incarner Rico, un ancien journaliste du JDD, représentant de la rédaction d’avant Geoffroy Lejeune. Rico est chauve et il raconte ses souvenirs : le jour où il a écrit un portrait sur Guy Joao, l’homme pris à tort pour Xavier Dupont de Ligonnès, le jour où il a essayé d’écrire un papier alors qu’il était bourré. On a aussi eu l’honneur de voir François Morel en visio. Il nous a expliqué qu’il était autrefois un lecteur assidu du JDD et qu’il était crucial de défendre une parole libre, indépendante et contradictoire. Guillaume Meurice a ajouté sa touche humoristique, nous saluant d’un « Salut les chômeurs, salut les chômeuses ! », blaguant sur le fait que le JDD avait consacré quelques Unes élogieuses à Macron, et que le karma pouvait frapper n’importe qui. L’actrice Anna Mouglalis a ensuite pris la parole pour lire un extrait de 1984 de George Orwell. Ça nous a tous·tes beaucoup fait réfléchir. 

21h30 : foule en délire

Les ancien·nes du JDD montent sur scène. Standing ovation. Les journalistes racontent leur grève de quarante jours, remercient les associations et les organisations syndicales qui les ont soutenu·es. Ils et elles reviennent sur leurs erreurs, aussi. « Jusqu’ici, on défendait notre éthique en interne, on s’associait aux tribunes quand il y en avait et cela nous suffisait. On ne voyait qu’une pièce du puzzle et on s’est pris une claque. » Et parce que le combat pour l’indépendance éditoriale, l’équilibre de l’opinion et l’honnêteté intellectuelle s’inscrit dans le temps long, ces ancien·nes ont choisi de créer une association. Baptisée  Article 34 (en référence à l’article 34 de la Constitution qui définit la loi et délimite son domaine, sachant que la loi a la compétence pour fixer les règles concernant la liberté, le pluralisme et l’indépendance de la presse), les journalistes expliquent vouloir s’inscrire dans un « combat collectif » pour « faire évoluer le cadre législatif ». On en apprendra sûrement plus dans leur Journal du lundi, une édition unique préparée en partie ce soir et qui sera publiée le 16 octobre prochain sur leur site. 

22h : des solutions

Jean Massiet accueille Leïla de Comarmond (Les Échos), Raphaëlle Bacqué (Le Monde), Antton Rouget (Mediapart) et Simon Blin (Libération). Tous·tes représentent la Société des journalistes de leur journal et mettent en avant l’importance de demander des garanties d’indépendance aux actionnaires. « Ce n’est pas une question de droite ou de gauche, de gentil ou de méchant. Ce qui compte, c’est que quand les actionnaires ont du pouvoir, ils et elles peuvent en abuser », souligne Raphaëlle Bacqué. Au Monde, l’actionnaire ne peut imposer de directeur de la rédaction sans consulter les journalistes. Le principe est le suivant : l’actionnaire choisit un·e candidat·e (le plus souvent, un journaliste de la rédaction) et celui ou celle-ci doit être élu·e à au moins 65% des votes exprimés par la rédaction. Même chose pour l’éviction d’un directeur ou d’une directrice de la rédaction : celle-ci doit être acceptée par 65% des suffrages exprimés. Tous·tes rappellent également le rôle d’une Société des journalistes (SDJ) au sein d’une rédaction. Celle-ci n’est pas un syndicat mais a pour but de défendre des principes fondamentaux au journalisme que sont l’éthique, l’indépendance de la rédaction et la déontologie. 

22h30 : c’est le bordel

Julia Cagé débarque aux côtés de Sophie Taillé-Polian (députée Génération.s), Violette Spillebout (députée Renaissance) et Jérémie Patrier-Leitus (député Horizons). « Quand on m’a proposé d’animer un débat avec des politiques sur l’indépendance de la presse, j’ai pensé Emmanuel Macron, Rima Abdul-Malak ! Le premier est occupé à inaugurer la maison Jean-Pierre Elkkabach. La seconde a théâtre. » Certain·es spectateur·ices ne trouvent pas la blague à leur goût et se mettent à huer. Qu’à cela ne tienne, Julia Cagé donne la parole aux député·es, venu·es défendre une proposition de loi pour l’indépendance des rédactions. Objectif : mettre en place un droit d’agrément des journalistes sur la nomination de leur directeur·ice de la rédaction. Nouvelles huées. Tout le monde se retourne, c’est le bordel, on entend plus personne parler. Jérémie Patrier-Leitus s’agace, explique que bon sang, quand même, il est fils de journalistes et qu’il nous défendra coûte que coûte. 

23h : c’est la fête

Pour mettre tout le monde d’accord, la queen Sara Forever (finaliste de la deuxième saison de Drag Race France) s’invite sous les projecteurs avec une queue de sirène. Elle interprète Pull marine d’Isabelle Adjani, elle danse autour des paillettes. J’aurais jamais cru voir un jour des journalistes du JDD en transe devant un spectacle de drag. Comme quoi, presse et culture, c’est vraiment le même combat.


Pour aller plus loin

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Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de veille.