Olivier Marino (Nice-Matin) : « La mission d’un média local, c’est de rendre service à son audience »

Olivier Marino est directeur adjoint des rédactions et responsable de la stratégie éditoriale du groupe de presse régional Nice-Matin. Il nous explique la stratégie derrière le lancement de ces différentes newsletters hyperlocales.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Depuis l’envolée du coût du papier, la presse quotidienne et régionale a tendance à regrouper ses éditions. D’où l'idée de Nice-Matin de proposer des newsletters autour d’une ville ou d’un petit bassin de population. En mars 2022, le groupe a ainsi lancé sa première newsletter hyperlocale. Baptisée Jumelles, celle-ci couvre les villes de Fréjus et Saint-Raphaël, deux villes limitrophes avec un bassin de population de 85 000 habitant·es. Ont suivi Tapis Rouge, à Cannes, puis Antipolis, pour Antibes et Juan les Pins. Le groupe s'apprête à présent à lancer deux nouvelles newsletters hyperlocales dédiées à Nice et Toulon, ainsi qu'une newsletter destinée aux nouveaux·elles arrivant·es à Nice. Celle-ci comptera huit épisodes et donnera aux néo-niçois·es des clés sur l'histoire de la ville, son patrimoine, sa cuisine, ainsi que des conseils pratiques pour s'installer et réaliser ses démarches administratives.

Olivier Marino est directeur adjoint des rédactions et responsable de la stratégie éditoriale du groupe de presse régional Nice-Matin. Il nous explique la stratégie derrière le lancement de ces différentes newsletters hyperlocales. Le cœur du projet ? Faire vivre l'information servicielle.

Aujourd’hui, Nice-Matin compte trois newsletters hyperlocales gratuites. Pouvez-vous nous donner un aperçu de leur succès actuel en termes d'abonné·es et d'engagement ?

La première, Jumelles, compte aujourd’hui 8300 inscrit·es, avec un taux d'ouverture autour de 38 % et un taux de clic de 1,71%. Pour Tapis Rouge, celle de Cannes, nous avons 6040 inscrit·es, un taux d'ouverture de 44 %, 2,16 % de taux de clics. Et pour Antipolis, la dernière, nous sommes à plus de 3700 inscrit·es, 60% de taux d'ouverture en moyenne et un taux de clic de 15,75%. Si les chiffres de cette dernière sont plus élevés, c’est sûrement parce qu’elle a bénéficié de l’expérience de nos premières newsletters. Des rubriques ont été ajoutées, on donne des petites informations insolites, on intègre plus d’anecdotes sur l’histoire de la ville.

Jumelles, la première newsletter hyperlocale de Nice-Matin

Au-delà de ces indicateurs, comment mesurez-vous la réussite d'une newsletter hyperlocale ?

On le voit surtout sur la croissance du nombre d'inscrit·es. Depuis le lancement d’Antipolis, nous avons réalisé une croissance de plus de 60% d’inscrit·es en plus. Pour Jumelles, c’est 70%. C’est une audience nouvelle parce qu’il ne s’agit pas d’ancien·nes abonné·es. Notre objectif, c’est l’acquisition. On sait que l’on touche de nouveaux·elles lecteur·ices, des personnes qui étaient assez éloignées de la marque et ne nous consultaient pas beaucoup. Ce qui fonctionne, c’est l’offre éditoriale tournée sur les loisirs et les sorties. Il y avait une forte attente sur un produit comme celui-ci.

À quel point le choix du jour d’envoi pèse-t-il dans la balance ?

Au début, nous envoyions les newsletters hyperlocales le vendredi. Et puis, nous avons eu des retours des lecteur·ices qui nous ont expliqué que cela faisait un peu tard pour organiser son week-end. Nous nous voulons très serviciel·les sur l’offre éditoriale. À part un petit récapitulatif en début de newsletter qui tient sur trois entrées maximum, nous ne faisons pas d’actualité. Nous sommes beaucoup plus tourné·es sur l’agenda du week-end et de la semaine à venir et sur les bons plans. Suite aux retours de nos abonné·es, nous avons décidé d’envoyer nos newsletters hyperlocales le jeudi. Depuis, nos résultats sont bien plus importants.

Un extrait d'Antipolis, la newsletter de Nice-Matin sur Antibes et Juan les Pins

Quelles ont été les étapes de votre campagne d’acquisition ?

Nous avons réalisé une campagne sponsorisée sur Facebook, très ciblée géographiquement sur les communes concernées et les communes limitrophes. On a également posté une publication organique, toujours sur Facebook, publié un article dans les pages locales et un sur le site. Ensuite, nous avons envoyé un e-mail aux abonné·es résilié·es et nous avons prévenu nos abonné·es actuel·les via la newsletter Le club des abonnés. On continue également d’intégrer un formulaire d’inscription sur tous les articles tagués sur la ville concernée afin de recruter celles et ceux qui lisent les articles de la commune en question. Il est essentiel de bien roder sa campagne d’acquisition. Avant même le lancement de la newsletter Antipolis, nous avions déjà 1500 pré-inscrit·es. Nous ne rajoutons jamais des personnes qui figurent déjà parmi nos contacts, cela ne nous intéresse pas. Nous faisons en sorte d’avoir l’audience la plus qualifiée possible, qui soit vraiment concernée. Notre objectif n’est pas de faire de l’inscrit·e pour faire de l’inscrit·e.

Les personnes qui s’inscrivent à vos newsletters souscrivent-elles un abonnement par la suite ?

C'est l'ambition ! Pour l'instant, on évite de trop pousser vers l’abonnement à tout prix. On veut créer un lien de confiance avant de proposer une offre marketing. Récemment, nous avons lancé un e-mail à nos inscrit·es avec une offre d’abonnement découverte, gratuite sur une période donnée. Mais nous ne disposons pas encore des outils nécessaires pour savoir si les personnes qui se sont abonnées viennent de ce canal.

Comment vous organisez-vous en interne pour lancer ces newsletters ?

Pour Jumelles, notre première newsletter hyperlocale, nous avons organisé des réunions avec les journalistes de l’agence locale de Saint-Raphaël, chargée de la couverture du secteur. Le projet les a tout de suite emballé·es. Ensemble, nous avons décidé de l’offre éditoriale de la newsletter, puis nous nous sommes rapproché·es du service marketing pour organiser le lancement de la newsletter et sa promotion. Ont suivi quelques numéros zéro pour tester le projet, puis le lancement officiel. Aujourd’hui, nous avons une sorte de groupe projet qui travaille en transverse, avec le marketing, la créa, et l'éditorial. Les journalistes locaux sont associés à la réflexion et la fabrication du concept.

Utilisez-vous des outils spécifiques pour l’envoi ?

Nous utilisons Marketing Cloud, la solution de Salesforce, mais ce n'est pas forcément le plus adapté. On s’est aperçu·es que le rendu et la compatibilité de nos newsletters sur certains navigateurs ou outils de messagerie n'étaient pas géniaux. Ce n’est pas non plus idéal pour les journalistes. Avant, nos journalistes préparaient leur newsletter dans un fichier Excel que l’on transmettait au service marketing. Celui-ci l’éditait alors dans Marketing Cloud et se chargeait de l’envoi. À présent, nous utilisons Sendinblue, qui est devenu Brevo. Les journalistes y éditent leur newsletter et après, on génère le code qui est importé dans Marketing Cloud pour l’envoi. C’est plus propre et adapté, cela nous offre un meilleur rendu.

À quoi ressembleront vos prochaines newsletters ?

Nous lancerons Ficanice, une newsletter dédiée à Nice le 28 septembre et De la rade au faron, notre newsletter sur Toulon le 5 octobre. Pour générer de l’engagement, nous avons fait voter les lecteur·ices sur les noms de ces newsletters. Nous leur avons soumis trois propositions via le site Internet et avons récolté 500 votes. Nous prévoyons également de lancer un nouveau concept avec Nice m’attend, une newsletter à durée déterminée destinée aux nouveaux·elles arrivant·es dans la région. Avec l’effet Covid, beaucoup de Parisien·nes ont déménagé et forcément, Nice a attiré du monde. De notre côté, pas mal de nouveaux·elles collègues issu·es de rédactions parisiennes ou d’ailleurs nous ont également rejoints. On a eu cette idée de réaliser une newsletter de huit ou dix épisodes avec un scénario que les inscrit·es recevraient toutes les semaines. Le premier épisode s’intéressera à la ville, son patrimoine, son histoire. D’autres seront plus pratiques et pourront traiter de l’immobilier : comment chercher un appartement à Nice ? Quels sont les quartiers ? On pourrait imaginer l’ajout d’une interview d’un·e expert·e immobilier·e. On trouverait également un guide des démarches administratives à faire lorsque l’on arrive à Nice, les infos pratiques sur la mairie, et tout un épisode sur nos bonnes adresses et les endroits où aller manger. Dans tous les cas, il n’y aura ni actu, ni hard news.

Les lecteur·ices ont pu voter pour choisir le nom de la newsletter niçoise de Nice-Matin

L'idée, c'est de rendre service aux lecteur·ices ?

Exactement. En tant que média local, cela fait partie de notre mission et de notre ADN. On veut également avoir quelque chose de plus éditorial, où la direction de la rédaction puisse proposer un message personnalisé en présentant notre offre, nos supports, ou en proposant une offre découverte. Le pari, c'est de se dire que si on a embarqué un·e lecteur·ice sur à peu près deux mois et qu'on lui a rendu des services pertinents, il sera plus simple de le·la convertir en abonné·e.

Comment comptez-vous pousser cette incarnation ?

Notre priorité aujourd’hui, c’est de travailler sur la relation. Chaque personne qui s'est inscrite à la newsletter reçoit un message personnalisé d'un·e des journalistes de l'agence locale avec une photo et un message à la première personne pour le·la remercier et lui dire ce qu'il·elle trouvera dans la newsletter. Dans nos newsletters hyperlocales, nous intégrons toujours un petit paragraphe à la première personne. Notre ton, c'est d'écrire un mail à un·e pote pour lui raconter ce qu'on va faire de notre week-end. La newsletter, c'est le format numérique qui ressemble le plus au print. On se sert de ce support pour retrouver la proximité qu'on a un peu perdue avec les lecteur·ices. D'où l'idée de l'hyperlocal pour se concentrer sur un bassin de vie, sur quelque chose d’identitaire. Après, dans l'incarnation, on dit : « voilà on est vos journalistes de terrain, et même si on a un grand groupe, même si on est nombreux, vous avez un visage à qui vous pouvez vous identifier ». On s’inspire beaucoup de ce que font les médias norvégiens sur l'onboarding. Quand on s'abonne, on peut suivre un journaliste et il devient notre guide.

L'e-mail de confirmation d'inscription à la newsletter Jumelles

Entre le print, le web et ces newsletters hyperlocales, comment les supports communiquent-ils entre eux ?

On travaille à créer de plus en plus de passerelles entre ces supports. Nous avons une newsletter politique, Pol'Positions, que l’on avait lancée à l’époque de l’élection présidentielle de 2022. Elle est devenue très dense, avec des bonnes informations. Elle était gratuite à la base mais la qualité éditoriale est devenue si costaud que nous avons choisi de la réserver aux abonné·es à Nice-Matin. À la fin du mois, cette newsletter sera envoyée le vendredi soir aux abonné·es et intégrée au journal le dimanche. Ce ne sont pas forcément les mêmes audiences. Tout le monde ne consomme pas l’information de la même manière. Je me dis que l’on pourrait également intégrer les idées sorties que l’on trouve dans nos newsletters hyperlocales dans le journal du vendredi ou du samedi. C’est un bon moyen de faire vivre le contenu, de lui permettre de toucher d’autres populations. Quand on a une matière éditoriale intéressante, il est dommage de la limiter à un seul support.

Pol'Positions, la newsletter politique réservée aux abonné·es de Nice-Matin

Vous servez-vous des retours de vos lecteur·ices pour faire évoluer votre offre éditoriale ?

Tout part de ces retours. Quelques mois après le lancement de Jumelles, nous avions envoyé un petit questionnaire à nos lecteur·ices. Dans les réponses que l’on avait reçues, les gens nous demandaient de l’info pratique et des loisirs plus que de l’actualité. Comment profiter de son week-end, comment découvrir le territoire… Nous nous sommes adapté·es. Au début, nous mettions cinq actus en début de newsletter. Nous avons beaucoup réduit. Comme le récap actu arrive en premier, il ne faut pas que ce soit trop long dans le scroll. On a aussi réduit le nombre de visuels pour arriver rapidement aux infos pratiques. La difficulté, ç'a été de convaincre ou d'embarquer les journalistes, parce qu'ils·elles sont toujours attiré·es par l'actu et par l'info. Maintenant, tout le monde est convaincu, et cela fonctionne plutôt bien.

Quel enseignement clé tirez-vous du lancement de ces newsletters hyperlocales jusqu'à présent ?

L'info servicielle. Je me rends compte qu'on est vraiment attendu·es là dessus. L'actif qui vit en ville, il est super occupé toute la semaine. Il n’a pas souvent le temps de se connecter à l'info. Il reçoit les notifications mais avec les enfants et le travail, c'est compliqué. Et quand arrive le week-end, il se demande ce qu’il pourrait faire. Il y a cette frustration qui peut naître après avoir lu le journal où on se dit « tiens, il y avait cet événement, j’aurais pu y aller, c’est dommage ». Nous, on essaie d’être en amont. Travailler la relation avec les lecteur·ices, je pense que cela peut améliorer l’image qu’ils et elles ont de leur média local. Surtout, ce qui est très fort, c’est de créer des habitudes. Nos newsletters sont très structurées, nos lecteur·ices savent toujours à quoi s’attendre en les ouvrant.


Pour aller plus loin

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Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de veille.