Paper fever : le retour des médias au papier

Certains médias recommencent à imprimer. Et plein de choses, en plus : des revues, des fanzines, des lettres, des posters. Un ras-le-bol du tout écran ? Pas seulement. À l’heure où les revenus issus du web sont de plus en plus incertains, le papier offre aux marques médias un soutien de taille.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Au commencement était le papier. Avant de (re)devenir un produit de luxe, c’était un bien courant et accessible, tout à fait ancré dans le quotidien de chacun·e. Puis vint la révolution numérique. Toute une histoire qu’on ne vous refera pas ici mais enfin, voilà, Internet est devenu la poule aux œufs d’or et une transformation s’est opérée. 

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Soyons (très) complets : le papier a d'abord été un produit de luxe, réservé aux élites politiques, religieuses et intellectuelles. En Europe, il reste longtemps cher et rare jusqu’à l'invention de l'imprimerie au XVe siècle, qui amorce sa démocratisation. Au XIXe siècle, grâce aux progrès industriels, le papier devient accessible au grand public, notamment avec l'essor de la presse écrite, rendant l’information et la lecture disponibles à une large population.

Partout, et comme à chaque nouvelle innovation, on prédisait la fin du papier. « [...] mis à part les très grands médias (The New York Times et The Washington Post en première ligne) et les très petits, tous les autres journaux se déclineront en version numérique ou disparaîtront [...] Les États-Unis sont les premiers sur la liste avec une disparition annoncée dès 2017, la France devrait subir le même sort en 2029 », lisait-on chez Slate en 2011. La BnF se montrait quant à elle plus optimiste en 2012, annonçant la fin des supports papiers à l’horizon 2040, ce qui nous fait une belle jambe. Pourtant, difficile de leur en vouloir. Pourquoi s’aventurer dans les méandres de l’industrie de la presse imprimée s’il est possible de diffuser l’information dans une immédiateté ne nécessitant ni contrainte logistique ni coût d’impression ou de distribution ?

Surtout, cette prophétie de l’extinction avait ses raisons : explosion du contenu numérique, nouvelles habitudes de consommation, hausse des coûts de production et de distribution du papier, baisse des revenus publicitaires pour la presse écrite… Tout semblait jouer contre l’imprimé. Ce que nous n’avions pas anticipé, c’est que les médias web allaient eux aussi se faire doubler par de nouveaux rivaux : les plateformes, Meta, Google et consorts, monopolisant l’attention et les revenus publicitaires au détriment des médias en ligne. 

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Aparté sur le casse-tête des abonnements web

Le défi des abonnements web repose sur une problématique différente : celle de la monétisation des contenus dans un écosystème marqué par une culture du gratuit. Comment convaincre des internautes habitué·es à l'accès illimité et gratuit à l’information de payer pour du contenu ? Pour les médias, il s’agit, d’une part, de justifier l’apport des abonnements en offrant une valeur perçue suffisante pour justifier le coût, et d’autre part, d’éduquer le public à la valeur du travail journalistique. Là où la publicité souffre d’un problème de concurrence et de finitude, les abonnements font face à un enjeu de transformation culturelle qui ne se résoudra pas simplement par des ajustements techniques ou tarifaires, mais par une redéfinition de la relation entre le média et son audience.

Bref, les médias se retrouvent maintenant piégés par leur propre choix. Alors que faire quand on se fait quitter pour quelqu’un de plus beau, plus populaire et plus riche ? Comme tout le monde, on retourne voir son ex. Le papier, ce loser magnifique, redevient soudain l’option la plus stable et sécurisante pour ramener les médias à la surface. Qui aurait pu prédire qu’après avoir testé tout et n’importe quoi, nous reviendrions à quelque chose d’aussi peu innovant ? Un phénomène qui rappelle celui du retour aux vinyles, aux coffrets DVD, ou encore aux cassettes.

Aujourd’hui, plusieurs médias choisissent de relancer leurs supports papier afin de diversifier leurs revenus et proposer une expérience complémentaire au web. Après avoir abandonné son édition imprimée en 2017 pour se concentrer sur le numérique, Nylon a récemment décidé de relancer son magazine papier. Forcément, ce rétropédalage consiste moins à proposer un bel objet qu’à générer des revenus publicitaires, ces derniers étant devenus trop instables sur le web. Même réflexion du côté du média satirique The Onion, en pleine relance de son journal papier arrêté dix ans plus tôt.

Si le retour au papier est déjà une réalité comme complément au numérique, on peut se demander : si nous étions à l'aube d’un retour à l’impression comme norme ? 

Dans ce scénario, le papier ne se contenterait plus de soutenir le web, mais redeviendrait le support central — celui autour duquel se construisent les autres canaux. Ce basculement refléterait non seulement une réévaluation de la valeur du papier en matière d'engagement et de crédibilité, mais aussi une reconnaissance de sa capacité à capter l'attention dans un paysage médiatique saturé par le numérique, et pourrait aider les médias à (re)trouver une stabilité économique. 

Quelques exemples pour se projeter

Climax, le papier pour gagner en légitimité

En 2021 était lancée Climax, une newsletter payante dédiée à l’écologie. Celle-ci est depuis devenue un complément gratuit — et un atout marketing — à un fanzine papier financé par les abonnements, les dons et une activité de studio. « Le papier a fait grandir l’intérêt autour de notre proposition », souligne Lauren Boudard, cofondatrice. Ici, l’objet imprimé confère au projet une aura qui le sous-entend plus crédible et professionnel. Un poids symbolique que le numérique peine à égaler.

Monocle, le papier comme point d’entrée

Chez Monocle, magazine britannique qui fait ses premiers pas à Paris en cette rentrée, tout commence par le papier. Volontairement absent des réseaux sociaux, le média préfère investir dans des canaux qu’il contrôle entièrement. Sa présence dans des points de vente physiques devient ainsi sa seule vitrine, faisant du papier non seulement un support de contenu, mais aussi un vecteur clé pour capter l'attention. Le magazine historique fondé en 2007 ainsi que ses déclinaisons (hors-séries, journaux, guides de voyages…) représentent ainsi un point d’entrée vers la marque média, sans dépendre entièrement des algorithmes. 

Vert, le papier pour se faire connaître

Pour que tout le monde ait les bonnes données et les vrais ordres de grandeur sur tous les sujets liés à l’écologie, le média en ligne Vert, a lancé sa « posterothèque ». Le projet consiste en une série de posters contenant des données clés sur les gaz à effet de serre, les transports, la mode ou encore le numérique. Une stratégie maline pour toucher de nouveaux publics et sensibiliser plus largement aux enjeux de la crise climatique : en choisissant ce support, Vert rend l’information visuellement attrayante, facile à consulter et à partager dans des lieux publics ou privés, tels que des écoles, des bureaux ou des événements. 

La Disparition, le papier pour marquer les esprits

Au départ, Annabelle Perrin et François de Monès — cofondateur·ices de La Disparition, média épistolaire qui chronique ce qui n’est ou ne sera bientôt plus — voulaient lancer un site. 

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« [Un site,] ce n’était pas très sexy, d’autant que notre thème peut sembler assez rude. [...] Il nous fallait absolument un objet qui attire l’attention et donne envie. La lettre convoque un imaginaire littéraire qui nous plaît. C’est tellement romanesque. Cela colle exactement à ce que nous aimons, et c’est totalement anti-réseaux. Nous nous sommes dit que nous tenions peut-être quelque chose à contre-courant. Et en même temps très actuel : la lettre, c’est ralentir. [...] »

— Annabelle Perrin, cofondatrice de La Disparition. Retrouver l’entretien complet dans Créer un média, notre ouvrage à destination de celles et ceux qui voudraient se lancer dans la création de médias.

Ici, la forme épistolaire est au service du propos du média. Elle n’interdit pas, par ailleurs, d’avoir recours au web. La Disparition, c’est également des newsletters de recommandations culturelles et de coulisses qui ont permis au média de réunir une première communauté avant son lancement et qui font aujourd’hui 100% partie du projet.

Pour aller plus loin

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Parmi les médias cités dans cet article, la partie studio de Médianes accompagne ou a accompagné les équipes de Climax, Vert, La Disparition, et Censored.
PapierrevueswebAbonnementpublicitéplateformesClimaxMonocleVertLa DisparitionCensored

Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de stratégie.