Marsactu : passer du numérique au physique pour toucher de nouveaux publics

Avec Marsactu Illimité, le média propose de consulter gratuitement ses contenus dans divers lieux, dont des cafés et des centres sociaux. En matérialisant son offre, il espère toucher de nouveaux publics, parfois éloignés de l’information, en réduisant sa dépendance aux plateformes numériques.

Owen Huchon
Owen Huchon
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Ce qu'il faut retenir :
· En partant à la rencontre de son public, Marsactu souhaite rester maître de sa communication et construire un lien de confiance avec son audience. Cela lui permet de se passer d'intermédiaires parfois capricieux comme Google ou certains réseaux sociaux dans le cadre de la distribution de ses contenus.
· Grâce aux phases de test, l'équipe peut échanger de façon constructive avec ses partenaires pour peaufiner son offre.

Au salon de coiffure ou dans la salle d’attente du dentiste, vous avez peut-être déjà été tenté·e par cette pile de magazines et de journaux, entreposés sans soin particulier dans un coin de la pièce. Dans les cafés ou les bars, vous avez peut-être déjà feuilleté les pages cornées d’un Télérama ou du journal local. Une pratique courante, voire banale, dans laquelle Marsactu, média en ligne d’investigation basé à Marseille, espère trouver une solution — du moins une partie — à un problème qui l’embête bien. « On a beaucoup d'abonné·es dans le centre-ville et le sud mais beaucoup moins dans la périphérie de Marseille. Cela nous pose question », observe Julien Vinzent, président de Marsactu. Pour y répondre, le média propose désormais un accès en illimité à ses contenus dans une quinzaine de lieux partenaires, principalement des cafés et des centres sociaux. Pour ce faire, il suffit de se connecter au réseau Wi-Fi, « même pas besoin d’avoir un compte », précise Julien Vinzent.

Avec cette nouvelle offre, baptisée Marsactu Illimité, le média compte apporter une réponse aux freins causés par des facteurs socio-économiques qui empêche une partie de sa cible d'avoir accès à l'information. « On va par exemple annoncer dans Marsactu qu’une tour va être démolie ou qu’un immeuble va être coupé en deux. On se rend compte que les premier·es concerné·es par cette information en sont finalement coupé·es », explique Julien Vinzent. « Les gens qui habitent dans le centre-ville ou dans le sud de la ville, à plus de 10 km de la zone concernée, reçoivent les informations avant eux. On reçoit des mails dans lesquels des gens nous disent qu’ils·elles viennent de l’apprendre alors qu’on l’a écrit il y a un an ». Une initiative qui vient compléter d’autres dispositifs proposés par Marsactu visant à répondre à cette fracture mais qui, à l’aveu de Julien Vinzent, n’atteignent pas toujours leurs objectifs premiers, à l’image des articles gratuits : « Ça tourne beaucoup mais on reste quand même dans les réseaux des abonné·es ».

Un déploiement progressif

Cette nouvelle offre n’en est qu’à sa phase de lancement. Elle n'est pour l’instant disponible que dans quelques cafés et centres sociaux. Dans ces derniers, cette nouvelle offre sera notamment couplée d’ateliers animés par Marsactu sur le thème de la presse et de l’information. Une première pour le média local. « On peut y toucher un public assez varié et peut-être, plus spécifiquement, un public plus éloigné de la presse, en particulier de la presse en ligne payante » estime Julien Vinzent. Cette présence dans des centres sociaux permet à Marsactu de renforcer son implantation en périphérie de la ville, contrairement aux cafés qui se situent davantage en centre-ville. 

La carte des premiers lieux partenaires montre l'implantation des centres sociaux en périphérie de la ville

C’est précisément sur le thème de la fracture géographique que Marsactu a obtenu un financement dans le courant de l’été 2023. Pour mettre en place son projet, la rédaction a déposé une candidature auprès du projet Local Media for Democracy (LM4D), qui lui a fourni 35 000 euros, de quoi financer entièrement le lancement de Marsactu Illimité. Ce programme européen vise notamment à répondre au phénomène des « déserts médiatiques » déjà observés aux États-Unis et auxquels s’intéresse désormais la Commission européenne qui finance le LMD4. Mais la nouvelle offre ne peut compter éternellement sur ce type de financement et doit trouver d’autres sources de revenus, d’autant que Marsactu entend bien la pérenniser et la développer, notamment dans des bibliothèques. À ce jour, les lieux partenaires ne contribuent pas financièrement à cette offre, du moins pas pour l’instant. « L’idée à terme est d'arriver à les fidéliser, à les convaincre de rester dans le programme, cette fois en prenant un abonnement » précise Julien Vinzent, ajoutant que le prix ne sera pas « très éloigné d’un abonnement annuel ».

L’un de ces lieux, le Bernie Coffee, est niché dans le 6e arrondissement de la ville, au croisement entre la rue Lafon et la rue de la Palud. L'une des gérantes du lieu, Nadia Friedli, a été approchée par l’équipe du média sur Instagram. « J’étais sensible au travail réalisé par Marsactu et on a tout de suite dit oui » confirme-t-elle. À travers cette période de test, qui durera six mois, le café pourra formuler des remarques auprès de l’équipe du média en fonction des retours de ses client·es, principalement des jeunes actif·ves.

Faire exister physiquement une offre en ligne

Mais convaincre des partenaires de payer un abonnement à un titre de presse totalement dématérialisé n’est toujours pas une mince affaire. « Un journal imprimé, ça se voit tout de suite. Pour nous, c’est un peu plus complexe » admet le président du média. « On est un journal indépendant en ligne donc il faut passer par le Wi-Fi. Il y a forcément besoin d'un peu de pédagogie avec les client·es, avec les usager·es, ce qui représente un effort. Cela nécessite d'avoir des gérant·es de lieux et des équipes motivées et convaincu·es que cette offre peut être bénéfique ». Une courbe d’apprentissage qui peut varier en fonction du lieu et du public. Du côté de Bernie Coffee, l’usage de Marsactu Illimité se fait naturellement. « On ne me demande rien honnêtement, explique Nadia Friedli. Je vois les clients qui s’en servent. Ils et elles prennent les flyers et flashent tout simplement les QR codes. Lire la presse en ligne de cette manière, pour ma cible de clientèle, c’est intuitif ».

À défaut de la simple pile de magazines et de journaux, le média a en effet dû trouver d’autres moyens de faire connaître son offre et expliquer son fonctionnement. auprès des usager·ères des lieux « ll y a des flyers, des affiches, et des stickers sur la vitrine. On réfléchit même à imprimer des articles » énumère Julien Vinzent. La période d’essai en cours permettra notamment de peaufiner cette stratégie de communication. « Ils ont voulu mettre en avant un article sur la fermeture du métro à 21h30 mais on ne comprenait pas tout de suite que la lecture était gratuite car il y avait déjà beaucoup d’informations » raconte Nadia Friedli. « Ils n’étaient pas du tout fermés à l’idée que l’on fasse notre propre petite affiche » précise-t-elle. « C’est constructif. On travaille tous·tes ensemble grâce aux retours que l’on a sur le terrain ».

Un exemple de flyer distribué dans les lieux partenaires

Au-delà de l’unique offre « Marsactu Illimité », la matérialisation de la presse en ligne dans des lieux physiques devient un véritable enjeu pour des médias en ligne qui ne peuvent pas compter sur les kiosques ou les librairies pour espérer convaincre de nouvelles lectrices et lecteurs. Si jusqu’à maintenant les réseaux sociaux pouvaient jouer ce rôle de « kiosque numérique », un désamour semble s’installer entre ces plateformes et les médias. Alors que la recherche en ligne — et par conséquent le modèle économique de la presse sur internet — risque elle aussi d’être bouleversée par l’émergence de l’intelligence artificielle, les médias en ligne s’inquiètent de voir leur modèle de distribution s'effriter. « Jusqu'à présent, on avait une forme de distribution assez simple et gratuite via les réseaux sociaux, où on arrivait directement sur les écrans des gens » approuve Julien Vinzent. « Là, on voit que cela devient plus compliqué. Il faut parfois payer et faire davantage d’efforts humains ou techniques pour être distribués ».

Face à ces enjeux, d’autres médias pourraient être tentés d’investir des espaces physiques et de partir à la rencontre de leur lecteur·ices à travers l'événementiel, à l’image de La Déferlante ou de Censored.


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Owen Huchon est journaliste chez Médianes. Il est en charge de la communauté.